LIBRE OPINION de Caroline GALACTEROS, Administratrice de l’ASAF : Le poids des mots, le choc du réel… enfin !

Posté le dimanche 04 octobre 2015
LIBRE OPINION de Caroline GALACTEROS, Administratrice de l’ASAF  : Le poids des mots, le choc du réel… enfin !

Les anciens Grecs appelaient cela le Kairos, le « moment opportun ». L’Assemblée générale des Nations Unies offrait l’occasion unique de structurer une riposte intelligente au rhysome djihadiste qui prend racine au Moyen-Orient comme au cœur de l’Europe. Dans le ciel d’acier de la réalité internationale, quelques rais de lumière auraient pu déchirer la pénombre. Il fallait saisir le prétexte fourni par Moscou, faisant de nécessité vertu. On n’embrasserait pas pour autant les Russes sur la bouche avec passion. On ne s’aveuglerait pas plus sur la probable manœuvre russo-iranienne qui a rendu possible l’intervention militaire ouverte de Moscou et pourrait expliquer les étranges et trop faciles prises de Mossoul, Ramadi ou Palmyre par DAECH. C’était le moment opportun pour en finir avec les excommunications stériles et rechercher des compromis politiques réalistes et opérationnels.

L’équilibre international est un mobile instable fait de poids et contrepoids, de carottes et de bâtons, d’influences et de capacités de nuisance plus ou moins savamment orchestrés. Les relations internationales sont le fruit de ce rapport de force mouvant à multiples entrées. Leur moralisation outrancière depuis 25 ans est un fiasco sécuritaire dont les conséquences dépassent désormais le théâtre de « jeu » initial du Moyen-Orient. La morale est anti-stratégique par construction. Ce sont les discours « universels » et bienveillants portés par un Occident content de lui et invoquant sa supériorité morale pour redessiner le monde à sa main, qui ont généré les chaos récents. C’est la volonté de mettre à bas un à un les régimes autoritaires - et surtout récalcitrants -, et d’instaurer la démocratie de marché à coup de canon ou de déstabilisation, qui a ouvert un boulevard de légitimité aux mouvements de contestation les plus radicaux, sous la bannière opportuniste d’un Islam combattant la mécréance, l’apostasie, et notre prétendue décadence morale.

Mais l’orgueil prend son temps pour descendre de son piédestal. On continue donc à désinformer : un arrangement global avec Moscou favoriserait DAECH qui serait une pure création d’Assad et mettrait à mal l’équilibre stratégique en Europe. Quand en finira-t-on avec ce genre d’inepties ? Le temps presse, les gens meurent, l’Europe se sent envahie, les alliances tournent à notre détriment… et la France attaque pénalement Bachar el Assad pour crimes de guerre : un suicide diplomatique ! L’urgence n’est pas de condamner, d’absoudre ou de « réhabiliter » un « bourreau », mais de comprendre enfin où est l’ennemi direct et immédiat, de restaurer notre influence et notre marge de manœuvre diplomatique, d’abandonner la rhétorique punitive. DAECH, le Front Al Nosra, l’Armée de la Conquête, l’ASL et autres avatars ultraviolents de la contestation du monde occidental sont les facettes explosives d’un seul météorite percutant à grande vitesse notre « planète » qui ronronnait les yeux clos.

Soyons concrets :

La Russie est en train de construire une intervention militaire dont les objectifs tactiques sont, a minima, de sanctuariser le territoire syrien encore sous contrôle des forces gouvernementales ainsi que sa base navale et désormais aérienne de Tartous, et de combattre les djihadistes qui menacent de déstabilisation ses franges caucasiennes. Stratégiquement, l’ambition est plus large : être incontournable et décisif dans tout règlement régional avec des contreparties globales (Ukraine, sanctions), appuyer l’allié iranien tout en lui faisant contrepoids pour modérer ses ardeurs et son arrogance renaissante, et gêner la Turquie dans son rapprochement avec l’Arabie Saoudite.

Cette mise en place militaire se fait en convergence avec un acteur encore discret : la Chine, dont au moins un bâtiment de guerre se rapprocherait de Tartous en renforcement du dispositif russe, en parfait accord avec la technique dite du « voleur chinois ». L’axe Pékin-Moscou n’est pas seulement militaire. Il s’inscrit dans un jeu de contrepoids aux manœuvres de l’OTAN en Europe, illustre la contestation par Pékin de la présence navale américaine dans sa zone d’influence et son ambition de jouer un rôle à la hauteur de son poids économique et humain.

 

Les pays du Golfe et la Turquie, comme Israël sans doute, voient la Russie comme un contrepoids bienvenu à l’influence iranienne grandissante. De son côté, Téhéran cherche à contenir l’emprise des Etats-Unis dans le contexte d’un deal nucléaire encore soumis à quelques « réglages » qui retardent – délibérément ? - la levée des sanctions et l’ouverture du marché iranien à la fringale occidentale. Après avoir claironné la découverte d’un gisement d’uranium, Téhéran déclare désormais ne pas se considérer tenu par l’annexe B de l’accord nucléaire (JCPOA) de juillet dernier, repris par la résolution onusienne (2231), annexe qui entend limiter son programme de développement ou d’acquisition de missiles. Bref, rien n’est réglé, les enchères montent de toutes parts, certains dans la salle ont plus de poids que d’autres, et le Commissaire-priseur reste introuvable…

Soyons ambitieux :

Au lieu de nous satisfaire d’un strapontin en version éjectable à la table de ce grand jeu, pourquoi ne pas faire un peu d’histoire et nous souvenir que nous avons eu mandat sur la Syrie et le Liban (où l’Iran prise toujours notre influence). Le Liban, dont l’équilibre communautaire et politique fragile est mis à mal par la crise constitutionnelle et déstabilisé par la masse de réfugiés syriens (environ 1,5 million sur un peu plus de 4 millions d’habitants) doit être aidé pour sortir de cette très mauvaise passe. Aidé par la France.

En Syrie, la France pourrait participer à la constitution d’un gouvernement de transition très ouvert qui aurait pour objectif, sur une période de deux ou trois ans, de consolider l’Etat et la société fragilisés par la guerre, et d’en finir militairement avec DAECH et consorts. Pour cela, il faut admettre que la mosaïque communautaire syrienne ne peut survivre sans la protection du pouvoir d’Assad et des siens. L’en priver pour punir « le tyran » serait la livrer à Daech et au front Al Nosra autrement dit à Al Qaida ! Veut-on cela ? L’actuel président syrien donc « fait partie du problème », mais aussi de la solution. La paix ne peut se conclure qu’entre adversaires. Au rayon des vérités douloureuses, il faut aussi admettre que si l’on en vient à une forme d’amnistie pour les crimes commis de part et d’autre - et il le faudra si l’on veut un règlement qui tienne -, cela ne signifie pas pour autant une amnésie.la encore, il ne faut pas tout confondre mais comprendre que le sort politique et physique du clan Assad est la condition sine qua non de pourparlers efficaces.

 

La France peut trouver une place importante dans ce puzzle, pour peu qu’elle fasse sauter les verrous et les tabous d’un discours dogmatique qui l’a dramatiquement marginalisée jusqu’ici. Elle peut rassembler les diverses parties autour d’un projet de traité international prenant la mesure de la nouvelle donne politique et sécuritaire de la région. Les équilibres de la fin de la seconde guerre mondiale ont vécu. Il faut faire du neuf. Toute crise est aussi une opportunité.

Auteur : Caroline GALACTEROS
Administratrice de l’ASAF
Source : Le Point.fr

 

Source : Caroline GALACTEROS