LIBRE OPINION de Caroline Galacteros: Le crépuscule des idoles

Posté le mardi 14 avril 2015
LIBRE OPINION de Caroline Galacteros: Le crépuscule des idoles

Le "modèle" occidental a vécu : dans le choc des civilisations en cours, face à nos ennemis, il est urgent de rétablir le sentiment d'appartenance à la nation.

Le "choc des civilisations" dont on entend parler n'est pas un argument abstrait qu'on peut admettre ou balayer d'un revers de main. C'est une réalité. Celle d'une collision violente entre la conception démocratique occidentale de l'après-guerre et un processus d'ouverture tous azimuts et de décloisonnement géopolitique du monde, donc d'explosion de modèles concurrents, processus amplifié par l'explosion de l'individualisme et du mercantilisme qui ont fini par dénaturer les concepts de liberté et d'égalité. Un monde se meurt, celui d'un Occident référent et révéré. Nous avons donc un problème de "modèle", de norme politique et morale. Le nôtre n'est plus opératoire. Son universalisme ne s'impose plus comme une évidence. Les inconséquences de nos démocraties s'exposent urbi et orbi et les menacent de dissolution identitaire et d'obsolescence.

Pour rétablir l'attractivité de ce modèle occidental et d'abord extraire notre pays de l'ornière dans laquelle il est en train de disparaître, il faut oser une réforme profonde. Rétablir le sentiment citoyen (via notamment un service civique obligatoire), et revenir pragmatiquement sur les sacro-saints "acquis sociaux" devenus parfaitement anachroniques et suicidaires dans un pays qui sombre dans l'inactivité de masse alors qu'il a tant d'atouts et de force créative. Il faut redonner à chacun une utilité dans la nation, reconnecter l'effort et la récompense, le travail et l'argent, la Nation, le territoire, la souveraineté et la fierté d'une identité sûre d'elle-même et cohérente, généreuse pour ceux qui en acceptent les attendus, intraitable pour ceux qui les bafouent. Discours trop conservateur ? Les conservateurs sont justement ceux qui persistent à nous endormir au bord du précipice.

Deux modèles

Pour sortir de notre bocal et regarder ce qui se fait ailleurs, penchons-nous un instant sur deux expériences politiques, qui se disent aussi "démocratiques", et qui, ne nous en déplaise, affichent des taux d'adhésion populaire et de résilience nationale à faire pâlir (en dépit de tous nos efforts pour les déstabiliser) : la "démocratie souveraine" russe et la synthèse spécifique expérimentée par les Chinois d'une "économie socialiste de marché".

On criera au scandale. Quelle comparaison indécente ! Comment s'inspirer de tels modèles jugés chez nous si imparfaits et immatures démocratiquement ! Certes, ils ne sont pas aisément transposables à nos univers occidentalisés et ont leurs revers. Mais ils tentent, chacun à leur manière, de réunir leurs peuples respectifs autour d'une conception positive de l'identité nationale qui assume tous les méandres de l'histoire du pays et les inscrit dans une continuité. Ils voient leur spécificité comme un atout non soluble dans un environnement mondial à la fois globalisé et divers.

Alliage national

Surtout, leurs autorités politiques affirment, en paroles et en actes, vouloir protéger leurs populations d'influences extérieures trop marquées ou conquérantes. Car, à leurs yeux, la diversité culturelle ou religieuse ne se confond pas avec le mélange indiscriminé de tout et tous. Ce qui fait que l'on se sent russe ou chinois, et non français, allemand ou américain, et que l'on adhère à une vision du monde et du rôle de l'État devant à la fois nous protéger de la brutalité du monde extérieur sans brider nos énergies personnelles est fondamental.

La spécificité nationale est ici conçue, non comme une scorie démodée, mais comme un vecteur de cohésion, qui n'empêche pas l'épanouissement des intérêts individuels, mais les soumet à un projet commun. Elle peut agglomérer, en les assimilant, des "doses" d'extériorité culturelle, religieuse ou même politique, mais doit rester elle-même. La composante souveraine de l'identité nationale y est donc délibérément valorisée, à rebours de tout le cheminement européen qui a abouti à la paralysie politique et à l'insignifiance stratégique que l'on sait. Il est d'autant plus remarquable que ces deux États immenses, surpeuplé pour la Chine, et agglomérant peuples, cultures et religions extrêmement divers pour la Russie, aient cette conscience aiguë de la nécessité de maîtriser la composition de "l'alliage national" pour préserver leur alchimie identitaire, vecteur de résilience interne, mais aussi d'influence externe.

Ne pas vouloir plaire à tout le monde

En Occident, et notamment en Europe, cette conscience d'un "soi collectif" a disparu. On juge rétrograde l'identité des nations et on célèbre la diversité des individus. La violence du processus de mondialisation a progressivement dé-corrélé les individus de leur identité nationale et citoyenne en dévalorisant les États et les institutions autrefois protectrices des plus faibles. Si les élites, par leur capacité à se projeter partout dans le monde, peuvent s'adapter à ce recul des États et des territoires, les populations moins favorisées le ressentent comme un appauvrissement et se crispent sur une vision du territoire national comme source ultime de protection. Pour mettre en échec ces crispations identitaires, il faut paradoxalement leur faire droit, en comprendre l'origine et ne pas craindre de réconcilier identité, territoire et souveraineté.

Notre modèle démocratique, en se réformant, peut de nouveau rimer avec efficacité économique et sociale et compacité nationale et continuer à séduire les peuples. Mais cela suppose de ne pas vouloir plaire à tout le monde. Dans l'immédiat, il faut restaurer la confiance très entamée en l'État, alors que les médias ont parlé d'"un millier de lieux d'entraînement" de djihadistes sur le territoire national... Si ce chiffre est vrai, il est intolérable. S'il est faux, il doit être d'urgence démenti, sauf à faire le jeu des populistes (auxquels on laisse le monopole de la clairvoyance dans le diagnostic alors que leurs solutions sont inopérantes et dangereuses) et des terroristes, en alliance objective avec eux, qui attendent de voir s'installer un climat de guerre civile et de confrontation entre enclaves ethnico-religieuses. Car le but du djihadiste et de ses parrains, proches ou lointains, est de faire peur, de nourrir le sentiment anti-musulman, de monter les communautés les unes contre les autres pour saper l'équilibre politique et social de notre pays et le déstabiliser.

Auteur: Caroline GALACTEROS*
Administratrice de l'ASAF
Source Le Point

 

* Caroline Galacteros est docteur en sciences politiques et dirige le cabinet de conseil en intelligence stratégique "Planeting"

Source : Le Poiint