LIBRE OPINION de Denis Tillinac

Posté le mercredi 10 juin 2015
LIBRE OPINION de Denis Tillinac

 

 

 

Parlez-nous de la France (Extraits)

 

… On ne sortira pas la France de sa déprime avec un peu plus de croissance, un peu moins de chômage. Puissent-ils aussi nous épargner les litanies d’usage sur les "valeurs républicaines". On permettra à un écrivain d’être un peu sourcilleux sur le sens des mots.
 
Les "valeurs républicaines", ça n’existe pas.
La république est un principe d’organisation politique à géométrie variable, pas une valeur. Elle ne recèle en soi aucune vertu morale. Par pitié, que la droite laisse le clergé gaucho battre de l’aile dans son panier sémantique percé et aborde enfin ce qui nous touche au plus intime : l’identité de la France.

L’historien Pierre Nora, peu suspect de sympathies réactionnaires, signifiait clairement ces jours derniers dans les pages du Figaro que notre vieux pays a perdu ses ancrages. Ça se voit, ça se sent, ça s’entend dès qu’on se hasarde hors du Quartier latin ou du faubourg Saint-Honoré. Cette dépossession est-elle irrémédiable ? Doit-on se résigner à subir un multiculturalisme à la botte de minorités récriminantes ? Dissoudre notre héritage chrétien et notre fond de sauce culturel catho dans un brouet syncrétiste où tout s’équivaudrait sur les étals du consumérisme ? Réduire la France aux acquêts d’un agrégat de Länder comme le préfigure sa découpe en zones abusivement qualifiées de régions ? Sommes-nous condamnés à survivre dans un espace aléatoire où, sous couvert de compassion pour les déshérités, des individus hors sol camperont dans la pire acculturation, celle qui nourrit les rancœurs et prédispose au nihilisme ? La France est-elle vouée au destin accessoire d’un canton touristique dans la gigue du cosmopolitisme mondialisé ? L’air du temps prédispose à ce déni de mémoire et au fatalisme qui l’accompagne.

…La France n’est pas née de la dernière pluie et ne sera jamais une société anonyme. Seize siècles d’histoire-géo ont déterminé un patrimoine spirituel, intellectuel, esthétique, paysager, architectural, gastronomique. Il existe un art de vivre à la française, des tours d’esprit, des formes d’humour, un mode de sociabilité, un attachement aux terroirs, un type de relation masculin-féminin, un corpus mythologique qui nous singularisent. Et nous obligent. La pérennité de ce legs fastueux est menacée à brève échéance par la déshérence de la ruralité, l’anémie des villes moyennes, la décomposition du tissu familial, l’anarchie dans les banlieues, la précarité économique et psychologique des classes moyennes, et, osons le dire, l’impact des flux migratoires. On ne conjurera pas cette menace à coup de rengaines bigotes sur les "valeurs républicaines", la "citoyenneté" ou le "vivre ensemble" mais en initiant une politique radicalement alternative.
 
C’est facile d’ironiser sur les fantasmes éradicateurs de Mme Vallaud-Belkacem. Moins facile d’inculquer à la jeunesse française de vraies valeurs indémodables : le sens de l’honneur, de la mémoire, de l’élévation, du respect d’autrui, de la probité, du courage, de la politesse, de la gratuité, du contrôle de soi, de la pudeur. Sans oublier le sens de la grandeur de la France, qui hisse notre patriotisme à une certaine altitude et ne se mesure pas à l’aune d’un PIB. Les pédagos désemparés seraient ravis de redonner un sens à leur mission, ils en ont marre d’accommoder les restes d’une démission collective. À tous les étages de notre vie publique, les acteurs en ont marre de ramer sans boussole ni gouvernail. Quoi que prétendent les stratèges, les communicants et les technos, quoi qu’affirment les sondages, les angoisses d’ordre identitaire et moral sont plus profondes que les tracas liés aux essoufflements de notre économie. Elles sont difficilement quantifiables, et les sociologues échouent à les cerner. Elles n’en sont pas moins prégnantes. Angoisse et peur font la paire : le peuple français a peur de perdre à tout jamais le pays de ses ancêtres, rien de moins. Déjà il a du mal à en reconnaître l’architecture mentale dans les incantations des "élites". Lui restituer ce qui lui appartient, voilà l’urgence politique par les temps orageux qui courent.
L’âme de la France est en pénitence, il faut redorer fièrement ses blasons pour que renaisse une espérance. Il faut un vaste ressourcement pour rassurer les Français et ensoleiller l’avenir.

Denis Tillinac

Source : Le Figaro