LIBRE OPINION de Dominique BAUDRY: un combat dans la jungle.

Mais qui donc pourra réunir cette double vertu du bon citoyen et de l’honnête homme ? s’interrogeait Aristote. Lorsqu’on est ni officier général, ni encore moins philosophe, mais tout simplement citoyen avec un peu de rationalité, on ne peut manquer d’être surpris par l’ «affaire du général» qui s’est déroulée à Calais en ce début février 2016. Dans un système où la communication oblitère les idées, la parole politique perd beaucoup de son sens et soulève des questionnements. Mais qu’allait donc faire ce général dans cette galère ? Et pourquoi le gouvernement a-t-il choisi de faire de son interpellation un exemple d’autorité publique ? Comment enfin la tyrannie médiatique de l’instantané a-t-elle conduit à un tel déferlement d’outrances écrites, notamment sur les réseaux sociaux?
De ce faisceau d’interrogations sont nés une conviction et un sentiment. La conviction est que l’esprit de défense repose sur un concept partagé qui n’est pas uniquement rattaché à l’armée. Le sentiment est celui d’avoir à défendre en commun un patrimoine culturel, une population, un territoire ou une certaine conception du droit international qui n’a rien de spécifiquement militaire. Il s’agit de partager un patrimoine de valeurs qui appartiennent au « pacte républicain » et à la notion de « vivre ensemble » qui en découle. Les traditions et les approches en matière de citoyenneté ont, non seulement évolué avec le temps, mais sont également multiples selon les pays, l’histoire, les sociétés, les cultures et les idéologies. Ces débats ne sont pas nouveaux. La volonté de supprimer les divergences d’opinion et tout ce qui est jugé immoral, hérétique ou insultant a toujours traversé l’histoire sociale, religieuse et politique. « Se rebeller est juste, désobéir est un devoir, agir est nécessaire ! » Cette devise, qui constitue l'un des mots d'ordre les plus fréquents des mouvements contestataires aujourd'hui, en France, comme à l’étranger, condense, du fait même de son caractère lapidaire, l'état d'esprit rebelle. La conviction est celle, philosophique, d'être dans le bon droit, au-delà, voire en violation, du droit ordinaire, au nom d'une morale supérieure. Le militant adopte cette posture au nom de cette conviction puis estime devoir agir et s'organise en conséquence. On pourrait presque dire « s'arme en conséquence », si le terme ne risquait pas d'être exclusivement interprété dans un sens guerrier. (Extraits d’après France rebelle, Paris, Michalon, 2006 co-écrite avec Isabelle Sommier)
L’insatisfaction du rebelle peut se transformer en action concrète, qui est toujours une prise de risque à des degrés variables selon la nature de sa rébellion et celle du pouvoir qu'il défie par son geste. Il encourt, comme on l’a observé à Calais, le risque de l'isolement vis-à-vis de la communauté d'appartenance ou le risque de la stigmatisation pathologique ; « c'est un fou, c'est un marginal ». Enfin, il encourt juridiquement la répression institutionnelle. Parce qu'il s'oppose ou transgresse, le rebelle s'expose à une confrontation avec les représentants de l'ordre qu’il défie. Le vocabulaire juridique ne s'y trompe pas puisqu’il réserve le terme de rébellion « aux violences et voies de fait opposées à un agent de la force publique agissant dans l'exercice de ses fonctions ». Pour autant, le thème de la rébellion, et surtout la figure du rebelle, sont historiquement parmi les plus fertiles pour les artistes et écrivains. Ils fournissent à la littérature des classiques tels Antigone de Sophocle, Les Misérables de Victor Hugo, Etienne Lantier au Germinal d'Emile Zola, ou d’autres encore. Ils offrent leurs principaux héros aux cultures populaires, de Mandrin à Robin des Bois et, plus près de nous, aux mouvements des « Indignés ». Le « romantisme conservateur » qui a pu sous tendre les évènements de Calais ne vise pas à rétablir un passé lointain mais probablement à maintenir un état traditionnel de la société. Ce désir de statu quo est cependant toujours alimenté par une critique ou une peur de la modernité au regard des valeurs passées.
En s’engageant pour son pays, le militaire choisit d’embrasser un métier exigeant, qui lui demandera un sens profond des valeurs humaines, certaines innées, d’autres acquises, et peut-être le sacrifice de sa vie. « Le métier des armes n’est pas un métier comme les autres, il est fait du sens du devoir, de l’esprit du sacrifice et de l’amour de la patrie, de l’appel de la discipline. Il exige du dévouement, il recommande du courage car il comporte l’acceptation du risque », assure le président de la République, le 14 juin 2012, lors de l’hommage national aux soldats tombés en Afghanistan. Chacun pensera que ces mots sont rassurants pour l’Institution. En revanche nombreux, légitimement, marqueront leur incompréhension des attitudes individuelles diverses et les rudes affrontements épistolaires pendant les soubresauts de ce qu’il convient d’appeler, « la crise de Calais ». Ces excès, pour beaucoup irrationnels et peu valorisants, ont pu faire croire un instant aux observateurs, que nous étions revenus sous la IIIème république, lorsque le préfet Eugène Poubelle, si célèbre par ailleurs, avait fait condamner le président de la société de courses de Marseille pour « offense par regard ».
Dominique BAUDRY
Adhérent ASAF