LIBRE OPINION de Jacques BENILLOUCHE : En Israël, la tentation d'un État binational qui annexerait la Cisjordanie.

Les Palestiniens de demain seront-ils les Bédouins d'aujourd'hui ? La droite israélienne semble en tout cas avoir enterré la solution à deux États.
Dans le fameux discours de juin 2009 à l’université Bar Ilan, Benjamin Netanyahou avait accepté du bout des lèvres le principe de deux États pour deux peuples: «Si nous recevons des garanties sur la démilitarisation et si les Palestiniens reconnaissent Israël comme l'État du peuple juif, alors nous parviendrons à une solution basée sur un État palestinien démilitarisé au côté d'Israël».
Cela avait fait l’effet d’une bombe auprès des nationalistes juifs qui refusent le principe même d’un État palestinien. D’ailleurs à la veille des élections législatives, le 9 mars 2015, le Premier ministre israélien avait cherché à ménager son électorat d’extrême-droite en déclarant: «Le discours de Bar Ilan sur la solution à deux États n'est plus pertinent dans la réalité actuelle du Moyen-Orient.» Cette solution n’est plus à l’ordre du jour en Israël.
Le cauchemar d’Israël
Aujourd’hui, beaucoup de voix à l’extrême droite s’élèvent au sein du gouvernement de coalition pour réclamer l’annexion pure et simple à Israël de grands pans de la Cisjordanie, en particulier la zone C définie par les accords d’Oslo. Cette zone, représentant 60% de la Cisjordanie et peuplée de 150 000 Palestiniens, inclut les principales grandes implantations actuellement sous le contrôle total d’Israël sur le plan de la gestion et sur le plan sécuritaire. Les zones A et B sous contrôle palestinien sont considérées à part mais aucune autonomie, même partielle, n’est prévue. Il n’est pas question pour ces zones d’y permettre l’édification d’un État indépendant.
Naftali Bennett, ministre de l’Éducation et leader du parti de la droite sioniste religieuse, le Foyer Juif, vient de déclarer le 7 octobre: «Le chemin des concessions, le chemin de la division a échoué. Nous devons donner nos vies pour étendre la souveraineté d'Israël en Cisjordanie». Cette position n’est pas nouvelle mais elle s’exprime à présent non pas uniquement par les activistes mais de manière officielle par un ministre.
Il ne s’agit ni plus ni moins d’envisager un État binational où devraient cohabiter Juifs et Arabes. L’ancienne ministre centriste Tsipi Livni a immédiatement réagi en critiquant ces propos: «Le rêve de Bennett et de la minorité qu'il représente est le cauchemar d'Israël et de tout le peuple israélien: un État avec une majorité arabe et un conflit violent en continu».
L’option de l’État binational est prônée ouvertement par la droite nationaliste et par les Juifs religieux. Mais il s’agit uniquement de l’annexion des territoires et non des populations. Les Arabes de Cisjordanie n’auraient qu’un statut de résidents, le même qui s’applique aux Arabes de Jérusalem annexés en 1980. Certes ils bénéficieraient de droits sociaux mais pas de droits politiques. Ils pourraient obtenir la nationalité israélienne qu’à certaines conditions draconiennes comme la reconnaissance de la nature juive de l’État.
Ainsi, 400 000 Israéliens prendraient en main l’avenir de 2,3 millions de Palestiniens de Cisjordanie qui seraient intégrés à la société israélienne par paliers, sur une durée de trente ans. Durant cette période, ils resteront des citoyens de deuxième zone, sans nationalité, sans obligation de service militaire et sans opportunité dans les emplois sécuritaires et industriels. Compte tenu d’un taux de fécondité de la population arabe de Cisjordanie de 4,1, alors qu’il est de 3 en Israël, le déséquilibre sera évident à court terme, de quoi enlever au pays son identité juive. Israël deviendrait alors le New York du Moyen-Orient, cosmopolite et multiculturel, écornant l’idéologie du sionisme historique.
Les Bédouins du Néguev
Il n’est pas difficile d’imaginer le sort qui sera fait à ces Palestiniens puisque, sur plusieurs points, il sera assimilé à celui, actuel, des Bédouins du Néguev. Israël connaît déjà le problème de la mauvaise intégration de ces populations arabes. Le drame des Bédouins du Néguev, qui disposent pourtant de la nationalité israélienne depuis la création de l’État en 1948, pourrait préfigurer le sort qui sera fait aux populations palestiniennes annexées dans un État binational. Les Palestiniens de demain, avec les restrictions qui leur seront appliquées, seront à tous égards les Bédouins d’aujourd’hui.
Le Néguev constitue 60% de la surface de l'État d'Israël mais n'abrite que 8% de sa population, dont une forte communauté de Bédouins (25% de la population régionale). Les Bédouins, qui sont des Arabes israéliens soumis au service militaire, sont estimés à plus de 200 000 personnes. Les gouvernements israéliens successifs, ont appliqué des mesures pour forcer 70 000 d’entre eux à quitter 45 villages qu’Israël refuse de reconnaître. Ces «villages non-reconnus» créent un malaise qui n’arrive pas à s’estomper. Le but final était bien sûr d’allouer les terres arabes libérées à des fermiers juifs. La situation est encore conflictuelle entre les autorités israéliennes et la population bédouine, et des incidents se déroulent de manière récurrente.
Prolétariat urbain
Cette stratégie était officielle puisque Moshe Dayan, l’avait détaillée dans une interview dans Haaretz le 31 juillet 1963: «Nous devrions transformer les Bédouins en prolétariat urbain dans l'industrie, les services, la construction et l'agriculture. Quatre-vingt pour cent de la population israélienne ne sont pas des fermiers; que les Bédouins soient comme eux. Cela sera un changement radical, qui signifie que les Bédouins ne vivraient pas sur leur terre avec leurs troupeaux, mais deviendraient des habitants des villes qui rentrent chez eux le soir et mettent leurs pantoufles.. .Les enfants iraient à l'école, les cheveux correctement peignés. Ceci serait une révolution, et elle peut être accomplie en deux générations. Sans coercition mais avec une direction claire... Le phénomène bédouin disparaîtra.»
C’est ainsi que les Bédouins d'al-Naqab ont vu leurs terres confisquées ce qu’il adviendra certainement des terres palestiniennes de Cisjordanie. Le gouvernement israélien avait usé de méthodes coercitives dans les années 1960/70 en créant sept villages, sans consulter les Bédouins qui furent forcés de s’y installer. Les autorités israéliennes justifiaient leur politique par une meilleure planification et une meilleure répartition des ressources. Malgré cette volonté de planification, les Juifs n’ont jamais été pressés de s’installer au Néguev, aujourd’hui encore vide. Or, avec un taux de fécondité de 5%, la population bédouine atteindra 320 000 personnes en 2020.
Il est vrai que le leader historique d’Israël avait voulu donner l’exemple en s’installant lui-même en plein milieu du désert, à Sde Boker, mais il avait été peu suivi tandis que les pionniers juifs d’aujourd’hui préfèrent la Cisjordanie, une terre plus imprégnée d’Histoire biblique. Il avait pourtant donné le ton très tôt.
David Ben Gourion avait écrit à son fils Amos le 5 octobre 1937: «La terre du Néguev est réservée aux citoyens juifs, quand et où ils le veulent… Nous devons chasser les Arabes et prendre leur place… et si nous devons utiliser la force, alors nous avons la force à notre disposition –pas pour déposséder les Arabes du Néguev et les transférer mais pour garantir notre propre droit à nous installer dans ses lieux.»
La politique israélienne consistait à judaïser le Néguev comme demain la Cisjordanie afin de modifier la majorité juive dans certaines régions. Il est fort probable qu’à l’instar de la politique appliquée aux Bédouins, les mêmes mesures soient appliquées à la minorité palestinienne de Cisjordanie, sous prétexte de la regrouper tout en brisant la continuité géographique entre les populations. En appliquant un plan de sédentarisation forcée, Israël a regroupé les Bédouins dans deux nouveaux villages, Tel Sheva en 1969 et Rahat en 1972, qui devenaient le lieu idéal pour une main d’œuvre à bas prix, sans concertation avec les communautés bédouines.
Travailleurs salariés
L’annexion de la zone C permettra un développement de nouvelles implantations sur des terres arabes. Dans ce cas, la loi israélienne s’appliquera en Cisjordanie, en particulier la clause n°1 de la Loi de Fondation de la Terre d'Israël: «La propriété des terres d'Israël, les terres de l'État, de l'Administration du Développement ou du Fonds National Juif, ne pourra être transférée, ni par vente ni d'aucune autre façon». Ce qui ouvre des perspectives de transferts de populations.
Aujourd’hui, les Bédouins, qui vivaient d’agriculture et d’élevage au Néguev ont été contraints de devenir des travailleurs salariés avec l’objectif masqué de supprimer leur lien à la terre. Il est fort probable que la terre et le bétail ne seront plus les moyens de vivre des Palestiniens de Cisjordanie dont on limitera les déplacements pour les encourager à s’exiler. Sans s’en cacher, les nationalistes comptent utiliser tous les moyens de pression pour se débarrasser d’eux parce qu’ils sont conscients, au fond d’eux-mêmes, qu’ils ne pourraient se satisfaire d’une cohabitation avec une majorité arabe. L’eau sera un moyen de pression. En Israël, la Compagnie des Eaux a le pouvoir de fixer les prix et d’autoriser les raccordements. Elle fera donc la pluie et le beau temps en Cisjordanie annexée comme elle le fait actuellement dans les «villages bédouins non-reconnus».
Les nationalistes sont convaincus qu’ils pourront éviter à Israël de perdre son identité juive s’ils arrivent à user de tous les moyens pour encourager les départs d’Arabes. Ils sont patients et se donnent trente ans pour modeler une nouvelle image juive de la Cisjordanie. Comme c’est le cas au Néguev, ils pourraient interdire la construction d’infrastructures pour l’eau, l’électricité, les routes, les services de santé et les écoles avec à la clef une augmentation des taux de pauvreté et de chômage dans les villages bédouins qui, pour certains, ont été exclus des statistiques du gouvernement.
C’est ainsi que la communauté bédouine, qui fournit les meilleurs éclaireurs à Tsahal, est l’une des plus pauvres d’Israël, qu’elle souffre du plus haut taux de chômage de 60% à comparer aux 5% de l’État d’Israël. Elle dispose de la moitié du revenu mensuel national. À Rahat, la principale ville bédouine reconnue, le revenu mensuel moyen d'une famille est égal à 38 % du revenu moyen d'une famille juive.
C’est ce qui attend les Palestiniens de Cisjordanie lorsqu’ils seront annexés par la volonté du Likoud et des nationalistes juifs.
Mais ils sont plus nombreux, déjà armés et surtout bien organisés. La Cisjordanie deviendra une poudrière.
Jacques BENILLOUCHE