LIBRE OPINION de Jean GUISNEL : Le casse-tête financier de la modernisation de la dissuasion nucléaire.

Posté le samedi 14 mai 2016
LIBRE OPINION de Jean GUISNEL : Le casse-tête financier de la modernisation de la dissuasion nucléaire.

Dès 2020, la dissuasion va coûter de plus en plus cher. Et les besoins doubleront à partir de 2025, à 6 milliards par an. Comment faire ?

 

Un an avant l'élection présidentielle, la perspective d'une addition particulièrement salée pour la modernisation des armements nucléaires français commence à agiter les esprits. L'équation est connue depuis un an : à partir de 2020, et à condition que la décision politique soit prise de lancer ces nouveaux armements, toute une série d'études vont devoir être mises en route. Celles-ci auront dès 2020, au milieu du prochain quinquennat, un impact fort sur le budget de la Défense, dans des proportions qui ne sont pas encore précisées. Cinq ans plus tard, en 2025, le pic de ces dépenses sera atteint et le budget du nucléaire militaire s'installera pour plusieurs années dans les sommets. Montant de la douloureuse : 6 milliards d'euros par an, au bas mot. Soit près du double du budget nucléaire militaire actuel. Qui représente à ce jour, avec 3,4 milliards par an, 20 % environ du budget d'équipement des armées et 10 % du budget global.

 

À ce stade, François Hollande n'a rien décidé, sinon de maintenir la force nucléaire à deux composantes, les sous-marins nucléaires lanceurs d'engins d'une part et de l'autre les missiles ASMP emportés par les Mirage 2000 et les Rafale. Le prochain occupant de l'Élysée devra prendre des décisions lourdes. Elles sont d'ailleurs préparées, selon un calendrier non officiel, mais qui est celui des armées. Il n'est plus secret, puisque nous le détaillons avec Bruno Tertrais dans un ouvrage récent, Le Président et la Bombe (Odile Jacob). Que prévoit-il ?

Camosis ou Prométhée ?

En premier lieu, le prochain président devra décider, dès 2017, de lancer, ou pas, les études pour l'ASN4G, le futur missile des FAS (Forces aériennes stratégiques) et de la FANu (Force aéronavale nucléaire). À ce stade, deux candidats sont en lice, l'un très furtif, l'autre hyper-rapide, qui font appel à des technologies différentes. Le premier est Camosis, présenté par l'Onera. Le second Prométhée, poussé par MBDA. En 2018, ce sera la fin de l'escadron de Mirage 2000N nucléaire, ces avions étant tous remplacés par des Rafale. Airbus livrera également les deux premiers ravitailleurs A330 MRTT Phénix, qui remplaceront deux Boeing KC-135 en dotation dans l'armée de l'air depuis 1964. Cette année-là verra également la fin de l'adaptation du troisième SNLE, Le Téméraire, au missile M-51. Si tout se déroule comme prévu, la construction du premier sous-marin lanceur d'engins de troisième génération (SN3G) commencera à Cherbourg en 2019. C'est alors que le budget s'envolera, car cette série est le plus énorme morceau de la modernisation prévue. Cette même année, la remise à niveau du réseau de transmission Ramses IV sera terminée. Et le deuxième axe de la machine de simulation Epure entrera en service. La Fost compte quatre SNLE, mais seulement trois lots de 16 missiles M-51, puisque l'un des navires se trouve toujours indisponible, en entretien de longue durée. En 2020, le dernier lot de missiles M-51.1 sera remplacé par le modèle M-51.2. Opérationnel depuis 2010, l'actuel missile air-sol ASMP-A commencera à être rénové à mi-vie en 2021. Et le calculateur du CEA Exa-1, destiné à la simulation, commencera ses séries de calculs.

On parle déjà de 2022

En 2022, si le président élu cette année-là en décide ainsi, commenceront les études des futurs missiles stratégiques M-51.4, qui doteront dans le long terme les nouveaux sous-marins SN3G. Et la conception de la nouvelle tête nucléaire qui les équipera commencera elle aussi à être étudiée. Le troisième axe de la machine Epure entrera en service. En 2025, le missile M-51.3 sera « admis au service actif », selon la formule consacrée. Et le missile successeur de l'ASMP, dont les options technologiques seront décidées en 2017, verra ses études commencer. Entre-temps, les industriels retenus auront exploré sa faisabilité, qui n'existe aujourd'hui qu'au stade du concept. En 2026, le dernier Boeing C135 sera envoyé à la ferraille, alors que le XXX et dernier A330 MRTT Phénix sera livré. 9 ans plus tard, en 2035, est prévue la livraison du premier missile successeur de l'ASMP, 18 ans donc après le choix qui doit être fait l'an prochain. L'actuel SNLE Triomphant sera retiré du service et le premier SN3G prendra la mer pour sa première patrouille. 64 ans après celle du premier SNLE français, Le Redoutable, en 1971. Le retrait des actuelles têtes nucléaires TNA et TNO est aussi prévu à cette période. 2040 verra la fin du porte-avions Charles de Gaulle. Et en 2048, dans 32 ans donc, le quatrième SN4G prendra la mer. Son premier commandant entrera en septembre prochain en grande section de maternelle.

 

Un débat budgétaire tendu

Du point de vue des armées, cette modernisation des forces nucléaires n'est pas une option, dès lors que la politique de dissuasion demeure la clé de voûte du système militaire français. Mais tout le monde est conscient que la cinquantaine de milliards d'euros nécessaires pour financer cet effort sur une douzaine d'années bute sur un manque criant de capacités financières. Il n'existe en fait que trois éventualités. La première n'est autre qu'un renoncement à ces programmes. La deuxième consiste à proposer que ces budgets énormes soient pris sur l'armement conventionnel. Cette hypothèse est toutefois peu sérieuse, car le nucléaire contribue pour une part non négligeable à l'environnement des forces classiques. La troisième possibilité, qui a la préférence de tous ceux - militaires et politiques - qui ne tiennent pas le cordon de la bourse, consisterait à augmenter le budget de la défense à due proportion des efforts de la modernisation nucléaire. Dans tous les cas, chacune de ces options aurait de lourdes conséquences et une seule chose est sûre à ce stade : la France ne fera pas l'économie d'un débat sur le sujet.

 

Jean GUISNEL


Source : Le Point