LIBRE OPINION du général de corps aérien (CR) Michel FORGET : L'INTERARMÉES ? Coup de gueule d'un aviateur.

Posté le mercredi 12 octobre 2016
LIBRE OPINION du général de corps aérien (CR) Michel FORGET : L'INTERARMÉES ? Coup de gueule d'un aviateur.

J'apprécie beaucoup le bulletin périodique de l'ASAF dont les libres propos, notamment ceux du  dernier numéro (automne 2016) sont particulièrement riches en réflexions. Néanmoins, si je devais émettre une critique, ce serait pour déplorer une certaine faiblesse dans la tonalité interarmées de cette publication. Ce  sont  en effet surtout des officiers de l'armée de Terre qui s'expriment, au point que l'ASAF pourrait être considérée  par des lecteurs irritables comme une association pour le soutien de l'armée de Terre. La cause première en est, de fait, la rareté des libres propos émis par des représentants des autres armées – et tout particulièrement de l'armée de l'Air dont les écrits se font rares ! La faute ne saurait en être attribuée à l'ASAF mais aux intéressés eux mêmes. La nécessité pour les officiers air de témoigner et de faire part de leurs réflexions est pourtant d'autant plus impérieuse que sur le plan interarmées, de sérieuses anomalies se font jour dans la structure même du haut commandement tandis que d'une façon plus générale le rôle actuel des forces aériennes de l'armée de l'air  est trop souvent minimisé, voire passé sous silence.

 

S'agissant du haut commandement, comment  ne pas être surpris  devant le fait qu'aujourd'hui tous les postes  majeurs-  je dis  tous – sont répartis entre des officiers généraux Terre et Marine : chef de l'Etat Major Particulier du Président de la République, chef d'état-major des Armées, major général des Armées, chef du cabinet militaire du ministre de la Défense et chef du cabinet militaire du Premier ministre. Il ne s'agit pas d'entretenir ou de déclencher, en relevant cette anomalie, une nouvelle guerre des boutons. Il s'agit de dénoncer une entorse évidente au caractère interarmées des structures de défense  dont il est pourtant de bon ton de se gausser. Quant aux trois derniers chefs d'état-major de l'armée de l'Air tous officiers ayant une expérience particulièrement solide sur le plan opérationnel comme  sur le plan des relations interalliées, tous  disposant d'un potentiel  encore important au moment où ils ont quitté leur poste  à la tête de leur armée, tous les trois ont été « exilés », à tour de rôle à Norfolk au poste stratégique de commandant suprême allié « transformation » de l'Otan. Ce poste est certes important  mais  il éloigne définitivement les intéressés de tout rôle au sein de nos propres armées. Le procédé est inadmissible dans la mesure où il  tend à revêtir  un caractère systématique.

 

S'agissant  du rôle de nos forces aériennes, dire qu'il est minimisé relève d'un constat indiscutable entretenu  par les medias et les écrits de certains commentateurs militaires et civils, comme cela a été – et est - le cas pour nos opérations conduites en Afrique et au Moyen-Orient.

 

À l'occasion des  opérations au Mali, bien des  commentateurs  n'ont pas eu en effet  de mots assez flatteurs  pour vanter les mérites, il est vrai, justifiés, des appareils de transport britanniques et ukrainiens intervenus au profit de nos unités. Ont été en revanche le plus souvent passés sous silence  l'engagement de nos C130, de nos Transall et de nos premiers A400M «  Atlas » -, sans même parler de nos Rafale et Mirage 2000 -  en soutien opérationnel et logistique de nos  forces terrestres. Ces dernières sont d'évidence en pointe aujourd'hui dans nos opérations africaines et il est logique qu'elles aient la primeur dans les commentaires des opérations. Ce n'est pas  une raison pour oublier ceux qui opèrent pour en assurer le soutien et l'appui et ce, dans des conditions très difficiles pour eux aussi, compte-tenu de la dimension énorme des théâtres et des conditions climatiques particulières qui y règnent. Ajoutons que  ceux qui déplorent aujourd'hui nos faiblesses réelles dans le domaine du transport aérien stratégique sont souvent les mêmes qui se sont longtemps satisfaits de la solution consistant à louer, à prix d'or et avec des restrictions d'emploi plus ou moins sévères, des avions géants ukrainiens. Ainsi, a longtemps été masqué le besoin pourtant criant de nos armées en appareils de transport à grande capacité et à très long rayon d'action !

 

L'opération Chammal, en cours, donne un exemple  encore plus marquant d'une information biaisée concernant nos forces aériennes. Déclenchée en septembre 2014, cette opération s'est traduite sur le plan aérien, on le sait, par l'intervention de Rafale et de Mirage 2000D de l'armée de l'Air répartis entre la base sise aux Émirats et une base « projetée » en Jordanie. Soit au total entre douze et quatorze appareils à très haute performance [1]qui  depuis septembre 2014, c'est à dire depuis deux années opèrent sans discontinuer au dessus de l'Irak et depuis août 2015 également au dessus de la Syrie pour des missions de frappes et  de recueil du renseignement. Au total, le nombre de frappes s'élève aujourd'hui à plus de neuf cent dont  85% effectuées par les appareils de l'armée de l'Air et celui des heures de vol à près de dix mille.

Dès le début d'un tel engagement, les commentateurs n'ont eu de cesse  de proclamer  que ces frappes « ne servaient à rien » puisqu'il n'y avait pas de troupes au sol, affirmation qui relevait davantage d'un esprit de chapelle que d'une analyse sérieuse de la situation et qui  en outre n'allait pas tarder à se révéler fausse. En effet,  des renseignements ont filtré ici et là selon lesquels la plupart des missions effectuées étaient des missions de « close air support », c'est à dire d'appui rapproché...Il y avait donc des unités au sol dont l'origine était - et reste – en toute logique confidentielle. Silence  des commentateurs ! 

En revanche, lorsque notre porte-avions a été engagé, d'abord en février 2015 pour deux mois puis fin novembre 2015 pour quatre mois, et aujourd'hui pour environ un mois, l'action aérienne n'a pas manqué et ne manque pas d'être présentée  par les mêmes commentateurs comme étant décisive et ce, à grand renfort d'images de catapultages et d'appontages largement diffusées par les medias. Tant mieux pour les camarades marins. Tout se passe cependant comme si le fait d'être projetés à partir d'une base flottante  transformait nos aéronefs jusqu'ici inopérants car basés au sol en redoutables moyens de destruction.

Il ne saurait être question de nier l'importance du soutien qu'apporte, par périodes, notre groupe aéronaval dans la conduite des opérations aériennes au Moyen Orient. Ce n'est pas une raison pour passer outrageusement sous silence la permanence de l'action aérienne  assurée depuis deux ans par les détachements « Air » de Jordanie et des Émirats... lesquels ont engagé depuis plus d'un an la bataille de Mossoul  en consacrant la plupart de leurs frappes et de leurs raids de reconnaissance dans le secteur de cette ville. Chaque armée a ainsi sa place et son rôle spécifiques, armées dont la complémentarité dans l'action confère à cette dernière son véritable caractère interarmées et en garantit l'efficacité.

 

Cet article n'a pas d'autre but que celui d'inciter l'ASAF à  échapper aux dérives ainsi dénoncées. Il y va des officiers de l'armée de l'Air eux mêmes, notamment ceux qui ont quitté le service actif  et dont les libres propos sont attendus. Il y va aussi des officiers des autres armées dont le regard qu'ils portent sur l'armée de l'Air et sur son poids dans  la conduite des opérations pourrait être sans aucun doute mieux reconnu.

 

 

Général de corps aérien (CR) Michel FORGET

 

 


[1]Auxquels s'ajoute un ATL2 de l'aéronaval pour des missions de renseignement et de guidage

Source : Général de corps aérien (CR) Michel FORGET