LIBRE OPINION de Patrick PELLOUX : Le Dormeur du Val

Posté le lundi 20 juillet 2015
LIBRE OPINION de Patrick PELLOUX : Le Dormeur du Val

Rimbaud a sans doute laissé quelque chose sur le boulevard du Montparnasse, coincé entre l'hôpital Cochin et des immeubles haussmanniens, entre des rues parisiennes agitées avec des gens pressés et une caserne de pompiers. Caché par un camouflage de grands arbres, il y a un grand hôpital que tout le monde connaît depuis la Révolution : le Val-de-Grâce. Bien sûr, la boutade va de soi : la médecine militaire est à la médecine civile ce que la musique militaire est à la musique. Mais cette blague ne marche ni au pas cadencé ni chez les comiques. Souvenez-vous des puissants qui venaient du monde entier se faire soigner au Val-de-Grâce comme s'il était un hôpital ambassadeur de la qualité de la médecine française. Du simple soldat, du marin à l'aviateur, du militaire retraité et aussi des civils, il pouvait accueillir tout le monde. Plus d’une fois, lorsqu’en urgences, les hôpitaux civils débordaient, cet hôpital recevait les malades avec humanité et compétence.


Les puissants s'y sentaient rassurés et les politiques protégeaient cet hôpital, car ils n'étaient pas certains de finir ministres, mais ils savaient que probablement un jour ils iraient au Val-de-Grâce. Des attaques nucléaires aux regards indiscrets ou des violations du secret médical, la «Grande Muette» savait tout protéger dans cet hôpital.

Souvenez-vous des images des journalistes en cas de drame politique ou d'attentat devant le Val-de-Grâce, cherchant à meubler le manque d'informations. Le suicide de Pierre Bérégovoy, l'accident vasculaire cérébral de Chirac, le malaise de Sarkozy... tout le monde y venait. Où iront-ils désormais ? Sûrement pas dans la salle d'attente des urgences!

 A l'heure où notre pays est entré dans une guerre terroriste sournoise, effroyable, avec en plus de nombreuses opérations extérieures, fermer le Val-de-Grâce ne me semble pas une bonne idée. Une fois de plus, les économies l'emportent sur la réalité et les besoins des soldats, de la population. Je ne sais pas comment évoluera la guerre, mais les hôpitaux militaires ferment les uns après les autres depuis des années. La médecine a besoin de la chirurgie militaire et notamment traumatologique, viscérale et maxillo-faciale, sans oublier la compétence en anesthésie des  grands traumatismes, sans écarter la psychiatrie militaire, qui a apporté beaucoup pour la prise en charge des psycho traumatismes, ou encore la rééducation des grands traumatisés cérébraux ou orthopédiques...

L'autre jour, nous sommes allés transférer un des derniers malades du Val. Il était dans le coma et dormait. Le personnel était là, des aides-soignants, des infirmières, des médecins... Tous compétents et dévoués à leurs tâches comme à leur hôpital. Ils avaient toutes et tous un sourire triste, de ceux qui ont fait du bon boulot jusqu'au bout, qui se  souviennent de tous ces malades sauvés entre ces murs depuis si longtemps, des tristesses oubliées par le bonheur d'une réussite médicale. Ah, pour sûr que la réanimation du Val était d'une grande qualité! Sans compter son caisson hyperbare, nécessaire à des malades ayant des maladies très graves. Avec cette fermeture, il n'y a plus de caisson dans Paris intra-muros et plus qu'un seul en Île-de-France. Les équipes avaient mis un point d'honneur à toutes être là pour ce dernier malade, comme une sorte de haie d'honneur devant les chambres vides et les couloirs.

En sortant avec l'ambulance, cet hôpital ressemblait à ces grands bateaux qui sont au port et qui ne partiront plus en mer. Un hôpital abandonné à ses fantômes, alors qu'il manque des lits pour hospitaliser les malades. Vous allez dire que j'en fais des tonnes pour les militaires dans un journal qui est par son histoire, antimilitariste... Mais il y avait à Paris un hôpital militaire qui faisait de la grande médecine pour tous et qui vient de fermer dans le silence, comme un soldat tué au combat de la bataille économique.

 

Auteur : Patrick PELLOUX
Source : Charlie Hebdo du 1/7/15 n° 1197
Transmis par : Médecin général (2S) Jacques LEPAGE

 

Cet hommage au Val de Grâce paru dans les lignes de Charlie Hebdo est un coup de chapeau à la médecine militaire et par delà aux armées si peu habituel dans ce journal qu'il mérite d'être retransmis

Médecin général 2S Jacques LEPAGE

Source : Patrick PELLOUX