LIBRE OPINION de Yves Bourdillon : Une coalition irrésolue face au piège irako-syrien

Posté le samedi 11 octobre 2014
LIBRE OPINION de Yves Bourdillon : Une coalition irrésolue face au piège irako-syrien

Les Occidentaux pouvaient difficilement rester les bras croisés devant l'avancée de Daech. Mais, sans buts de guerre bien définis et en excluant de déployer des troupes au sol, ils se retrouvent happés dans une situation chaque jour plus dangereuse et confuse.

Une révulsion irrépressible.

Il a suffi de quatre vidéos d'exécution d'otages occidentaux pour pousser trois membres permanents du Conseil de sécurité, les Etats-Unis, la France et le Royaume-Uni, dans une guerre qu'ils ne voulaient pas vraiment mener contre l'Etat islamique en Irak et au Levant (Daech, selon l'acronyme arabe). Trois puissances nucléaires obligées de bouleverser leur posture géostratégique par une poignée de preneurs d'otages… Le contraste est saisissant, mais montre simplement la capacité de Daech, comme tous les terroristes, à jouer de l'atrocité, amplifiée par Internet, pour compenser son infériorité militaire. Et attirer ses ennemis dans ce qu'il espère être un piège.

Les pays occidentaux voient d'ailleurs le danger d'être happés dans une situation on ne peut plus confuse. Ce n'est pas un hasard s'ils ont renoncé à intervenir militairement en Syrie, au début de la guerre civile, il y a trois ans. On y dénombre aujourd'hui pas moins de treize protagonistes organisés en cinq camps : le régime des Assad, Daech, les Kurdes, les restes de l'opposition pro-occidentale et le Front Al Nosra (Al Qaida), qui suivent l'adage « l'ennemi de mon ennemi est mon ami pour l'instant et mon ennemi plus tard ».

Les Etats-Unis sont d'ailleurs amenés aujourd'hui à frapper un Daech rival d'Al Qaida ! Des Américains rendant service à des émules de Ben Laden, on peut difficilement imaginer plus aberrant.

Impossible de ne rie faire !

Et pourtant, impossible de ne pas intervenir. Les Occidentaux ne pouvaient pas rester les bras croisés quand des djihadistes se taillaient un fief de 120.000 km2, pétrolier de surcroît. La dernière fois que la communauté internationale a laissé faire cela, c'était Al Qaida en Afghanistan, d'où il a pu lancer les attentats du 11 Septembre… Pour autant, c'est peu dire que la coalition s'implique à reculons. Depuis ses premiers raids, le 19 septembre, Paris a mené deux frappes, ne larguant guère plus d'une tonne de bombes. Le Royaume-Uni a déployé six Tornado et frappé trois fois. L'Allemagne se limite à la livraison d'armes aux Kurdes. Bref, les Occidentaux se contentent d'une posture. Daech est pourtant, non sans raison, présenté comme le mal absolu.

Cette prudence peut se comprendre. Envoyer des troupes au sol (en sus des forces spéciales déjà discrètement déployées) serait courir le risque de voir des soldats capturés. Les militaires envoyés sur place seraient, en outre, des cibles faciles en zone urbaine, sans compter qu'ils seraient pris dans les convulsions d'une guerre civile aux protagonistes imprévisibles.

Mais il ne faut pas se raconter d'histoires. Les djihadistes ne seront pas vaincus par de simples raids aériens, même si ces derniers les ont déjà obligés à suspendre l'exploitation de leurs puits de pétrole, au risque d'être rapidement asphyxiés financièrement. Les 350 opérations de bombardements des Etats-Unis n'ont pas pu empêcher Daech d'entrer dans la ville stratégique de Kobané, à la frontière turco-syrienne. Comme le reconnaissent les stratèges américains, il faudra des soldats au sol pour identifier les cibles, voire attaquer les djihadistes afin de les obliger à se regrouper.

Qui peut intervenir au sol ?

On voit mal, pourtant, qui pourrait prendre un tel risque au sein de la douzaine de pays de la coalition. Pour des raisons géostratégiques, cette dernière ne compte pas deux des rares armées opérationnelles de la région, celles d'Iran et de Syrie.

Les monarchies pétrolières, peu aptes au combat, sont très ambivalentes. Elles ont soutenu par le passé Daech contre Damas (tout comme, paradoxalement, Bachar Al Assad lui-même, qui y voyait une créature utile pour lui permettre de prétendre incarner un rempart contre le djihadisme). Elles participent, certes, aux raids aériens, sans doute sans bombardements, pour prouver que Daech n'a, selon la formule consacrée, rien à voir avec l'islam. Sauf que Daech s'en réclame et suit une doctrine qui n'est finalement pas si éloignée que cela du rigoriste wahhabisme saoudien.

La Turquie, pour sa part, s'avère être le seul pays n'ayant pas exclu d'envoyer des troupes au sol, mais y rechigne tant que les djihadistes ne la menacent pas directement. Après tout, Daech combat le régime syrien ennemi du turc, ainsi que les Kurdes auxquels Ankara n'a pas l'intention de porter secours.

Les buts de guerre des Occidentaux ne sont pas clairs non plus.

S'agit-il, comme l'a admis le président Barack Obama, début septembre, « en fin de compte de détruire » Daech, si tant est qu'on puisse détruire le djihadisme ? Ou bien faut-il se contenter comme l'a annoncé le Premier ministre français, Manuel Valls, à l'Assemblée nationale le 24 septembre, « d'affaiblir Daech et d'aider l'Etat irakien à recouvrer sa souveraineté » ? Se cantonner à l'Irak, sans s'attaquer au sanctuaire de Daech en Syrie - ce qui est très discutable - sur le plan militaire, permettrait alors à la France de considérer la mission remplie si les djihadistes finissaient par abandonner le nord de l'Irak. Ce qui éviterait à Paris de devoir s'impliquer en Syrie, au risque de tuer certains des 900 djihadistes français qui y combattent. L'armée française tuant des compatriotes, cela serait sans précédent depuis la guerre d'Algérie. Une hantise, pour Paris comme pour d'autres, montrant bien que cette guerre inédite, sans doute mondiale, se joue autant sur le terrain psychologique et doctrinal que dans les sables d'Irak et de Syrie.

Les points à retenir

Daech ne sera pas vaincu par de simples raids aériens, même si ces derniers l'ont déjà obligé à suspendre l'exploitation de ses puits de pétrole. Comme le reconnaissent les stratèges américains, il faudra des soldats au sol pour identifier les cibles, voire attaquer les djihadistes afin de les obliger à se regrouper. On voit mal, pourtant, qui pourrait prendre un tel risque au sein de la douzaine de pays de la coalition

Auteur : Yves BOURDILLON

Source : Les Echos