LIBRE OPINION du colonel (ER) Michel Goya : Contre-attaque

Posté le mercredi 14 janvier 2015
LIBRE OPINION du colonel (ER) Michel Goya : Contre-attaque

par Michel Goya- « La Voie de l’Epée » -  1/14/2015

L’Histoire tend à montrer que ce n’est bien souvent que lorsque la Patrie est en danger que la France consent à se transformer, comme s’il lui fallait obligatoirement toucher le sol pour pouvoir rebondir plus fort et casser les freins qui l’empêchaient de s’élever. L’épreuve qu’elle subit aujourd’hui, épisode le plus violent sur notre sol d’une guerre qui dure depuis maintenant plus de vingt ans et durera sans doute au moins aussi longtemps, est au moins le révélateur de certaines forces et faiblesses de notre nation. Il peut être aussi le début d’une telle transformation, sans doute obligatoire si nous voulons vraiment triompher de ce fléau.

Le fait que trois individus aussi stupides qu’ignobles puissent porter un coup puissant à la France et surtout le fait qu’ils puissent être imités est d’abord le résultat d’un dysfonctionnement de l’Etat. Surmonter ce dysfonctionnement va bien au-delà des mesures immédiates, nécessaires, qui ont été mises en œuvre, dont la plus spectaculaire est l’engagement des forces armées dans la plus grande opération militaire française depuis la guerre du Golfe en 1990. Des moyens de renforcement d’urgence ont été octroyés au système de renseignement et il est question de modifier lois et règlements. L’erreur, sinon l’inconséquence, serait de se contenter de cela.

Bien plus que de nouvelles lois, la protection des Français, mission première de l’Etat, demande un minimum de moyens. Dans un pays qui produit pour plus de 2000 milliards d’euros de richesse chaque année, moins de 50 sont prélevés pour assurer la défense de la France et des Français, pour environ 850 consacrés aux autres actions publiques et sociales. Pire, cet effort diminue régulièrement depuis vingt-cinq ans. Si, en termes de pourcentage du PIB, la France mondialisée faisait le même effort que la France de 1990, c’est entre 80 et 90 milliards qui seraient consacrés à la sécurité et à la défense. Autrement dit et alors que la guerre contre les organisations djihadistes, commencée dès les années 1990, prenait de l’ampleur, la France baissait la garde. Le budget n’est évidemment pas tout et ne dispense pas de remises en cause et d’adaptations permanentes, mais il n’est pas complètement naïf que la présence policière par habitant ne serait pas à son point bas historique, que tous disposerait d’un entraînement et d’un équipement supérieurs, qu’il serait plus facile de surveiller plus étroitement les quelques centaines de malfaisants connus, qu’il serait plus facile de déployer plus de cet excellent système d’arme polyvalent (tir précis, renseignement, contact) qu’est le fantassin, que les prisons ne seraient pas un tel état., etc. Le pire est peut-être que ces réductions continuelles de moyens ont engendré également des systèmes internes de gestion qui, par leur centralisation, ont ajouté la rigidité à la pénurie. On notera, d’une part, que l’effort de défense et de sécurité n’étaient pas spécialement jugé insupportable en 1990 et, d’autre part, que l’insécurité a aussi un coût économique difficile à mesurer mais pourtant bien réel et sans doute considérable.

Mieux assurer la protection de la France et des Français n’est pas forcément un gaspillage, cela peut même être considéré comme un investissement. Si on continue comme cela pourtant, et, cela a été évoqué ici plusieurs fois, les instruments de sécurité de l’Etat auront terminé leur existence en décembre 2049. Comme, à moins d’un suicide collectif, cela ne se peut pas, autant infléchir cette politique irresponsable et au moins trouver des économies dans des secteurs peut-être moins dociles mais aussi moins essentiels.

Au-delà du perfectionnement et de la rationalisation d’un système de renseignement et d’élimination des réseaux et cellules, système qui par ailleurs fonctionne déjà plutôt bien, c’est désormais avec ces instruments renforcés dans les territoires perdus de la République qu’il faut porter l’action. Comme dans n’importe quel conflit contre des organisations armées, organisations de volontaires il faut le rappeler, il faut s’interroger sur l’attraction du modèle de l’ennemi sur une fraction de notre population. La bataille, selon le terme consacré, des cœurs et des esprits, est à mener partout. La moindre des choses est d’interdire les organisations religieuses, en particulier salafistes, qui sont aux sources idéologiques de cette attraction, et à lutter contre le prosélytisme de nations du Golfe arabique qui n’ont pas grand-chose à envier aux Taliban. Tant pis pour les contrats perdus et les financements de campagnes électorales.

Les bases du djihadisme en France, on les connaît pourtant. Les plus évidentes sont nos prisons. Le problème est alors matériel mais aussi politique. Entre l’accusation de laxisme dès lors que l’on s’intéresse au problème de la réinsertion, ou même simplement à la dignité de la vie carcérale, et celle d’autoritarisme fascisant lorsqu’on s’efforce de contrôler plus étroitement le comportement de certains prisonniers, la question de l’efficacité de la prison n’est pas jamais résolue alors qu’elle est essentielle à notre sécurité. Parmi les occasions nées de l’émotion de dépasser les blocages politiques, en voici une qui mériterait d’être saisie rapidement.

Plus largement, c’est tout un pan de la jeunesse échouée de l’éducation nationale qui, bien souvent ne demande que cela, qu’il faut « rééduquer ». Quand on voit le travail réalisé par les Etablissements Public d’Insertion de la Défense (EPIDe) avec un budget de seulement 80 millions d’euros ou celui du service militaire adapté outre-mer, on se dit qu’il y a là aussi un gisement de ressources (et de sécurité) qui mérite là-encore de dépasser les corporatismes et le sempiternel blocage laxisme contre autorité. Plus largement, on ne peut s’empêcher de penser que dans cette formidable machine à transcender les jeunes, il y aurait eu parmi les 82 000 postes supprimés dans les forces armées quelques « chiens perdus sans collier » qui auraient été sauvés et même mis au service de la France.

Bien entendu, le combat contre les foyers de l’attraction, au Moyen-Orient et en Afrique doit continuer. Il doit même s’intensifier en liaison et appui des pays locaux qui en sont les premières victimes et les premières solutions.

Tout cela, encore une fois, suppose des moyens publics et surtout une volonté, car c’est celle-ci qui trouvera les moyens. Philippe Delmas disait que la guerre était désormais plus la conséquence de la faiblesse des Etats que de leur force. On peut ajouter que leur défaite ne peut survenir que de l’acceptation de cette faiblesse.

 Auteur: Colonel (ER) Michel Goya
Docteur en histoire
Source: la voie de l'épée

Source : La Voie de l'Epée