LIBRE OPINION du Commissaire de 2ème classe Emmanuel DANIEAU : Garde nationale, retour sur une expérience française

Posté le lundi 14 mars 2016
LIBRE OPINION du Commissaire de 2ème classe Emmanuel DANIEAU  : Garde nationale, retour sur une expérience française

L’auteur : commissaire en chef de 2e classe, actuellement stagiaire de la 23e promotion de l’École de Guerre (« Verdun »). Ayant passé l’essentiel de sa carrière dans la Marine, il a été récemment affecté au Centre de planification et de conduite des opérations (CPCO), en charge notamment du territoire national pendant les attaques terroristes de 2015.

 

 

Après les événements de 2015, le président de la République a déclaré que la France est en guerre, menacée de l’extérieur et de l’intérieur par des forces qui veulent atteindre les fondements mêmes de la Nation. Parmi les mesures prises, on assiste au retour des armées sur le territoire national, avec la mobilisation permanente de 10 000 militaires.

 

Cette militarisation de la sécurisation du territoire pose, pour les forces armées, un problème aigu tant leurs moyens sont aujourd’hui limités. La France n’a pas connu la guerre après la fin des opérations en Algérie et ne perçoit plus de menace directe contre son territoire depuis la disparition du bloc soviétique. Les armées ont subi une profonde transformation afin d’en réduire le coût (pour engranger les « dividendes de la paix ») et pour les adapter aux projections sur des théâtres d’opérations extérieures. Les forces armées disposent aujourd’hui d’un format complet mais réduit, inadapté à la défense du territoire.

 

Parmi les moyens qui viendraient appuyer les forces armées dans cette nouvelle guerre, le président de la République a préconisé le 16 novembre 2015 la création d’une Garde nationale formée de réservistes. « Les réservistes sont un élément fort du lien entre l’armée et la Nation, ils constituent les éléments qui peuvent demain former une garde nationale encadrée et disponible ».
François Hollande n’a pas fait explicitement référence à la Garde nationale française qui a existé entre 1789 et 1871 mais le retour de ce modèle conduit naturellement à interroger le passé pour en évaluer la pertinence.

 

Quand la Patrie est en danger, il est légitime de faire appel aux citoyens pour la défendre. Le recours aux citoyens en armes renvoie à la Garde nationale, qui a été créée en 1789 à Paris et placée sous le commandement de La Fayette.

Cette milice composée de citoyens volontaires est elle-même l’héritière des gardes bourgeoises, dont l’origine remonte au Moyen-âge et dont la vocation était d’assurer la sécurité. Étendue sous la Révolution à l’ensemble du territoire, elle a été maintenue comme force de maintien de l’ordre et réservoir pour les armées, jusqu’à sa dissolution, le 25 août 1871, après sa participation à la Commune.

 

La finalité première de la Garde nationale est d’assurer l’ordre public sur l’ensemble du territoire, en complément des forces militaires, mais l’histoire mouvementée de la Garde nationale permet de constater que cet objectif n’a pas toujours été atteint. Elle a en effet été, tour à tour, autant une force insurrectionnelle, animée par la volonté de défendre la souveraineté nationale (juillet 1789, juillet 1790, juillet 1830, février 1848, mars-mai 1871) qu’une force de stabilisation, garante du respect de l’ordre constitutionnel (1789-1791, Monarchie de Juillet, IIe République de février 1848 à décembre 1851).

Le principe même de disposer de citoyens en armes a souvent été débattu, car armer les citoyens, c’est également créer les conditions de futurs désordres.

Aussi la composition de la Garde nationale et son organisation ont-elles souvent été étroitement contrôlées.

Le véritable tournant s’est opéré avec la radicalisation de la Garde nationale en 1871 après le siège de Paris par les Prussiens : les Parisiens refusent les conditions de l’armistice négocié par le gouvernement qui vient de remplacer celui du Second Empire. Le gouvernement est alors contraint de s’installer à Versailles. La fraction bourgeoise de la Garde nationale quitte la capitale, permettant aux éléments radicaux d’en prendre le contrôle et de poursuivre le combat. La Commune sera écrasée par les « Versaillais » au cours de la « semaine sanglante » en mai 1871.

Pour la IIIe République naissante, le suffrage universel ne saurait tolérer le « droit au fusil » que constitue la Garde nationale. Le citoyen, qui dispose par son bulletin de vote du droit d’émettre son opinion, ne doit pas pouvoir être tenté de faire usage de son arme pour imposer ses idées.

 

La Garde nationale apparaît en définitive comme une force tour à tour trop « bourgeoise » ou trop « rouge », toujours trop parisienne et trop politisée. Elle le doit à son histoire et à sa composition originale, qui font qu’elle a été tout cela à la fois.

Mais elle a également failli pour ce qui est de sa seconde finalité, qui est de constituer une réserve pour l’armée d’active. Les levées en masse de volontaires en 1791, 1792 et 1793 ont permis de sauver la République, menacée sur ses frontières.

La Garde nationale devait fournir, grâce à son implantation sur l’ensemble du territoire, un complément aux forces armées, mobilisable rapidement en cas de besoin. C’est d’ailleurs principalement à ce rôle que le Consulat et les deux Empires cantonnèrent la Garde nationale. Cette réserve présente en outre l’avantage d’être entretenue à un moindre coût, car le garde national lui-même ou la collectivité territoriale à laquelle il appartient, fournit l’équipement et le soutien.

En 1868, le renforcement de la menace prussienne incite Napoléon III à réformer la Garde nationale. Cette volonté de constituer une véritable armée de réserve sur le modèle de la Landwehr prussienne s’oppose néanmoins à de trop nombreuses résistances : les Gardes nationaux répugnent à un service militaire effectif, ne tolèrent que des défilés de parade et quelques heures de garde. Leur entraînement militaire est déficient. Si l’encadrement est parfois composé de personnalités remarquables, la valeur et la formation des cadres dans l’ensemble sont insuffisantes. La Garde nationale a en outre conservé le plus souvent l’usage de désigner ou d’élire elle-même ses officiers. Enfin, elle demeure sous l’autorité du ministre de l’Intérieur, ce qui accroît la confusion de la chaîne de commandement.

 

Lorsqu’éclate en 1870 la guerre contre l’Allemagne, la Garde nationale est mobilisée mais s’avère incapable de représenter la réserve nombreuse et immédiatement efficace dont on a besoin. Après la cuisante défaite de 1870 et l’épisode traumatisant de la Commune, la République refuse de conserver la Garde nationale.

Le nouveau régime veut s’appuyer sur un autre modèle, qui combine à la fois l’engagement de tous citoyens au service de la Nation, l’obéissance à un pouvoir politique légitime, démocratiquement élu, et l’efficacité d’un réservoir de forces, nombreuses et entraînées, aptes à défendre les frontières. Le service militaire est rétabli en 1872 et généralisé en 1905.

 

La situation que nous vivons aujourd’hui n’est pas comparable à celle des années 1870. Aussi les conclusions tirées après les événements de la Commune ne doivent pas être mécaniquement transposées. Il est notamment permis de douter que le rétablissement du service national, suspendu en 1996, soit envisageable, pour tout un ensemble de raisons, notamment économiques.

Dans ce contexte, rétablir la Garde nationale apparaît comme une solution dont on perçoit aisément les attendus : disposer d’un complément de moyens à l’appui des forces armées et des forces de sécurité intérieures, renforcer le lien entre ces forces armées et la Nation, occuper à nouveau l’espace du territoire national – fragmenté aujourd’hui en nombreux déserts militaires – et réduire les coûts en différenciant ses moyens de ceux des forces d’active.

Pour autant, de très nombreuses questions demeurent sur les modalités qu’il faudrait mettre en œuvre. Même si le président de la République a davantage en tête le modèle américain que celui de l’expérience française, reconsidérer ce qui

a fait le succès – et l’échec – de l’expérience française de Garde nationale paraît indispensable.

 

Commissaire de 2ème classe Emmanuel DANIEAU

Source : Revue de la Défense nationale