LIBRE OPINION du Général (2S) Michel FORGET : Forces aériennes et stratégie d'action extérieure.

Posté le dimanche 05 mars 2017
LIBRE OPINION du Général (2S) Michel FORGET : Forces aériennes et stratégie d'action extérieure.

Depuis la fin de la guerre froide, nous avons constaté l'émergence un peu partout dans le monde de situations de crises dont même les plus lointaines sont susceptibles de mettre en cause nos intérêts – et notre sécurité. La conséquence en a été  le développement de notre stratégie d'action extérieure laquelle impose à nos armées d'être capables notamment « d'entrer en premier »- et vite - sur un théâtre afin de bloquer le plus tôt possible les situations de crises en cause.  Une telle stratégie repose sur un haut degré de mobilité stratégique de nos armées lequel  est obtenu  pour une très large part grâce  aux forces aériennes  de combat et de transport  de par leur degré de réactivité, la rapidité et la portée de leurs interventions. Cela a été démontré depuis la Mauritanie (1977) jusqu'à l'offensive contre Daech en Irak (2014) en passant par le Tchad, le Kosovo, l'Afghanistan, la Libye  et le Mali, pour ne citer que les principales interventions. Encore faut-il que les forces aériennes de combat soient capables d'atteindre les théâtres d'opérations les plus lointains  pour y faire peser leurs capacités de projection de puissance offensive ou défensive,  d'où l'importance capitale pour elles de disposer de moyens adaptés de ravitaillement en vol. Encore faut-il également que les forces aériennes de transport aient des capacités de projection de forces (hommes, logistique) adaptées en rayon d'action et en volume aux dimensions des interventions d'aujourd'hui.

 

Ces capacités sont aujourd'hui l'une et l'autre  menacées.

           

Notre flotte d'avions ravitailleurs (14 C135) a près de cinquante ans d'âge. Elle est à bout de souffle. Son remplacement par une flotte d'A330 MRTT– appareil multirôle ravitailleur/transport stratégique[1] –est certes programmé. Cet appareil est déjà en service dans la RAF et dans l'aviation australienne. Sur les 14 prévus, le premier devrait être livré en 2018 et les autres devraient l'être à raison d'un ou deux appareils par an, ce qui nos amène aux alentours de 2025. D'évidence, les C135 actuels ne tiendront pas jusque là, d'où un sérieux risque de rupture de capacité de projection de puissance. Dès aujourd'hui, les problèmes de disponibilité de nos C135 nous contraignent d'avoir recours à  des ravitailleurs étrangers, notamment ceux de l'USAF dont nous devenons tributaires tout en perdant ainsi une part de notre autonomie stratégique.

 

Notre flotte de transport présente elle aussi de sérieuses failles. Les excellents C160 Transall sont en cours d'extinction, vu leur âge[2]. Leur remplaçant, l'A400M[3], a pris un retard considérable suite à de sérieux problèmes techniques. Il faudra attendre au moins 2025 pour disposer des 50 appareils prévus. La mise en service annoncée de 4 C130J d'ici 2019 s'ajoutant aux 14 C130H existant aujourd'hui, aussi intéressante soit-elle, ne saurait compenser la défaillance  de l'A400M, pas plus que la flotte de  près de trente Casa[4] aujourd'hui en service.  D'où la encore l'appel à l'aide auprès de  nos partenaires ou encore le recours à la location à prix d'or d'avions  lourds, ukrainiens par exemple. Autant de solutions qui réduisent elles aussi notre autonomie stratégique sans éliminer le risque de rupture de capacité dans le domaine de la projection de forces.

 

Chaque armée a aujourd'hui ses problèmes. Le présent article n'évoque qu'un de ceux concernant  l'armée de l'Air. S'il est limité à la situation des ravitailleurs et du transport aérien, c'est parce que ce problème n'est  pas toujours perçu  avec l'attention qu'il mérite bien qu'il s'agisse d'un problème majeur dont dépend la capacité de nos armées de conduire une stratégie d'action extérieure à la hauteur des ambitions de notre pays.

                                                                                              
Général (2S) Michel FORGET
Ancien commandant de la Force aérienne tactique

 


 

[1]Capable de transférer 110 tonnes de carburant tout en transportant 20 tonnes de frêt. Sans carburant réservé au  ravitaillement, il peut transporter 45 tonnes de frêt sur 8.000 kilomètres.

[2]Sur 75 appareils  dans les années 1980, il en reste aujourd'hui une vingtaine en service.

[3]Puissant quadriturbopropulseur capable de transporter 35 tonnes sur 5 000 km. Onze appareils ont été livrés à ce jour dont six seulement (sur 50) ont la capacité tactique.

[4]Sorte de mini C160, rend d'excellents services outre-mer et sur les TO mais ne peut être considéré comme un élément de projection de forces compte-tenu de sa capacité d'emport limitée.

 

Source : www.asafrance.fr