LIBRE OPINION du général Jean SALVAN : Rien appris, tout oublié

Posté le lundi 06 octobre 2014
LIBRE OPINION du général Jean SALVAN : Rien appris, tout oublié

Pour qui a parcouru le Levant (Proche et Moyen-Orient des Anglo-Saxons), les pages de décryptage du 1° octobre dernier dans Le Monde, consacrées à l’Irak et à la Syrie, laissent pantois. Comme les émigrés de 1815, nous n’avons rien appris et nous avons tout oublié. Peut-on se débarrasser des tyrans et instaurer la démocratie à coups de bombardements aériens ou à coups de drones de combat ? La réponse est loin d’être évidente, si l’on réfléchit aux résultats des guerres menées par les Occidentaux en Libye, en Irak, en Afghanistan. Nous avons plutôt créé le chaos et nous avons provoqué le réflexe de Valmy, l’union sacrée contre l’envahisseur.  

Qu’avons-nous retiré du prétendu printemps arabe ? Oui, Ben Ali et Moubarak, dictateurs relativement laïques, ont été  chassés du pouvoir. Immédiatement, les Frères musulmans et les salafistes les ont remplacés. Si la démocratie ne semble pas menacée en Tunisie, une guérilla fondamentaliste tient le djebel Chambi et la région comprise entre Kasserine et la frontière avec l’Algérie. En Egypte, seul un coup d’état militaire a permis d’expulser Morsi et ses acolytes du pouvoir.

 En Syrie, nous avons oublié que, sous l’Empire ottoman, les Alaouites étaient traités comme des parias, depuis qu’une décision religieuse (fatwa) d’Ibn Taymiyya, au XIV° siècle de notre ère, les vouaient à l’extermination comme hérétiques. Il faut savoir que la religion alaouite est une synthèse de l’Islam chiite et du christianisme : ils fêtent toujours Pâques et Noël. Et les Français, lors du Mandat (1920-1943), ont accordé la citoyenneté syrienne à toutes les minorités : les Alaouites nous en furent très reconnaissants. De plus, sous l’Empire ottoman, la province de Syrie comportait certes la Syrie actuelle, mais aussi le Liban, la Jordanie et la Palestine. Dès le mandat français, une majorité des Syriens a demandé la reconstitution de la province ottomane de Syrie. On ne peut rien comprendre à la politique des Assad père et fils sans avoir en tête cette volonté de réunir Syrie et Liban, dans un ensemble où les Sunnites ne seraient plus majoritaires…  

 Si Bachar el Assad disparaissait, quelle chance aurions–nous d’avoir en Syrie un chef d’Etat présentable ? Rappelons qu’à partir de 1943, des Sunnites dirigeaient la Syrie. Ces "démocrates" firent immédiatement appel à des nazis qui avaient échappé aux tribunaux alliés pour organiser l’administration, les services de sécurité et les forces armées syriennes. Une éphémère "république arabe unie", de 1958 à 1961, rassembla l’Egypte et la Syrie : l’Islam comprend aussi mal la nation que les marxistes-léninistes.  Il y eut ensuite sept ou huit coups d’état, tous préparés à Beyrouth, avant qu’à partir de 1974 Hafez el Assad impose la stabilité d’une main de fer. Soyons clairs : Bachar el Assad et son clan exercent une dictature féroce. Ceux qui s’opposent à lui sont-ils moins cruels ? Peut-on espérer qu’ils admettront que des minorités puissent coexister à côté d’eux ?

J’en doute. Depuis près de trois ans, on nous serine que Bachar el Assad est aux abois, que son régime va s’effondrer. J’en doute. Et comme je voudrais que l’on se souvienne d’une phrase d’Henry Kisisnger : "En politique, le principal problème n’est pas de lutter contre le mal. Mais c’est de maîtriser ceux qui croient agir pour le bien de l’humanité. "

Auteur :  Jean SALVAN (Officier général 2ème section)
Source: Magistro

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