LIBRE OPINION : Extraits de l'audition du Général d'armée Pierre de VILLIERS, Chef d'état-major des armées, par la Commission de la Défense nationale

Posté le vendredi 30 octobre 2015
LIBRE OPINION : Extraits de l'audition du Général d'armée Pierre de VILLIERS, Chef d'état-major des armées,  par la Commission de la Défense nationale

1. LE CONTEXTE SÉCURITAIRE.


Le contexte sécuritaire est marqué par la gravité, l’urgence et la complexité des crises géopolitiques, ainsi que par un niveau de menace inédit depuis de nombreuses années.

Quatre lignes de forces qui sont à mes yeux la toile de fond des crises


- Le lien de plus en plus étroit entre sécurité extérieure et sécurité intérieure constitue une première ligne de force. Cette tendance se confirme. Les menaces et les défis sont transfrontaliers.

Il y a donc un lien de plus en plus fort entre la défense de l’avant, ce que nous faisons en opérations extérieures, et la sécurité de l’arrière, c’est-à-dire la protection de nos concitoyens sur le théâtre national.


Le phénomène du terrorisme international dessine une deuxième ligne de force. Incarné par Al-Qaïda, Daech et leurs affidés, il renvoie à la radicalisation djihadiste et répond à une stratégie délibérée : la recherche de la rupture par une surenchère de terreur1.

1 2 700 comptes Twitter pro-Daech en langue française relaient la propagande djihadiste, et environ 20 % des combattants dits étrangers, présents aujourd’hui même au Levant, sont francophones, parmi lesquels on dénombre environ cinq cents Français.


Une troisième ligne de force
peut être observée : l’avance technologique, qui nous donnait d’office l’ascendant, se réduit sous l’effet des modes d’action qui visent à la contourner.


La contradiction de plus en plus flagrante entre la gestion du temps court et la nécessité d’inscrire l’action dans le temps long constitue une quatrième et dernière ligne de force.

 

Un engagement important de nos armées.

Cet engagement passe d’abord par la dissuasion nucléaire, qui garantit la survie de la Nation en sanctuarisant ses intérêts vitaux.


C''est aussi les opérations extérieures :

- l’opération Chammal au sein de la coalition

- internationale qui lutte contre Daech.

- le Sahel, où nous agissons en pilote.

- l’opération Sangaris, en République centrafricaine (RCA),

- l’opération EUNAVFOR Med, en Méditerranée.

 

Sur le sol national, les armées viennent en appui et en complément de l’action des forces de sécurité intérieure et de sécurité civile. 7 000 soldats engagés chaque jour, et la capacité de monter jusqu’à 10 000 hommes sur court préavis, le « volume » de l’opération Sentinelle est plus de quatre fois supérieur à ce qui existait auparavant.

L’apport de nos armées à la protection des Français à l’intérieur de nos frontières est essentiel. Pour autant, dans les mois à venir, le volume des forces engagées sur le territoire national restera une source de fragilité.

Mon devoir est de vous dire que nous vivons actuellement sur le capital opérationnel que nous avons construit ces dernières années. Nous pouvons encore nous le permettre, mais sans une force terrestre comptant 77 000 soldats, notre capacité opérationnelle s’effriterait inexorablement.

Pour conclure sur ce premier point relatif au contexte sécuritaire, je dirais que nous connaissons en la matière une situation qui se dégrade. Si l’on dresse un bilan de la situation, la tendance est toujours à plus de missions pour nos armées, car, aux missions opérationnelles, il faut encore ajouter tout le reste.

 

 

2. NOTRE MODÈLE D’ARMÉE. 

Cela m’amène au deuxième des trois points que je souhaite aborder : notre modèle d’armée.

Quelles réponses le PLF pour 2016 apporte-t-il en la matière ?

Le PLF 2016 donne les moyens pour mettre en œuvre notre modèle d’armée, dont la cohérence est assurée par cet équilibre entre les fonctions stratégiques. Cependant, vous le savez, le costume reste taillé au plus juste. C’est pour cela que les armées, directions et services poursuivent leur transformation portée par notre projet commun, Cap 2020, qui, autour de l’équipe des chefs d’état-major d’armée, est mis en œuvre résolument.

 

 

3. MES PREOCCUPATIONS.

 

J’en ai retenu quatre principales : le budget, la protection et la défense de nos installations militaires, notre modèle de ressources humaines, j’allais parler de richesses humaines, et le moral.

 

Premier point de vigilance : le budget.

Quelle que soit la programmation budgétaire initiale, je crains toujours, d’expérience, le grignotage progressif en gestion de nos ressources financières. La fin de gestion de 2015, conditionne la bonne « mise sur les rails » de l’année 2016.

Ensuite, le projet de loi de finances lui-même mérite évidemment notre attention. L’année 2016 constitue la première annuité de la LPM actualisée. Elle doit marquer le redressement de l’effort de défense

Deuxième point de vigilance : la protection défense.

Protection des installations militaires : nous devons notamment nous interroger sur la pertinence de l’externalisation de certaines fonctions comme le gardiennage.

 

Troisième point de vigilance : notre modèle de ressources humaines (RH).

La qualité humaine est la vraie force de nos armées. Nous voulons un modèle RH plus dynamique dans ses flux, mieux pyramidé, plus souple, plus attractif et toujours mieux adapté aux besoins opérationnels des armées.

Nous voulons rétablir l’adéquation entre le grade, les responsabilités et la rémunération.

Ce modèle RH intègre aussi un volet spécifique pour la réserve, vivier de multiples compétences, pivot du lien armée-Nation pour une armée professionnelle, et précieux renfort pour les unités d’active.

 

Quatrième point de vigilance : l’état du moral des troupes, probablement le plus important :

Excellent en opération, il est plus fragile en garnison et dans les états-majors, notamment à Paris. Nous devons donc le surveiller, comme le fait tout bon chef.

Mais je constate aussi ce que note par ailleurs le Haut comité à l’évaluation de la condition militaire (HCECM) dans son dernier rapport : « Il existe parfois un sentiment d’une insuffisante considération par rapport à celle accordée aux autres catégories sociales. »

 

Un effort considérable accompli par les armées. 

Il y a quarante ans, l’armée de terre comptait 210 régiments contre 79 aujourd’hui, la marine nationale alignait 123 bâtiments de premier rang contre 57 aujourd’hui, et l’on dénombrait 68 bases aériennes alors qu’elles sont 25 actuellement. Nous avons aujourd’hui moins de militaires qu’il n’y avait de professionnels avant la professionnalisation !

 

En conclusion :

Madame la Présidente, je reprends les mots que vous avez employés lors de la dernière université d’été de la défense : « Depuis vingt-cinq ans, les dividendes de la paix ont été largement touchés. »

 

 

RELEVÉ DANS LES RÉPONSES AUX QUESTIONS DES MEMBRES DE LA COMMISSION.

Les jeunes qui s'engagent.

Les jeunes que nous interrogeons, avec leurs mots, nous répondent systématiquement qu’ils ont choisi l’armée parce qu’ils cherchent des valeurs, une institution qui fournisse un cadre, une famille, la fraternité… Ils ne disent pas en premier : « Je cherchais un emploi, j’étais au chômage. » En termes de formation, il s’agit d’un vrai challenge pour l’armée de terre.

Pourquoi une partie de la jeunesse de France s’engage-t-elle chez nous et une autre chez Daech ? Comme j’ai la chance de me trouver ici, devant la représentation nationale, je voulais soulever cette question de fond à laquelle nous devons réfléchir. À mon avis, tous cherchent un cadre et des valeurs qu’ils ne trouvent plus dans la société. Les uns vont dans une direction morbide, chez Daech, croyant se rassurer, espérant trouver un sens à leur vie. Les autres choisissent l’armée pour défendre et servir la France. Ils nous le disent comme ça, quels que soient leur niveau d’études et leur catégorie socioprofessionnelle. C’est assez exceptionnel.


Le CEMA, un conseiller écouté du Président de la république.

Au passage, je signale que je ne me contente pas d’exécuter des ordres. En tant que conseiller militaire du Gouvernement, j’ai la faiblesse de penser que le président de la République, le Premier ministre et le ministre de la Défense m’écoutent. Au sein d’un conseil de défense, je ne suis pas un simple fonctionnaire qui prend des notes. Je suis l’un des premiers à qui l’on demande de proposer des mesures. Ensuite, c’est le président de la République, chef des armées, qui décide.

C’est ainsi qu’avec Jean-Yves Le Drian nous avons proposé l’intervention aérienne en Syrie. Nous ne pouvions pas continuer à être aveugles si nous voulions garder une appréciation autonome. Ces décisions sont le fruit d’une réflexion globale et nous y participons pleinement Ce fut le cas s’agissant de Sentinelle.

 

Quel est le rôle des forces armées sur le territoire national ? 

La question est légitime. Pour ma part, je considère que la mission des armées, en temps de crise comme en temps de paix, est de protéger tous les Français où qu’ils se trouvent, à l’étranger, outre-mer ou en métropole. Je ne vois pas ce que le président de la République aurait pu faire d’autre pour protéger les Français et les rassurer. Vous pouvez légitimement considérer que l’opération dure un peu trop longtemps sous la forme actuelle. C’est pour cette raison que, dans mon propos liminaire, je vous ai dit que Sentinelle ne devait pas être une excroissance durable de Vigipirate. On ne peut pas faire à 7 000 ce que l’on faisait à 1 000 ou 1 500. On ne peut pas demander durablement aux soldats français d’aider, de remplacer, de suppléer des forces de sécurité intérieure qui ne seraient pas assez nombreuses.

Le dispositif Sentinelle serait donc critiquable si nous étions dans la même situation qu’il y a un an : un soldat n’est pas formé pour rester en garde fixe au pied d’un lieu jugé – à juste titre – sensible. Mais nous allons faire autre chose, autrement.

Les choses évoluent. Sentinelle va ainsi être commandée comme n’importe quelle autre opération.

….Dans ce contexte, quelle autorité politique pourrait décider d’enlever les 7 000 hommes déployés sur le territoire national ? Je ne le conseillerais à personne.

 

La dernière question porte sur les réserves, sujet qui m’est très cher.

Avec le ministre de la Défense, nous avons une idée : la territorialisation des réserves. C’est très important. Qui connaît mieux son territoire, son canton, son village, son pays que le réserviste ? Il faut poser le débat de cette manière.

Il nous faut par ailleurs agrandir le vivier des personnes ayant souscrit un engagement à servir au sein de la réserve opérationnelle.

 

Synthèse de Pierre ZAMMIT
Délégué ASAF 31

Source : Synthèse de Pierre ZAMMIT