LIBRE OPINION : La création de syndicats dans les armées n’est pas la solution

Posté le dimanche 21 décembre 2014
LIBRE OPINION : La création de syndicats dans les armées n’est pas la solution

L’arrêt de la Cour Européenne des Droits de l’Homme (CEDH) sur la création de syndicats dans les armées a soulevé beaucoup d’inquiétudes parmi les militaires et les anciens militaires.

Ainsi, devant la commission de la défense de l’Assemblée Nationale, le colonel Goya a cité deux exemples : « Un bataillon belge arrivant au sein de la FINUL (Force intérimaire des Nations-Unies au Liban) en 1978 avait arrêté d’un seul coup son installation, pourtant en zone dangereuse, parce qu’il ne fallait pas dépasser le nombre d’heures réglementaire de travail d’affilée. A un autre moment, le bataillon français avait dû même prendre en compte le secteur belge, le temps de la résolution de problèmes internes …
Des militaires néerlandais qui ont refusé de partir en mission dans la province afghane de l’Uruzgan prétextant que les matériels n’étaient pas adaptés et qui ont demandé à un syndicat de les appuyer dans leur refus d’exécuter un ordre ».

L’arrêt de la CEDH concerne directement la France, mais aussi indirectement la Grande Bretagne, l’Espagne, l’Italie dont la Cour constitutionnelle a affirmé que l'existence des syndicats militaires était incompatible avec la « cohésion interne et la neutralité » des armées.

Est-ce à dire que tous ces pays devront autoriser des syndicats dans leurs armées ? Certainement pas. En effet la CEDH n’a aucun pouvoir d’injonction, encore moins de coercition, à l’égard des Etats adhérents à la Convention. La CEDH peut seulement dire qu’il y a eu violation de la Convention et accorder à la partie lésée une satisfaction équitable (art 41 de la convention), ce qu’elle a fait en fixant à 5 000 euros la somme à verser par la France à l’association à l’origine de la requête.

La France peut donc parfaitement résister aux conclusions de cet arrêt et refuser la création de syndicats dans les armées, comme la Grande-Bretagne a su le faire pour refuser d’accorder le droit de vote aux détenus durant l’exécution de leur condamnation.

Cependant il serait vain de s’arcbouter sur le statu quo. La situation de droit actuelle peut être résumée par l’art L 4121-4 du code de la défense : « il appartient au chef, à tous les échelons, de veiller au respect des intérêts de ses subordonnés ».

Ainsi un chef d’état-major de la marine déclarait-il : « je suis le chef syndicaliste de la marine ». Mais il est difficile d’être à la fois le chef et le syndicaliste. Jean-Pierre Chevènement lorsqu’il était ministre de la défense, étant à la fois le décideur et le payeur, évoquait cette difficulté lorsqu’il déclarait être plus ou moins schizophrène, au sens étymologique et non pas médical du terme (schizophrénie : qui fend l’âme).

En 2001, des gendarmes ont manifesté dans la rue, en tenue, pour obtenir des compensations à leurs contraintes professionnelles ; on rapporte aussi le refus d’obéissance collectif d’une unité de la prestigieuse garde républicaine, dans la cour de l’Elysée, avant une cérémonie. Faut-il attendre que de tels événements se reproduisent, au risque de nuire à l’image et surtout à l’efficacité de nos armées ?

Certes a été créé en 2005 un haut comité d'évaluation de la condition militaire, mais il est exclusivement composé de hauts fonctionnaires, de responsables de grandes entreprises et d’officiers généraux. Il ne comprend pas un seul représentant des sous-officiers, alors qu’il serait pourtant possible d’y nommer le président d’une association de sous-officiers en retraite.

Le conseil supérieur de la fonction militaire (CSFM) et les conseils de la fonction militaire (CFM) des armées et des services manquent de légitimité puisque leurs membres, loin d’être élus, sont tirés au sort. Leur rôle est uniquement consultatif, à condition qu’ils soient consultés, ce qui n’est pas toujours le cas !

Malgré le risque de faire alors émerger des « forts en gueule » ayant un compte personnel à régler, la moindre des réformes serait de faire élire les membres du CSFM et des CFM. Cela ne serait pas suffisant. Il faut donc imaginer un mécanisme permettant d’apporter des réponses concrètes aux difficultés rencontrées, tout en préservant la discipline inhérente aux armées qui, rappelons-le, détiennent les armes de la France

Plusieurs pistes sont envisageables, notamment la création de commissaires parlementaires aux armées ou l’institution d’un médiateur militaire. La première piste aurait pour avantage l’autorité attachée à la légitimité résultant de l’élection. En outre les deux parlementaires pourraient déposer des propositions de loi. Mais déjà surchargés par de multiples tâches auraient-ils le temps nécessaire pour accomplir cette nouvelle mission ?

Le médiateur civil, avec ses nombreux délégués, un par département, a fait la preuve de son efficacité. Dès lors pourquoi ne pas concilier ces deux solutions : deux députés, l’un de la majorité, l’autre de l’opposition, élus à la proportionnelle par l’Assemblée Nationale, disposant, comme le médiateur civil, d’une centaine de délégués ? Quelle que soit la solution adoptée, il est certain que la situation actuelle ne peut perdurer.

Source : Auteur : Jacques MORIN Source : Le Monde.fr