LIBRE OPINION : La mobilisation pour la Grande Guerre

Posté le dimanche 03 août 2014
LIBRE OPINION : La mobilisation pour la Grande Guerre

Le 1er août 1914, la France mobilise et le 3 août elle entre en guerre.

La mobilisation générale

Mais, pour autant, a-t-elle mobilisé dans de bonnes conditions ? Comment ont réagi les hommes appelés à rejoindre leurs unités ? L’État-major craignait le pire. Il l’évaluait à 10% voire 13% (1) : soit plus de 270 000 insoumis, déserteurs, réfractaires, planqués, tireurs au flanc… Il n’y en eut qu’un peu plus de 1%. Donc, dix fois moins de « contraints » ; dix fois plus de « consentants »… Le débat vient de s’ouvrir. Malgré la propagande socialiste, anarchiste (« Ne combattez pas vos frères ouvriers ! ») et pacifiste (2), la France profonde, rurale, patriote - ce mot n’était pas encore péjoratif - se regroupe autour de son drapeau tricolore. Les conventions morales et sociales conduisent les artisans, les paysans, les professeurs, les ouvriers à accepter de revêtir l’uniforme pour la défense du pays. Même les curés, chassés une dizaine d’années plus tôt, reviennent et se présentent massivement à l’incorporation. Au bout du compte, seuls quelques 30 000 mobilisés s’esquivent et refusent. Une poignée.

« La fleur au fusil »

Une expression maladroite a suscité une déduction équivoque : la fleur au fusil. Les fleurs, il y en eut. Elles étaient regroupées en bouquets et offertes par des femmes aux soldats qui défilaient ou partaient en train. Des documents d’époque, films ou photos, l’attestent clairement, indiscutablement. Si ces fleurs n’avaient pas vocation d’ornement, elles témoignaient néanmoins de l’attachement de la France pour ses combattants, souriant à cette pensée délicate. Ce sourire n’était pas un rire, une joie, mais un remerciement tacite, une acceptation visible du devoir à accomplir malgré l’évidente tristesse à quitter les siens, à laisser les champs, à jamais peut-être. Les uns ont exagéré et ont parlé de cris d’allégresse ; les autres ont falsifié la peine légitime pour la croire synonyme de soumission. La vérité est que l’immense majorité a accepté, sans état d’âme, sans joie excessive mais sans contrainte.

Contrainte et consentement

Naturellement, les choses pouvaient évoluer au cours des années suivantes. Qu’en fut-il ? Un vaste débat, frisant le pugilat intellectuel, divisa Péronne et Montpellier. La Picardie (Comité scientifique de l’Historial) défendait le consentement et le Languedoc universitaire la contrainte. François Cochet, en 2005, arbitra la querelle avec adresse. Son livre (3) présente une analyse alternative pertinente. Que peut-on en retenir ? Si le consentement est quasi général, la contrainte existe ici ou là, selon les circonstances, les individus et le moment. A Verdun, en 1916, elle n’apparaît guère et les cas de mutinerie sont exceptionnels. Tel ne sera pas le cas, l’année suivante dans la Somme, au Chemin des Dames. Il faut lire les lettres de Poilus. On verra les auteurs pleins d’ardeur à monter à l’assaut sombrer le lendemain dans la résignation la plus fataliste, désabusée, frisant la défection. Parfois, pour eux, l’attaque qui s’amorce est la bienvenue : « On va se faire du boche ». Quelques jours plus tard, c’est l’inverse qui se produit. L’accablement, la déception, la résignation, le désespoir l’emportent et envahissent tour à tour le soldat, celui-là même qui se réjouissait d’attaquer (4).

Si la contrainte avait été aussi importante, comme certains veulent nous faire croire, elle aurait exigé des baïonnettes menaçantes derrière chaque réfractaire. Elles auraient quelque peu manqué en première ligne… Enfin, admettre, affirmer que l’on accepte la mort parce qu’on y est contraint par la hiérarchie, et seulement pour cette raison, est une aberration. On ne donne sa vie que par amour, volontairement, peut-être dans un instant de folie. Mais, il faut une idée transcendante pour s’offrir en sacrifice et vaincre cet instinct de conservation si viscéral chez l’homme.

C’est une grande question qui se pose ici. Pourquoi des hommes acceptent-ils l’inéluctable, le définitif, dans des circonstances si cruelles et horribles ? Seule la contrainte serait la réponse ! Une forme pernicieuse de mépris de l’homme suinte de cette idée. Elle va de paire avec la notion douteuse, de « boucherie ».

Xavier PIERSON
Colonel (ER) et historien
Extrait de « Réflexions sur la Grande Guerre »

Notes

  1. Selon le livre d’Henri Ortholan et de Jean-Pierre Verney : « L’Armée française de l’été 1914 ». Le colonel (e.r) Ortholan est un spécialiste de l’histoire militaire du Second Empire et de la Grande Guerre. Jean-Pierre Verney est trop connu pour être présenté. Sa collection et ses connaissances ont permis la création du musée de la Grande Guerre à Meaux.

 

  1. Un des derniers discours de Jaurès à la Chambre (celui du 4 juillet 1913) est significatif. Le professeur Jean Garrigues présente l’intervention du tribun socialiste de cette manière : « Ce discours est un témoignage sur la violence des affrontements qui opposent bellicistes et pacifistes dans les années qui précèdent la Grande Guerre. (…) Ce qui est en cause, c’est le droit à l’insurrection populaire… » A la mobilisation, il n’y aura pas d’insurrection populaire !

  2. « Survivre au front 1914-1918. Les Poilus entre contrainte et consentement ».

  3. A titre d’exemple, on peut citer le livre : « Ecrit du front. Lettres de Maurice Pensuet, 1915-1917 » (2010). L’introduction d’Antoine Prost, professeur émérite à l’université de Paris I et président du Comité scientifique du Mémorial de Verdun, explique très bien cette sorte de versatilité du combattant Pensuet, pacifiste et peu enclin à jouer les matamores. Extrait de la lettre du 5 juillet 1915 : « J’ai toujours foi dans la victoire finale, mais de là à dire que nous les battrons, ça jamais. ». Deux mois plus tard, le 2 septembre : « J’espère bien aller en perm mais je vous (ses parents) que j’en ferais très bien le sacrifice si l’on avait besoin de nous pour un coup dur. Ce n’est encore que l’accessoire, ce qui importe, c’est de leur fiche la tripotée. » 

Source : Xavier PIERSON Colonel (ER) et historien Extrait de « Réflexions sur la Grande Guerre »