LIBRE OPINION : Le Politique et le Militaire… suite.

La problématique des relations entre politiques et militaires revient sur le tapis quand les nuages s’amoncellent à l’horizon. Un danger se profile-t-il que la nation se tourne vers son armée et que recommence le débat sur la fin et sur les moyens. Les chefs militaires demandent au gouvernement de définir des buts de guerre, ce qui est rarement le cas, et le gouvernement ordonne aux militaires de faire au mieux avec ce dont ils disposent, ce qui est toujours le cas. Alors le supposé dialogue se termine soit en tragédie, comme en 1940 ou à Diên Biên Phu, soit en drôle de guerre, comme en ex-Yougoslavie ou en Libye, soit en franc succès, comme à Kolwezi.
Ainsi le succès des armes de la France serait le produit d’une équation où la détermination sans faille des uns serait facteur de la compétence des autres et des moyens disponibles. Il faut certes se méfier des équations de ce genre…mais elles ont le mérite d’ouvrir le débat !
Le lecteur sait bien que la détermination, la compétence et les moyens ne sont que des valeurs relatives et que le produit de valeurs relatives n’a jamais été une valeur absolue. Il faut donc replacer sans cesse le dialogue politico-militaire dans son contexte du moment et mesurer ses effets à l’aune du caractère et de l’intelligence de ceux qui en sont, ou qui en ont été, parties-prenantes. Les règlements, les lois et les décrets qui fixent les organisations et dressent des hiérarchies ne sont que des coquilles, elles peuvent parfois être vides. Ce sont les hommes qui font la différence. On disait à Rome que « les lois naissent où les vertus meurent ». C’est peut-être de cela qu’il s’agit toujours…
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Se mettre à l’abri des textes et des règlements pour discuter de la relation entre le politique et le militaire est un réflexe bureaucratique. Si le général de Gaulle avait choisi « les textes » il ne serait pas parti à Londres. Et l’Histoire se serait écrite autrement. La situation n’avait rien d’aussi grave, bien sûr, quand il s’agissait de contester aux politiques la fringale des « dividendes de la paix » qui leur tenait de programme de défense. Mais les résultats sont là aujourd’hui… Et je ne me souviens de personne qui ait défendu « bec et ongles » le maintien d’une puissance militaire correspondant au rang de notre pays.
Il était évident que l’effondrement du bloc communiste ne conduirait pas à la paix éternelle et universelle. Et il était évident que les nombreux conflits qui naîtraient des bouleversements produits par cet effondrement ne se régleraient pas à coups de bombes atomiques. Mais qui défendait la puissante infanterie qu’il nous fallait encore et qui nous manque aujourd’hui ? Si quelqu’un l’avait vraiment fait…cela se saurait. Les politiques voulaient l’argent de la Défense pour soutenir des programmes plus favorables aux goûts du siècle. Et les militaires qui avaient vieilli sur les parcs d’un corps blindé mécanisé destiné à ne jamais servir étaient devenus des bureaucrates d’état-major dont la fortune de carrière tenait à la tranquillité dont ils savaient faire preuve.
Jamais les politiques et les militaires ne se sont peut-être aussi bien entendus. Au manque de conviction des uns sur la place que notre pays devait toujours assumer dans le concert des nations correspondait le manque de pugnacité des autres dans la sauvegarde des unités de combat. Les guerres coloniales finies, la Guerre froide passée, il ne restait plus qu’à écrire un Livre blanc en se gardant bien d’en tirer des conclusions capacitaires concrètes. Aujourd’hui encore, au moment où le ministre de la Défense annonce le déploiement de trois mille hommes au Sahel, on parle de ponctionner le budget des armées et de fermer de nouveaux régiments. Heureusement, les quelques unités qui subsistent sont d’une valeur exceptionnelle et leurs cadres sont aguerris par les campagnes qu’ils ont dû conduire depuis plus de quinze ans. Du Kosovo à la Côte d’Ivoire et de l’Afghanistan au Mali, la plupart des Saint-cyriens sortis d’école dans les années 90 dans les armes de mêlée ont connu un engagement opérationnel permanent. Ils seront à la tête de l’armée dans les dix ans qui viennent. Quel sera le ton de leur dialogue avec le politique ? Et quels hommes politiques auront-ils devant eux ?
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Celui qui a entendu le claquement des impacts et vu l’infirmier donner la morphine au mourant derrière un tas de cailloux n’aura plus jamais pour le décideur l’indulgence d’un courtisan. La vision de sa carrière s’éloigne des vanités. Ce qu’il voudra, il le voudra pour le soldat car, pour lui, c’est le soldat qui incarne sa vocation et qui incarne la France. C’est pour ce soldat qu’il réclamera une mission claire et, si les moyens manquent, il voudra que celui qui l’envoie au casse-pipe ait le courage de le lui dire en face et de le dire à la nation tout entière.
Bientôt, il n’y aura plus un seul homme politique qui aura fait un service militaire. Longtemps encore la majorité des politiques seront des fonctionnaires en disponibilité, quelques avocats... Les entrepreneurs, les agriculteurs et les ouvriers, tous ceux qui constituent la société réelle et ont des responsabilités concrètes à assumer ont, hélas, autre chose à faire. Le dialogue du militaire avec ces politiques sera de plus en plus désincarné. D’autant plus que cette classe politique commence à comprendre que la puissance a déserté les hémicycles pour le monde insaisissable des bourses, des multinationales et des paradis fiscaux.
Les officiers de demain auront devant eux des politiques qui ne croient plus à l’importance de leur rôle et qui laissent aux aléas des marchés le soin de décider du destin des peuples qu’ils ignorent. Comment pouvez-vous imaginer que de tels hommes se rencontrent ? Il ne nous reste qu’à espérer qu’à cette nouvelle génération d’officiers corresponde une nouvelle génération d’hommes politiques. Des hommes et des femmes qui mesurent le poids énorme des responsabilités qui reposent sur les épaules de la France. J’ai répété à mes élèves, à Saint-Cyr comme à l’Ecole d’application de l’infanterie, que si, dans l’hiver de 1939, vingt divisions françaises conduites par des Lannes, des Kleber ou des Desaix avaient foncé sur le Rhin de Coblence comme les armées de l’An II, Auschwitz n’aurait jamais existé. De l’équation première, il revient que la détermination n’y était pas et la compétence non plus. Les moyens étaient là, mais il suffit d’un facteur nul pour que le produit le soit. Il ne faut jamais que cela se reproduise.
Demain, le dialogue entre le politique et le militaire sera un dialogue de grands caractères ou ne sera pas. Ce n’est pas tant de décrets, où l’on disserte mot à mot des prérogatives des uns et des autres, que la France et son armée ont besoin mais de l’entière détermination de tous à consentir l’effort auquel notre rang nous oblige. Hauts les cœurs !