LIBRE OPINION : Le politique et le Militaire

Posté le mardi 13 mai 2014
LIBRE OPINION : Le politique et le Militaire

La relation entre l’un et l’autre peut être étudiée à plusieurs niveaux. Je me limiterai ici à celle entre le gouvernement et la haute hiérarchie militaire. Pour cela je ne ferai que citer un passage du manuscrit de mon dernier livre « Dans l’œil du cyclone », passage que j’ai dû abréger dans l’écriture définitive.

 … 
Jean d’Albion, pseudonyme d’un officier ayant pu observer cette faune de l’intérieur des cabinets, écrivait ceci en 1991 :

« Une des raisons de l’incompréhension entre politiques et militaires doit être recherchée dans un comportement équivoque des officiers en situation de responsabilité auprès des hommes politiques. Ces hommes savent qu’ils jouent leur carrière sur l’idée que se feront d’eux les politiques.

Aussi évitent-ils de les contredire et de les contrarier. Mais, en outre, à se trouver en rapport constant avec les civils des cabinets, ils s’imprègnent de leurs défauts, par mimétisme, c’est-à-dire qu’ils prennent toujours en compte la situation politique et les méandres de la vie d’une équipe gouvernementale.

Plutôt que d’afficher leurs préoccupations et les faits militaires avec lesquels on ne peut tricher, ils cherchent à aller au-devant des souhaits du « patron », ce qui présente de réels dangers. Trop souvent, cette vie dans les cabinets corrompt nos chefs militaires qui ne conservent pas l’attitude carrée qui sied en cas de conflit véritable (…)

Le Chef d’état-major particulier à la Présidence de la République devient, sauf accident rare, Chef d’état-major des Armées ou d’une armée. Le chef du cabinet militaire du ministre termine sa carrière à quatre ou cinq étoiles ; il arrive souvent qu’il soit lui aussi nommé chef d’état-major.

C’est une étrange façon de choisir les chefs militaires sur des critères politiques et non techniques ou de qualité de commandement. »

Charles de Gaulle disait autrement la même chose soixante ans auparavant ! (Le fil de l’épée).

Si cette influence politique, que des chefs complaisants s’imaginent avoir, était utile à la considération des armées par la classe politique et au développement de l’esprit de défense, il y aurait moindre mal. C’est, hélas, exactement le contraire : par le manque de caractère trop fréquent de la haute hiérarchie militaire, on se rapproche aujourd’hui du « point zéro » de la considération du monde politique pour la chose militaire et ceux qui l’incarnent.

Qu’il n’y ait plus d’académiciens ou de parlementaires issus des armées, passe encore, mais il est proprement scandaleux qu’on enlève progressivement et sûrement aux militaires la direction de nombreux organismes qui ont vocation à traiter de la sécurité et de la défense de la France. En voici la liste incomplète et provisoire : 
le Secrétariat général de la défense nationale (SGDN), la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) la Direction de la communication de défense (Dicod, ancien Sirpa), la Direction de la protection et de la sécurité de Défense (DPSD) et la Fondation pour la recherche stratégique (FRS), demain l’Institut des hautes études de la défense nationale (IHEDN), la Revue de défense nationale (RDN) ?

Pour ne prendre que le cas du SGDN dont j’ai été naguère, sous l’autorité d’un chef militaire, le directeur de cabinet, j’affirme que « la continuité de l’action gouvernementale en temps de crise et de guerre », qui est sa mission principale, serait demain beaucoup moins bien assurée qu’elle ne l’était hier, sous responsabilité militaire.

Il faudrait expliquer comment on a pu en arriver là et pourquoi la haute hiérarchie militaire s’accommode de cette marginalisation insidieuse, sans jamais protester ni démissionner.

J’écrivais ceci il y a quatre ans. Que faut-il changer aujourd’hui ?

Serait-il excessif de noircir encore un peu plus le tableau ?

Source : le général d’armée Jean Cot - Promotion « Ceux», (1953-55) , Ancien commandant de la Première Armée.