LIBRE OPINION : Rafale d’innovations

Posté le mardi 01 juillet 2014
LIBRE OPINION :  Rafale d’innovations

Par le Capitaine Yohan DROIT - (Revue Epidosis juin 2014 – www.cesa.air.defense.gouv

Le ministre de la Défense a récemment signé avec les industriels concernés le contrat de développement et d’intégration du standard F3R du Rafale, pour une valeur d’environ 1 Md€. Derrière ce terme plus ou moins barbare de standard F3R se profile l’évolution planifiée des équipements et des performances de cet avion de combat. Cette évolution réalisée par paliers successifs renvoie au concept même de polyvalence du Rafale et à son caractère réellement innovant pour les armées. Encore faut-il rappeler ce qu’est la polyvalence et indiquer en quoi elle est une innovation majeure.

Les avions spécialisés

Depuis la Première Guerre mondiale et l’émergence de l’aéronautique militaire, l’aviation de combat comporte trois grandes catégories de missions : reconnaissance, chasse et bombardement. Traditionnellement, les états-majors emploient des flottes d’avions spécialisés, c’est-à-dire aptes à remplir une mission en particulier, dite « mission principale » et une ou deux autres missions dites « secondaires », sans pour autant disposer des moyens adaptés pour la remplir au mieux.

C’est ainsi que le Mirage 2000D en service dans l’armée de l’air est un chasseur optimisé pour l’assaut conventionnel qui peut, le cas échéant, exécuter une mission d’interception pour laquelle le Mirage 2000 RDI a été spécialement conçu mais peut, lui aussi, effectuer des missions d’assaut air-sol. La spécialisation semble en effet la réponse la plus adaptée pour disposer des équipements les plus performants dans une mission particulière. Tous les avions du début du XXe siècle ont été bâtis sur ce modèle. Pourtant, au début des années 1980, le Rafale est forgé à partir du concept central et novateur de polyvalence qui est la première innovation du Rafale et la plus caractéristique.

La polyvalence du Rafale

A l’inverse de la spécialisation qui ne permet la réalisation optimale que d’une seule mission, la polyvalence d’un avion de combat permet à celui-ci de réaliser plusieurs missions de natures différentes au cours d’un même vol. Ce concept constitue une rupture claire par rapport aux anciennes générations d’avions. La dialectique de deux grands facteurs permet d’exprimer et de satisfaire ce besoin nouveau de polyvalence.

La polyvalence repose en premier lieu sur un besoin de rapidité et de souplesse opérationnelle. A la fin des années 70, un des principaux scénarios d’engagement prévoit de pénétrer en basse altitude le territoire ennemi afin d’aller frapper des objectifs, tout en étant capable d’assurer sa propre protection contre la chasse adverse. Les conditions d’exécution de cette mission font appel alternativement, voire simultanément, à des capacités air-sol et air-air. Un avion capable de réaliser efficacement les deux missions en vol permet d’améliorer considérablement la souplesse d’emploi et la réactivité de l’outil. Bien sûr, ce besoin est dépendant de l’état de la technique du moment. En 1980, par rapport au besoin opérationnel, il s’agit donc bien d’une dialectique. Dans ce cadre, les radars s’affirment de plus en plus comme un équipement central pour la polyvalence des avions de combat modernes. Dans le cas du Rafale, l’innovation technique est venue étayer l’innovation de concept. Les performances d’un équipement militaire doivent évoluer régulièrement afin de rester en avance face à la menace. L’informatique prenant une place de plus en plus importante dans l’efficacité militaire d’un avion de combat, il devient possible d’imaginer une évolution incrémentale du système. A chaque nouvelle évolution, l’avion améliore ses capacités existantes ou intègre de nouvelles fonctionnalités qui améliorent son efficacité opérationnelle.

Le standard F3R du Rafale

On dénombre trois principaux standards sur Rafale : F1, F2 et F3, avec son évolution F3R. A chaque standard correspond une évolution des capacités de l’avion. Le standard F1 se concentre sur les capacités air-air. Le standard F2 cumule des capacités air-air et air-sol mais c’est véritablement avec le F3 que le Rafale atteint sa pleine polyvalence. Dans ce standard, il est apte à mener l’ensemble de la panoplie des missions aériennes que sont les missions air-air, air-sol, reconnaissance et dissuasion nucléaire.

Le standard F3R prévoit des améliorations dans le système d’armes et l’intégration de nouvelles capacités air-air (missile Meteor) et air-sol (nouvelle nacelle de désignation laser). Il ne s’agit pas d’un investissement imprévu ou additionnel mais bien d’une évolution programmée d’un matériel. Ce faisant, le Rafale est armé pour durer dans le temps long. Cette manière d’incorporer les évolutions techniques au fur et à mesure évite une obsolescence rapide de l’avion. La flotte Rafale intègre ainsi l’ensemble des évolutions liées à l’arrivée d’un nouveau standard. Elle évite également d’avoir à développer et à produire des avions entièrement nouveaux tous les dix ans, comme c’était le cas auparavant. Ainsi, l’évolution de l’avion se concentre-t-elle principalement sur les systèmes opérationnels à haute valeur ajoutée. S’il n’est pas systématiquement nécessaire que les performances du vecteur (vitesse, altitude, rayon d’action, etc.) continuent de croître, l’évolution des performances de son système d’armes (portée radar, capacités de traitement informatique, intégration de nouveaux équipements, etc.) est cruciale pour maintenir son niveau d’excellence. Cette innovation incrémentale matérialisée par le standard F3R permettra au Rafale de poursuivre sa vie opérationnelle jusqu’en 2040.

Polyvalence et facteur humain

Au-delà du facteur technique, la polyvalence du Rafale est étroitement dépendante du facteur humain, pris individuellement ou collectivement. Rien ne sert d’avoir un avion polyvalent si on n’est pas prêt à en tirer tout le potentiel. Pour reprendre les mots de Pascal Vennesson dans Les chevaliers de l’air : « Dans l’art de la guerre, les transformations décisives proviennent moins de changements dans la technologie que de l’organisation sociale des guerriers. La lance ou la poudre et les techniques qui lui sont associées n’ont acquis une signification militaire que par l’intermédiaire d’une discipline et d’une organisation, comme la phalange dans la Grèce antique ».

Si la polyvalence ne remet pas en cause les principes généraux d’emploi de l’arme aérienne, elle fait évoluer les modalités tactiques de mise en œuvre de l’aviation de chasse. Les implications de la polyvalence pour l’armée de l’air sont de première importance. Les possibilités nouvelles amènent à revoir et à modifier le socle des compétences détenues par le personnel navigant ainsi que sa formation et son entraînement. D’un point de vue structurel, la polyvalence conduit à adopter le format d’escadrons polyvalents avec un socle de compétence commun dit « socle de base » et une mission d’expertise préférentielle dite « mission de référence ». Ce format nécessite donc un entraînement séquencé dit « par phases ». L’organisation adoptée débouche sur une polyvalence ciblée et collective, dont l’exploitation globale est organisée en réseau avec des pôles d’expertise répartis entre les escadrons. Tous ces changements affectent nécessairement l’identité et la culture de l’aviation de chasse1. En particulier, la polyvalence efface très largement la distinction historique entre l’aviation de défense aérienne et l’aviation de bombardement, entre les « bleus » et les « verts». La pleine polyvalence du Rafale constitue une révolution sur le long terme pour l’armée de l’air. Les nombreux changements apportés sont la preuve de sa nouveauté et sont également la manifestation d’une profonde innovation dans la durée.

Les opérations récentes ont permis de démontrer la pertinence du choix, fait au début des années 1980, d’opter pour un avion entièrement polyvalent. En Libye, le Rafale a montré l’étendue du spectre de ses capacités en réalisant des missions de supériorité aérienne, de frappe au sol (y compris avec des missiles de croisière à longue distance) et de reconnaissance, grâce à l’implication de tout le personnel de la communauté Rafale et à la pertinence des choix en matière de formation. A chacun de ses engagements en Afghanistan, en Libye et au Mali, le Rafale a donné entière satisfaction.

Capitaine Yohan DROIT

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Source : Revue Epidosis juin 2014 – www.cesa.air.defense.gouv