LIBRE OPINION : SUR L'"ETAT ISLAMIQUE EN IRAK ET AU LEVANT "

Quels mots employer pour exprimer l'horreur qu’inspirent les événements du Nord de l'Irak: d'abord cette irruption d'un pseudo-khalifat dont la barbarie semble nous ramener au premier millénaire mais qui est en réalité bien pire ? Les premiers khalifes se contentaient de taxer les minorités juives et chrétiennes, ils ne les massacraient qu'exceptionnellement : dhimmi, après tout, signifie protégé.
Ensuite le sort des chrétiens d'Irak (et d'autres minorités) massacrés (combien l'ont été ? On ne sait), en fuite ou en péril. Il devrait émouvoir d'autant plus les Français qu'en droit international, les chrétiens de l'Empire ottoman avaient le statut non point d'étrangers, mais de protégés français : par quelle aberration, le gouvernement français est-il dès lors le moins accueillant des gouvernements européens ?
Mais le plus extravagant est que les armes dont se servent les soldats de ce nouveau djihad, du soi-disant Etat islamique en Irak et au Levant sont les mêmes que nous leur avons vendues au cours des derniers mois, que nos services spéciaux leur ont appris à utiliser. Et ce sont les armes de l'arsenal de Khadafi que nous avons permis aux islamistes de tout poil , à commencer par ceux du Mali, de se partager. Ces trafics ne nous ont jamais dissuadés de considérer les principaux payeurs, Arabie saoudite, Qatar, comme des amis.
Aussi stupéfiant: ce qui se produit au Nord de l'Irak n'est nullement une surprise puisque cela serait arrivé un peu plus tôt en Syrie si le projet d'aider directement au renversement du président Assad avait abouti.
Nous avions déjà l'expérience de l'Afghanistan, du Mali et d'autres pour voir que les djihadistes, loin de nous savoir gré de notre soutien, se précipitent, dès qu'ils en ont l'occasion, pour brandir leurs armes contre l'Occident. Témoin la décapitation de deux journalistes américains et d'un humanitaire anglais par l'EIIL.
Même le roi d'Arabie doit trouver amer que ses ex-protégés revendiquent le khalifat dont il considérait être, de facto, l'héritier.
Or, après de telles déconvenues, c'est apparemment sans le moindre trouble de conscience que le département d'Etat qui avait mis sur pied une coalition occidentale contre les talibans en Afghanistan et contre Saddam Hussein en Irak, puis tenté d'en monter une autre contre Assad en Syrie, s'évertue d' en mettre en place une nouvelle aujourd'hui contre les islamistes qu'ils avaient jusque là aidés. Une coalition qui pourrait même comprendre l’Iran, archi-diabolisé jusqu'ici.
Confondu par tant d'inconséquence, on en cherche la cause.
La première qui vient à l'esprit est l'incompétence. On en a déjà eu de nombreuses preuves dans cette région. Qui pouvait douter que, la "démocratie " rétablie en Irak, les chiites, évidemment alliés de l’Iran, prendraient immédiatement le pouvoir par la force du nombre ? Qui pouvait douter que le licenciement de l'armée de Saddam, avec ses armes et sans solde, conjugué avec la mise à l'écart systématique des cadres baasistes, n'entretienne un long désordre dans ce pays ? Qui pouvait imaginer que le rétablissement de la démocratie en Egypte amènerait au pouvoir quelqu'un d'autre que les Frères musulmans
Mais l'incompétence est largement partagée: c'est ainsi que Helmut Schmidt met gravement en cause celle de la commission européenne qui a , selon lui, "une part de responsabilité dans l'aggravation de la crise ukrainienne" et il s'emporte contre les bureaucrates qui "comprennent trop peu la politique étrangère". Bruxelles, dit-il, "se mêle trop de politique étrangère, alors que la plupart des commissaires européens la comprennent à peine". L'ancien chancelier va jusqu'à évoquer le risque d' une troisième Guerre mondiale.
Comment ne pas être frappé de la distance entre l'immense capacité technique des grandes puissances, singulièrement les Etats-Unis, et leur incapacité à se fixer des buts de guerre cohérents, pire, à percevoir leurs vrais intérêts.
Mais peut-être ces buts de guerre étaient-ils plus subtils que ce que l'on dit ? Au grés de certains aurait été appliquée au Proche-Orient :la théorie du chaos: la suprématie américaine et la sécurité d'Israël seraient mieux assurés si tous les Etats de la région , spécialement eux où il avait encore une charpente comme les dictatures nationalistes , sombraient dans des rivalités tribales .
S'il est vrai que l'histoire de la région au cours des dernières années n'exclut pas, bien que nous ne soyons sûrs de rien, qu'une telle entreprise ait été poursuivie, nous voyons aujourd'hui avec l'EIIL le monstre qu'elle a fabriqué.: Fankenstein ou le golem, au choix.
Au moment où une écrasante supériorité technique des Etats-Unis et d' Israël leur permet de mener ( sauf en Afghanistan) une guerre presse-boutons ( n'est-ce pas ainsi que s'est effectué le bombardement de Gaza?) , permettre à certaines factions de leur périphérie de se livrer à une guerre permanente , une vraie guerre de terrain pour le coup , c' est courir le risque de trouver un jour face à soi ces factions surentrainées.
C'est ce qui s'est passé au Liban: nous ne savons pas qui a alimenté la longue guerre civile qui a divisé ce pays, mais il en est émergé au bot du compte, par une sorte de sélection naturelle, le Hezbollah dont la force ne tient pas seulement au soutien de l'Iran mais aussi à son surentrainement. Tsahal en a fait l'expérience. L'armée d'Assad n'était pas flambante avant la présente guerre civile; Si elle la gagne, elle en sortira singulièrement sortira renforcée. Et naturellement l'Etat islamique en Irak et au Levant n'est autre que la conjugaison de ces forces surentrainées sur différents champs de bataille que nous avons aidées au cours des dernières années.
Il faut bien sûr une intervention musclée pour détruire cette entité barbare. Et il faut aussi que la France, n'oubliant pas son rôle traditionnel de protection des chrétiens d’Orient, y occupe une place de premier plan.
Il n'y a certes pas là les prémisses d'un embrasement mondial. Nous ne sommes plus au VIIe siècle: l'exaltation religieuse ne tiendra pas longtemps devant la supériorité technique. Mais il faut aussi que certains stratèges en chambre, aussi cyniques qu'ignorants du passé cessent d'imaginer qu'on peut impunément semer le vent sans récolter la tempête.
Roland HUREAUX Roland.hureaux.over-blog.com