LIVRE : "L'ami américain" d'Eric BRANCA. LIBRE OPINION de Jean-Jacques NOIROT.

Posté le vendredi 12 janvier 2018
LIVRE : "L'ami américain" d'Eric BRANCA. LIBRE OPINION de Jean-Jacques NOIROT.

Tel est le titre-ironique à souhait-du livre d'Eric Branca qui m'a été recommandé, en même temps qu'à d'autres de mes amis, pour mieux comprendre à la fois notre Histoire récente, actuelle et future. 

Ce livre est une ligne de mire pointée sur l'Amérique pour  dénoncer la volonté de domination des États Unis sur l'Europe et plus particulièrement la France. Il consacre le général de Gaulle comme unique et déterminé rempart face à cette domination, sa "certaine idée de la France" se résumant à "l'indépendance", seul guide qui selon lui, vaille en politique. Cette idée d'indépendance s'est accompagnée d'une hauteur de vue quant aux destinées du monde, que soulignent le discours de Dakar, puis la décolonisation, la réconciliation franco-allemande, plus tard le refus de s'aligner sur l'un des deux blocs, la reconnaissance de la Chine, voire le discours sur le Québec libre. Elle ne va pas, pour triompher, sans affrontements, trahisons, coups bas mais aussi abnégation et dévouement. Tout cela nous est décrit dans un style alerte et dépouillé. 

Ce livre est donc un réquisitoire sans pitié à l'encontre de tous ceux qui, français ou étrangers, dirigeants ou commis, ont réfuté ou combattu l'idée que l'indépendance de la France était son plus souverain bien. Il lève le voile, dans les interstices de faits ou de comportements de personnages connus du grand nombre, sur l'envers d'un décor  dont le lecteur n'avait pas idée, qui le plongent dans la stupeur. 

 

Les épisodes qui ont opposé le général de Gaulle aux dirigeants américains sont détaillés, parfois jusqu'à l'excès. Il en ressort l'immense force de caractère de l'homme du 18 juin contrastant avec la petitesse mesquine de ses adversaires ou détracteurs. Des noms d'hommes politiques français sont cités, rétablissant des vérités sur leur rôle de figurants, exécuteurs sans envergure d'ordres venus d'ailleurs au mépris du bien commun et parfois de l'honneur. L'animosité, voire l'agressivité de l'administration américaine est allée jusqu'à l'hypothèse d'une liquidation physique. Un comble! La solitude dans la grandeur du général de Gaulle constitue une des clés de lecture de ce livre passionnant. 

 

Dans l'esprit du chef de la France libre, l'indépendance de la France est inséparable de sa défense et des moyens nécessaires à sa mise en œuvre. Malgré les récriminations, prédictions catastrophiques, oppositions politiques, économiques ou médiatiques d'experts de tout poil obéissant aux injonctions américaines, le général de Gaulle mettra sur pied dès les premières années de son mandat de président, grâce aux seuls ingénieurs français, financée par son budget, la force de dissuasion qui donnera à la France son rang sur l'échiquier international des années soixante et suivantes. S'appuyant ensuite sur la force nucléaire tactique et stratégique dont il a doté la France, il quittera en 1966 le commandement intégré de l'OTAN. Les dirigeants américains s'étranglent! Les péripéties de cette aventure épique nous sont contées sans fard, dans le détail, et  la lecture captivante qui nous est proposée donne naissance à un certain dégoût pour tous ceux qui, pour des motifs médiocres et démagogiques, ou par pure stratégie de conquête du pouvoir, s'y sont opposés avant, une fois parvenu à leur fin, de s'y rallier. 

 

Les présidents qui ont succédé à Georges Pompidou-dont la disparition prématurée n'a pas permis de savoir quelle aurait été sa position vis à vis des américains-ont tous succombé à la tenace et oppressante séduction contenue dans les avances faites par les présidents des États Unis, rognant peu à peu cette indépendance voulue par le fondateur de la V ème République. La lente et inexorable descente dans la douceur sédative de la dépendance nous est décrite avec preuves à l'appui. Tous ces présidents français démocratiquement portés au pouvoir par un électorat volontairement sous informé ont droit à leur passage devant le tribunal de l'Histoire dressé dans ce livre. Pour nous, citoyens qui les avons élus, cette lecture est douloureuse. Certains propos rapportés sont méprisants à l'égard de celui qui a relevé notre honneur, et une immense interrogation nous saisit quant à la valeur morale ou simplement humaine, ou de discernement, des dirigeants qui, depuis les années 70,  se sont présentés à nos suffrages. Au final, tous nous font plus ou moins  honte. Et tous nous ont rabaissés. 

 

Cet ouvrage nous montre, mais tout le monde le sait, que la puissance qui confère l'indépendance a plus qu'un coût. Elle a du prix. Le général de Gaulle a assumé ce prix. Visionnaire, il considérait que les questions économiques avaient leur importance pour les citoyens mais que la grandeur et l'indépendance, du ressort du seul état, en avaient tout autant pour une France se voulant leader dans une Europe des nations en cours de construction. 

Aujourd'hui, le monde de la Défense a vu avec effarement, et consternation, l'ancien CEMA, le général de Villiers, démissionner sur une question budgétaire. C'est la preuve que nos nouveaux gouvernants n'ont pas encore tout compris. La lecture de ce livre leur ouvrirait des horizons insoupçonnés. A leur décharge, ils ont accédé au pouvoir alors que le mal est fait à l'égard de notre soumission vis à vis de la puissance américaine. Nous avons réintégré l'OTAN. Le budget des armées est passé de 2% dans les années 80 à 1,4%, avec une déflation inédite des effectifs, des matériels obsolètes, une condition militaire délicate, une hiérarchie sous surveillance. Tout cela alors que nous sommes en guerre. 

"L'ami américain" a de quoi sourire. Le gêneur a depuis longtemps disparu et, pour la plus grande satisfaction de cet allié envahissant, aucun de ses successeurs ne se réclame plus de lui. L'espoir des tenants, en France, d'une politique de défense indépendante et puissante réside, paradoxalement, dans la nouvelle administration américaine, qui voudrait nous obliger à prendre nos responsabilités et nous donner les moyens de faire face seuls aux dangers qui nous environnent, même si ces dangers ont parfois du mal à être clairement définis ou pointés dans la bonne direction. 

Bonne perspective? Ou simple parenthèse dans la détermination réputée immuable des américains à vouloir dominer les états, voire à les asservir? 

Nous pourrions croire que tout a été dit ou écrit sur le général de Gaulle. Vous allez voir qu'il n'en est rien. Lisez cet excellent ouvrage, dont la construction  chronologique facilite la lecture et la compréhension, pour vous faire une idée éclairée sur nos relations tumultueuses et crispées avec "L'ami américain". 

 

Jean-Jacques NOIROT

Site de diffusion : www.asafrance.fr

 

Source : www.asafrance.fr