LOGEMENTS MILITAIRES : "de véritables repoussoirs".

Posté le samedi 18 janvier 2020
LOGEMENTS MILITAIRES : "de véritables repoussoirs".

 

 

Extraits

du rapport d’information déposé par
la Commission de la Défense nationale et des forces armées
en conclusion des travaux d’une mission d’information sur

La politique immobilière du ministère des Armées

Présenté par MM. Les députés
Laurent FURST (LR) et Fabien LAINÉ (mouvement démocrate)

 

 

(…)

M. Fabien Lainé, co-rapporteur.

Le tableau général ayant été brossé, il est temps d’en venir aux constats que nous avons établis au cours de nos travaux. De manière générale, nous estimons que la politique de logement et d’hébergement du ministère est mal définie et, qu’en l’état, sa mise en œuvre est susceptible de pénaliser tant les personnels que l’institution militaire elle-même.

D’abord, le parc en lui-même est à l’origine de nombreux questionnements.

1/ Premièrement, il semble inadapté tant à la carte militaire qu’aux attentes des personnels.

On constate ainsi l’existence d’une dichotomie entre l’offre et la demande, qui se traduit par un taux moyen de réalisation de demandes de logement de seulement 56 % en 2017.

Ceci résulte soit d’une offre inexistante, soit d’une offre inadéquate motivant un refus en raison d’une localisation inadaptée ou de l’état du logement proposé.

Les logements vieillissants dont l’entretien a été négligé constituent même de véritables repoussoirs pour les familles habituées à un confort estimé normal de nos jours, d’autant que la notion de mauvaise qualité ne se limite pas à un défaut d’entretien. Elle s’étend aux modes de vie actuels et à des exigences de confort telles que le choix d’une maison plutôt que d’un appartement, en particulier en province, un jardin, une terrasse, des sanitaires en nombre suffisant, une cuisine ouverte, et ainsi de suite.

Dans ce contexte, l’insécurité, réelle ou supposée, est un facteur émergent désormais clairement exprimé sur le terrain. Nous l’avons entendu de nombreuses fois au cours des auditions. Cette question est particulièrement criante au moment d’un déploiement en opération : le militaire sur le départ souhaite être assuré que sa famille sera en sécurité.

Si, en matière d’hébergement, le problème de la localisation ne se pose guère sur la plus grande partie du territoire, il en est autrement en Île-de-France. À titre d’exemple, il nous a été indiqué que des militaires travaillant à Vincennes sont hébergés à Saint-Germain-en-Laye, soit à l’exact opposé de l’agglomération parisienne, même si la ligne 1 du métro fonctionne normalement ces temps-ci…

De même, les évolutions sociologiques semblent avoir tardivement été prises en compte. Deux points apparaissent notamment problématiques. D’une part, l’évolution des structures familiales, avec une hausse du nombre de familles éclatées ou recomposées, à l’instar du reste de la population française ; d’autre part, l’accroissement du taux d’emploi du conjoint, à hauteur de 85 %, et, ce faisant, du nombre de célibataires géographiques, en raison du choix de nombreux couples de préserver l’emploi du conjoint et la stabilité de la famille lors des mutations.

 

2/ Deuxièmement, la gestion du parc social réservé ne paraît pas satisfaisante.

En dépit d’une présélection effectuée par les bureaux du logement, il arrive que les commissions d’attribution des bailleurs refusent les dossiers présentés, et ce bien qu’il s’agisse d’un logement réservé. En outre, le ministère des Armées n’est pas le seul réservataire de logements sociaux, et se trouve en concurrence avec d’autres réservataires, ce qui est d’autant plus problématique que le calendrier d’attribution par les bailleurs entre en conflit avec le calendrier des mutations militaires. Enfin, il semblerait que nombre de bailleurs ne prennent pas suffisamment en compte les spécificités militaires.

 

3/ Troisièmement, le parc est aussi dégradé.

Il est d’abord vétuste ! Un audit réalisé en 2017 a ainsi relevé que 63 % des logements domaniaux avaient plus de soixante ans, tandis que les deux-tiers des hébergements avaient dépassé leur « mi-vie ».

Mais encore, l’âge des bâtiments ne serait pas un problème s’ils étaient correctement entretenus ! Or, qu’il s’agisse des logements domaniaux ou des hébergements, le défaut d’entretien est patent : 20 % du parc d’hébergement présente des dégradations apparentes, nombreuses ou généralisées, certains locaux frisant l’insalubrité.

En conséquence, il arrive que des bâtiments soient entièrement condamnés, comme c’est le cas, par exemple, sur la base aérienne 123 d’Orléans-Bricy.

Il est plus difficile d’évaluer l’entretien courant des logements conventionnés ainsi que du parc domanial géré par CDC Habitat. Les retours des locataires sont contrastés, certains se disant satisfaits et d’autres mécontents, voire très mécontents, soulignant notamment un manque de réactivité les amenant à procéder ou à faire procéder eux-mêmes aux réparations nécessaires.

Le défaut d’entretien et de mise à niveau des logements porte également sur la performance énergétique des bâtiments domaniaux, 35 % des logements défense utiles, ceux qui sont actuellement occupés, se situant en classes F et G, contre 22 % à l’échelle nationale.

Cette situation est le résultat d’années de sous-investissement, alors que les infrastructures ont souvent été sacrifiées au profit de la mission et du renouvellement capacitaire. Les chiffres parlent d’eux-mêmes : de 2006 à 2016, le budget consacré à l’entretien du parc immobilier – écoutez bien ce chiffre – est passé de six à deux euros au mètre carré !


4/ Quatrièmement, le coût du parc est relativement élevé 
:

Coûts de possession, coûts de réservation, coûts de construction… À titre d’exemple, la réservation d’un logement par convention est estimée à environ 60 000 euros dans une zone tendue telle que la région parisienne. Au total, le ministère s’acquitte ainsi de droits de réservation d’un montant annuel d’environ 15 millions d’euros.

M. Laurent Furst, co-rapporteur.

Nous avons également constaté que la multiplicité des acteurs intervenant dans la chaîne du logement génère une certaine confusion. Il ne s’agit d’ailleurs pas d’une chaîne à proprement parler puisque de nombreux acteurs interviennent de manière transverse, et pas toujours coordonnée selon nous.

En effet, les bâtiments d’hébergement sont sous la responsabilité du service du commissariat des armées, mais certains servent à l’hébergement ou à l’hôtellerie ; l’IGESA, établissement public industriel et commercial (EPIC) dépendant de la sous-direction de l’action sociale, gère des résidences hôtelières mais héberge également des célibataires géographiques et a repris des cercles-mess de la marine ; des logements familiaux sont proposés à titre expérimental à des militaires qui relèvent de l’hébergement ; les cercles-mess dépendent du SCA, mais pas à Paris, où ils sont sous l’autorité du Gouverneur militaire…

Sans oublier les questions hiérarchiques entre autorité organique et autorité fonctionnelle : ainsi, un bureau du logement de base de défense est rattaché organiquement au groupement de soutien de base de défense (GSBdD) au sein de la chaîne du SCA, mais reçoit ses directives du bureau régional du logement qui en informe le ComBdD devant lequel le chef du bureau du logement de la base de défense est responsable…

Bref, la gouvernance de la politique du logement et de l’hébergement nous a paru d’une complexité un peu labyrinthique, et nous ne sommes toujours pas certains d’avoir trouvé le fil d’Ariane pour tout comprendre.

M. Fabien Lainé, co-rapporteur.

À cela s’ajoute le sentiment d’un manque de professionnalisation en interne, alors que la gestion d’un parc de plusieurs dizaines de milliers de logements, dont le nombre est appelé à croître, fût-elle déléguée à un organisme extérieur, ne s’improvise pas.

M. Laurent Furst, co-rapporteur.

Nous avons également été étonnés de constater que le commandement était tenu à l’écart de la mise en œuvre de la politique du logement, tant au niveau national qu’au niveau local. S’ils accompagnent la politique immobilière du ministère relevant de la direction des patrimoines, de la mémoire et des archives (DPMA), en tant que responsables de la condition et du moral du personnel de leur armée, les chefs d’état-major ne disposent ainsi d’aucun levier en la matière, pas plus que les commandants de formations en matière de logement familial, le centre de décision en matière d’attribution et de gestion se trouvant au niveau de la base de défense, où se situe le bureau du logement local.

M. Fabien Lainé, co-rapporteur.

Enfin, nous avons relevé certaines faiblesses au niveau des autres composantes de la politique du logement du ministère. C’est notamment le cas du volet logement de la politique indemnitaire, constitué d’une stratification d’indemnités dont il peut sembler difficile de saisir les nuances et d’identifier clairement les objectifs.

Ainsi, si l’indemnité pour charge militaire (ICM) est attribuée à tous les militaires, à l’exception de ceux qui touchent une solde spéciale, ce n’est pas le cas de la majoration de l’indemnité pour charges militaires (MICM) et des « primes de rideaux » : supplément forfaitaire de l’indemnité pour charges militaires (SUPICM) et complément forfaitaire de l’indemnité pour charges militaires (COMICM). Ces diverses primes ont vocation à compenser la mobilité ou à l’encourager, mais leurs critères et modalités d’attribution n’apparaissent pas toujours optimaux. Tout le monde me suit ? (sourires).

De même, si, grâce au plan famille, les mutations sont dorénavant annoncées en février ou mars, plusieurs mois avant le changement de résidence effectif, le calendrier diffère des préavis des locataires en place. Il y a donc un conflit temporel, et malgré leurs efforts d’anticipation, les bureaux du logement ne peuvent proposer des logements dont ils ne savent pas s’ils seront réellement vacants. La majorité des bailleurs ne déclarent d’ailleurs pas le logement vacant avant l’état des lieux de sortie…

M. Laurent Furst, co-rapporteur.

Au final, la situation semble problématique tant pour les personnels que pour l’institution. Au cours de nos déplacements, nombre de militaires nous ont confié avoir le sentiment de s’épuiser pour rien, face à des processus difficilement lisibles. Même les critères d’éligibilité et de priorité – sur lesquels nous pourrons revenir – semblent méconnus. Ce constat est d’ailleurs partagé par les états-majors, qui conduisent régulièrement des enquêtes de terrain pour évaluer le moral des personnels. Pour adresser leur dossier, les personnels doivent joindre des dizaines de pièces, en version papier le plus souvent. Il en résulte un sentiment de frustration, d’autant plus important que les interlocuteurs sont peu accessibles, surtout en Île-de-France. D’aucuns évoquent ainsi une déshumanisation, d’autant plus problématique que la recherche d’un logement nécessiterait un accompagnement de proximité et, surtout, un accompagnement personnalisé.

Ce sentiment de frustration, alimenté par des décisions parfois incomprises de cession de patrimoine – îlot Saint-Germain à Paris, par exemple – peut aussi nourrir une forme de ressentiment à l’égard des personnels les moins mobiles, qui empêcheraient la rotation des logements. Fort logiquement, de telles tensions sont particulièrement vives dans les zones tendues, essentiellement en région parisienne, où le logement constitue une source d’angoisse particulièrement vive.

 

Il y a là un enjeu d’importance pour les armées alors que, comme nous le savons tous ici, « il n’y a pas de militaire heureux sans famille heureuse ». Dès lors qu’il est question de logement, il convient de prendre en compte la famille entière, et pas uniquement le ou les militaires. Rien que pour l’armée de Terre, cela correspond à 58 000 conjoints et 121 000 enfants. Dans ce contexte, le « toit » constitue bien la première brique de la fidélisation.

 

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Rediffusé siur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

Source : www.asafrance.fr