MALI. Général du Peyroux : «On ne peut pas parler d’échec au Mali»

Posté le mardi 22 février 2022
MALI. Général du Peyroux : «On ne peut pas parler d’échec au Mali»

« La seule action militaire ne peut pas résoudre le problème du terrorisme dans sa globalité. Celui-ci instrumentalise des problématiques sociales, politiques et économiques face auxquelles Barkhane, avec ses avions, ses hélicoptères et ses soldats ne peut rien », explique le général. Nicolas Réméné

ENTRETIEN - Le chef de l’opération Barkhane détaille le retrait des militaires français de ce pays et explique que la lutte contre le djihadisme va se poursuivre au Sahel.

Barkhane au Mali, c’est terminé. L’annonce a été faite le 17 février par Emmanuel Macron. Mais Paris doit définir quelle forme prendra sa présence militaire au Sahel et en Afrique de l’Ouest, où la menace djihadiste ne cesse de s’étendre. Le général Étienne du Peyroux, chef de l’opération Barkhane, fait le point de la situation.

LE FIGARO. - Nombreux sont ceux qui considèrent que l’opération Barkhane a été un échec. Quel bilan tirez-vous des neuf ans de cette opération extérieure française ?

Étienne DU PEYROUX. - Je ne crois pas que l’on puisse tirer un bilan de notre lutte contre le terrorisme, car celle-ci n’est pas terminée. Barkhane quitte le Mali mais poursuit sa lutte au Sahel.

On peut tout de même établir un bilan malien…

Dans le cas du Mali, on ne peut pas parler d’échec militaire. Sans l’intervention française en 2013 (Serval à l’époque, NDLR), on peut légitimement penser qu’il n’y aurait plus d’État malien aujourd’hui. Nous avons également obtenu d’importants succès tactiques dans les zones où il nous était demandé d’agir. Nous avons empêché l’implantation d’un califat territorial dans le Nord et en particulier dans la zone des trois frontières (entre le Burkina Faso, le Mali et le Niger, NDLR). Nous y avons obtenu des victoires substantielles contre l’État islamique au grand Sahara, qui est aujourd’hui décapité et désorganisé. Enfin, l’un de nos objectifs était la montée en puissance de l’armée malienne. Quasi inexistante en 2013, elle est passée de 7000 soldats à 34.000 aujourd’hui, auxquels s’ajoutent 6000 gendarmes. À l’époque, il s’agissait d’une armée battue, aujourd’hui elle est structurée.

L’intervention n’a pas permis d’endiguer l’expansion du terrorisme au Mali et au Sahel…

Les groupes armés terroristes se sont adaptés. Alors qu’ils visaient plutôt des conquêtes territoriales en 2012, ils se sont ensuite dissimulés dans des zones où nous n’étions pas présents. Dans le centre du Mali, par exemple. Il faut ajouter que la seule action militaire ne peut pas résoudre le problème du terrorisme dans sa globalité. Celui-ci instrumentalise des problématiques sociales, politiques et économiques face auxquelles Barkhane, avec ses avions, ses hélicoptères et ses soldats ne peut rien. Barkhane ne peut pas se substituer à l’État malien.

Le désengagement est désormais acté. Combien de temps prendra-t-il ?

Nous avons des moyens logistiques propres, aériens, terrestres, maritimes par lesquels se fera le désengagement des 2400 soldats encore présents au Mali et de l’équipement des trois emprises (Gao, Gossi, Ménaka, NDLR) que nous quittons. Cela devrait prendre environ six mois.

Au regard des tensions entre Paris et Bamako et d’une contestation populaire grandissante, l’armée française a-t-elle fait des erreurs ?

Bien sûr que nous aurions pu faire certaines choses autrement. Il ne faut pas généraliser à tout le Mali, et à tout le Sahel, le sentiment que l’on dit «antifrançais». Mais sans doute n’a-t-on pas su faire comprendre aux populations le pourquoi de notre action. Nos codes de communication n’ont pas toujours été pertinents.

En novembre dernier, des heurts avaient entouré le passage d’un convoi français à Téra, au Niger, et à Kaya, au Burkina Faso. Faut-il craindre que la propagation de ce sentiment antifrançais n’entrave la poursuite de votre action ?

Comme vous le dites, il s’agit d’un sentiment, ce qui est toujours difficile à quantifier. Celui-ci est habilement instrumentalisé par certains. Il faudra voir si ceux qui l’agitent à Bamako auront des relais au Burkina Faso ou ailleurs. Nous veillerons en revanche à ne pas négliger cet aspect et à répondre aux contre-vérités sur lesquelles ce sentiment repose souvent.

Sans doute n’a-t-on pas su faire comprendre aux populations le pourquoi de notre action. Nos codes de communication n’ont pas toujours été pertinents

Quelle forme prendra la poursuite des opérations au Sahel ?

Cela dépendra de nos discussions avec les pays qui souhaitent un appui français. C’est à eux de nous dire ce dont ils ont besoin. Et, pour l’instant, ils ne demandent pas nécessairement que l’on réplique chez eux l’opération entreprise au Mali. On nous sollicite davantage pour de l’appui concernant les capacités aériennes, dont manquent certains pays, ou de la formation. On ne nous demande pas de mener des opérations de terrain où Barkhane serait en première ligne, comme c’était le cas au Mali.

Quel dispositif humain et matériel restera au Sahel ?

Il est difficile de répondre à cela aujourd’hui. Il n’y a pas d’objectif chiffré quant à l’effectif que l’on maintiendra dans la bande sahélo-saharienne, mais on s’avance plutôt vers une tendance à la baisse. Il s’agira davantage de dispositifs de soutien et d’appui, qui nécessitent moins de soldats. À ce jour, Barkhane compte déjà 800 hommes au Niger et autant au Tchad. Il n’est pas prévu que les soldats qui quittent le Mali soient redéployés dans la région.

Le Niger a-t-il vocation à devenir l’épicentre de l’opération française au Sahel ?

Cela relève surtout de la réponse politique. Mais, sur le plan militaire, il y a déjà une base à Niamey qui n’a pas vocation à être fermée. Dans le cadre de la réarticulation qui a été lancée par le président Emmanuel Macron en juin dernier, le Niger était déjà un point clé de notre action. Il devrait le rester.

S’il n’y a plus d’opérations sur le territoire malien, cela risque-t-il de compliquer votre action dans la zone dite des « trois frontières » entre le Niger, le Burkina Faso et le Mali ?

Ce sera effectivement l’objet de discussions. Il faut voir de quelle manière nous pourrons maintenir une forme de coordination avec les forces armées maliennes qui agiront de l’autre côté de la frontière. Malgré les différends politiques, on peut toujours envisager des actions coordonnées sur le plan opérationnel. Sur ce point, la force conjointe du G5 Sahel aura un rôle important à jouer. Mener des opérations transfrontalières avec un commandement unifié est le cœur de sa mission.

Le gouvernement malien demande un départ « sans délai » des troupes françaises. Cela peut-il changer la manière dont vous abordez ce désengagement ?

Ce désengagement sera conduit de façon propre, coordonnée et se fera en toute sécurité. Il est important de rappeler également qu’il se fera en liaison avec l’armée malienne.

Entretien avec le général du PEYROUX
Margot BELLONE
22 février 2022
Le Figaro

Source : Ministère des Armées

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Source : www.asafrance.fr