MARINE NATIONALE : Dans les coulisses de la rénovation du Charles-de-Gaulle.

Posté le lundi 22 octobre 2018
MARINE NATIONALE : Dans les coulisses de la rénovation du Charles-de-Gaulle.

Pendant dix-huit mois, deux mille hommes et femmes, marins et civils, ont participé, sur la base navale de Toulon, à la délicate modernisation du porte-avions français mis en service en mai 2001. Le bateau vient de reprendre la mer pour ses premiers tests, avant de repartir en mission courant 2019 s'il est déclaré « apte ».

Le Charles-de-Gaulle était arrivé à mi-vie et il était grand temps de le sortir de l'obsolescence technologique dans laquelle il était tombé. Mis en chantier le 24 novembre 1987, mais opérationnel le 18 mai 2001 seulement pour des raisons budgétaires, le porte-avions a participé à cinq grandes missions d'appui, de reconnaissance et de frappes aériennes dans les conflits où la France s'était engagée. Cinq missions qui lui ont fait parcourir l'équivalent de vingt-trois tours du monde et ont nécessité quelque 40 000 catapultages d'avions Super-Étendard et Rafale.

Depuis janvier 2015, il avait navigué plus de 14 mois au cours de trois missions de lutte contre l'organisation État islamique. « Le Charles-de-Gaulle, c'est 40.000 tonnes de diplomatie française », plaisante un officier à la base navale de Toulon, où le bateau vient d'être remis à flot après 18 mois de travaux. Seul navire de surface français propulsé par l'énergie nucléaire, il avait déjà subi, il y a dix ans, un retour à la base pour changer le combustible de ses deux réacteurs atomiques - Adyton et Xena -, disposés au milieu et au fond de la coque. En février 2017, il est entré dans le bassin Vauban de la base pour ce que la marine nationale appelle une « refonte à mi-vie ».

 

Manœuvres délicates

« C'est à la fois une révision et une rénovation complètes, explique le capitaine de vaisseau Marc-Antoine Lefèbvre de Saint-Germain, le pacha du navire depuis le 28 juillet 2017. Il s'agit de maintenir le bateau pour les 20 années suivantes à un niveau technologique qui soit à la hauteur du contexte dans lequel il va être engagé. » Ce chantier colossal a été anticipé 5 ans avant même le début des travaux, car il fallait créer de nouvelles technologies de combat, de surveillance et de communication puis les tester hors du bateau, ce qui a nécessité des travaux énormes. C'est le cas, par exemple, du nouveau dispositif d'aide à l'appontage laser, Dalas.

« Nous avons commencé sur des plateformes à terre, où nous avons reconstruit à l'échelle 1 :1 le Central opérations complet du Charles-de-Gaulle avec ses 25 consoles, détaille Marie-Laure, qui travaille pour Naval group, entreprise de haute technologie spécialisée dans la défense navale et principal prestataire sur le chantier. Nous avons aussi positionné tous les radars les uns par rapport aux autres et à la même hauteur, tels qu'ils sont sur le porte-avions pour vérifier si les nouveaux systèmes fonctionnaient correctement. Puis on a intégré ces équipements nouveaux dans le bateau. Cela a représenté 200 000 tâches et plus de 2000 essais à mener. »

Puis le chantier à bord a été lancé, tous les jours, souvent en trois-huit car, partout, les manœuvres étaient délicates. Et les pièces détachées, de taille. Certaines n'avaient jamais été déposées. Notamment une hélice, spécialement fabriquée par Rolls-Royce, en cuivre et acier. Elle pèse 20 tonnes, et l'écrou qui la bloque 300 kg. « Sur le porte-avions, il existe des pièces qui sont uniques, raconte François-Xavier, responsable des travaux mécaniques et fluides pour Naval Group. Si on les abîme, on retourne à la case départ. Rayer une pièce tournante, tel l'arbre des hélices, une vanne ou un safran signifie qu'il faut les faire refabriquer, parfois au prix d'un an et demi de délai. Bien sûr on prévoit des rechanges de “grande prévoyance” au cas où… Mais on ne peut pas se permettre ça pour toutes les pièces.»

Technologiquement, le navire était obsolète. Le « miroir », deuxième système d'appontage qui transmet des informations optiques aux avions en approche, datait du porte-avions précédent, le Clemenceau, mis hors-service en 1997. Les écrans installés dans le Central opérations, étaient encore des modèles à tubes cathodiques. En fait, une grande partie de la technologie embarquée remontait à l'époque du Minitel ! Il était urgent d'installer des écrans plats et tactiles en haute résolution, la 3D, des systèmes digitaux et une communication adaptée à la 4G. Désormais, le bateau est efficacement protégé contre les risques de cyberattaques.

« Un point essentiel était les 400 km de câbles qu'on a tirés, reprend le commandant Saint-Germain. Pour résumer, je dirais qu'on est passé du bon vieux fil de cuivre à la fibre optique. Or ce n'est pas en 18 mois qu'on accomplit un tel travail et qu'on s'assure que tout fonctionne bien. On a donc anticipé, sachant qu'il fallait, à un moment ou un autre, basculer des systèmes très sensibles comme ceux qui supervisent les chaufferies nucléaires. On ne prend pas le risque d'éteindre du jour au lendemain un tel système et de redémarrer l'autre. »

 

Nouveau radar Smart-S de veille aérienne

L'architecture informatique du bateau a aussi totalement changé. Quand il part en mission, le Charles-de-Gaulle est toujours accompagné de deux ou trois frégates et suivi d'un sous-marin. Chaque navire est maintenant « abonné » au système de communication du porte-avions. « Nous avons installé des baies informatiques dans des locaux qui n'étaient pas prévus pour ça au départ. Toute la puissance de calcul a été mise dans ces équipements qui créent une espèce de verrue dans le Central opérations. »

Quatre autres grands chantiers ont été mis en œuvre pour refondre le bateau, vérifier les pièces une par une et les changer le cas échéant. Des sanitaires aux cuisines, de l'hôpital de 600 m² aux systèmes d'armement. Chacun des deux moteurs Diesel, destinés à fournir de l'énergie en cas de problème avec les centrales nucléaires, représentait 5 000 pièces à démonter. L'un des gros œuvres sensibles fut la refonte du système de combat avec, entre autres, la mise en service du nouveau radar Smart-S de veille aérienne en 3D, ou encore le système de veille infrarouge panoramique Artémis. Des équipements qui créent une bulle de 400 km de diamètre, où tout ce qui vole ou navigue sous et sur l'eau est immédiatement détecté.

Autre tâche d'envergure, la modernisation de la plateforme, c'est-à-dire l'usine électrique, la propulsion et la rénovation du Satrap (système qui garantit la stabilité du navire lors de l'appontage des avions). Le Charles-de-Gaulle est en effet le seul navire au monde à disposer de « trains cogite ». Ce sont douze wagonnets remplis de plomb, montés sur des rails et disposés sous le pont d'envol. Ils se déplacent de bâbord à tribord, et inversement, en fonction de la houle. Cela permet aux avions de se poser sans problème sur le pont jusqu'à une mer de force 6, avec des creux de 4 à 6 mètres.

 

Quatre millions d'heures de travail

Enfin, le dernier chantier portait sur la rénovation des deux chaufferies nucléaires - Adyton et Xena - qui développent 83 000 chevaux et une énergie électrique de 16 mégawatts. Elles fabriquent la vapeur indispensable à la propulsion du navire, mais aussi aux catapultes pour les décollages. De conception américaine (seule technique non française à bord), les béliers des catapultes propulsent les avions le long des 75 m du pont. Grâce à ce système, le Central opérations est capable de faire décoller un appareil toutes les trente secondes. Un Rafale de 20 tonnes passe de 0 à 250 km/h en une seconde et demie. Rien que ce mode opératoire, unique aux Français et aux Américains, permet aux avions d'économiser 30 % de carburant.

Tout aussi étonnant, l'ingénieux système de recyclage de l'eau issue de la vapeur des centrales, réutilisée pour d'autres emplois. C'est ce qu'on appelle « l'eau nucléaire », qui alimente les douches à bord. « Tout s'imbrique pour qu'à la fin, on ait le bon pilote, dans le bon avion, doté du bon armement, qui décolle à la minute près », poursuit le pacha.

Pour relever un pareil défi industriel et technologique, deux mille personnes ont travaillé de concert, dont la moitié était des marins et l'autre des personnels de l'industrie civile. Cette régénération totale aura représenté quatre millions d'heures de travail. « Nous avions 160 prestataires issus de l'industrie régionale et nationale. Tous étaient partie prenante avec l'équipage, confie le pacha. Car ce n'est pas comme une voiture que l'on porte au garage et que l'on reprend une fois la révision terminée. En mer, il s'agit de savoir résoudre tous les problèmes qui surgissent. C'est donc l'équipe de France qui joue. On dit souvent que les armées coûtent cher, mais l'argent dépensé (un budget de 1,3 milliard €, NDLR) a été investi dans le savoir-faire français.

Le 14 septembre dernier, le Charles-de-Gaulle a quitté son quai pour tester, au large de Toulon, les nouveaux équipements électroniques, digitaux, radio… Une fois l'opération terminée, vers la fin de l'année, débutera un entraînement à la mer en plusieurs phases. L'équipage embarquera en premier afin qu'il se réapproprie le navire et soit capable de le manœuvrer dans toutes les conditions. Puis viendront les pilotes de l'aéronautique, qui devront se réhabituer à être catapultés et à apponter. Enfin, un entraînement au sein d'un groupe aéronaval, avec tous les bâtiments d'escorte. Ce travail de requalification, avec mécaniciens et pilotes, permet à chacun de reprendre sa place et d'être « le quartz » d'une horlogerie. S'il est déclaré apte, courant 2019, le navire partira en mission…

 

Gilles BOUSSAINGAULT

 Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

Source : www.asafrance.fr