MARINE NATIONALE : Le Chef de la marine française parle de préparation au combat et de portée mondiale

Posté le mercredi 19 octobre 2022
MARINE NATIONALE : Le Chef de la marine française parle de préparation au combat et de portée mondiale

STUTTGART, Allemagne - La France, avec ses 2 000 miles (3 200 km) de côtes intérieures et plus d'une douzaine de territoires d'outre-mer, a depuis longtemps compris et investi dans la puissance maritime. Le principal plan budgétaire du pays, la loi de programmation militaire 2019-2025, prévoyait des investissements importants dans les navires de surface, les sous-marins et les technologies navales de la marine qui visent à protéger les populations françaises et les zones économiques exclusives du monde entier.

Le plus haut officier de marine du pays, le chef d'état-major de la marine, l’amiral Pierre Vandier, a abordé une série de sujets dans des réponses par courrier électronique à Defence News avant la conférence biennale Euronaval qui se tiendra du 18 au 21 octobre à l'extérieur de Paris. Les sujets comprenaient l'état des principaux programmes en cours, les besoins technologiques critiques et les aspirations de l'OTAN pour la région Indo-Pacifique.

 

A mi-parcours de la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025, quel bilan faites-vous de la Marine nationale jusqu'à présent ? Quels éléments ont été couronnés de succès jusqu'à présent et quelles sont vos priorités pour les prochaines années ?

Le coup de pouce très énergique donné par la LPM 2019-2025 a permis de mettre un terme à 30 ans de coupes matérielles et capacitaires et d'affirmer une ambition renouvelée. Cette LPM 2019-2025 a amorcé une relance de la flotte et la préparation de capacités futures telles que le sous-marin lanceur d'engins SSBN de troisième génération et le porte-avions de nouvelle génération.

La conception et la construction d'un navire de combat prend plus d'une décennie. Cela demande un effort de longue haleine, qui commence aujourd'hui à porter ses fruits. L'année écoulée a vu de grands succès dans ce renouveau pour renouveler les capacités de la Marine.

Les exemples les plus emblématiques sont :

• Le SSN Suffren, nouveau sous-marin nucléaire d'attaque français, a été accepté en service actif le 1er juin 2022. La Marine nationale est fière de ce nouveau sous-marin aux performances exceptionnelles, qui apporte deux capacités majeures : frapper loin et discrètement avec des missiles de croisière, mais aussi de pouvoir mener une opération spéciale sous l'eau grâce à l'abri pont sec qui permet le déploiement discret de commandos.

• Le destroyer de défense aérienne FREMM Alsace est le premier du genre et a été mis en service en novembre 2021. Ce navire déployé dans le cadre du groupement aéronaval « Clemenceau 22 » début 2022. La Lorraine, dernière FREMM, sera livrée au la fin de l'année. Avec l'arrivée très prochaine de la frégate de défense et d'intervention (FDI) (la première frégate doit être lancée à l'automne), cette « colonne vertébrale » renouvelée offre à la Marine des perspectives technologiquement avancées.

• Des efforts sont également déployés pour protéger nos espaces maritimes outre-mer. Le nouveau patrouilleur Auguste Benebig a commencé ses essais en juillet. Il arrivera en Nouvelle-Calédonie début 2023. Le Terrieroo a Terrierooiterai vient d'être mis à l'eau à Saint Malo en France et rejoindra Papeete à Tahiti après ses essais. Cela a ouvert le remplacement de nos capacités navales à l'étranger.

• Dernier exemple en date, les « bâtiments de ravitaillement de force » (BRF), qui vont donner un nouveau souffle à la flotte logistique. Le Jacques Chevallier, premier de cette nouvelle classe, a été mis à l'eau le 29 avril 2022, et débutera des essais en mer à la fin de l'année. Ce nouveau type de navire offrira le double de capacité de ravitaillement en carburant, vivres et munitions et constitue un gain opérationnel majeur pour la durabilité et la capacité à poursuivre le combat en mer.

Les efforts consentis ces dernières années ont permis d'amorcer le renouvellement des unités et se poursuivront dans les années à venir avec l'arrivée des premières FDI, la poursuite des livraisons de patrouilleurs outre-mer, le développement des destroyers, etc.

 

Quels grands programmes et investissements technologiques façonneront le plus profondément la Marine française dans les années à venir ? Comment le nouveau porte-avions, les frégates modernes comme les FDI et les FREMM, et le sous-marin nucléaire d'attaque Barracuda seront-ils des multiplicateurs de force pour le service ?

Face aux bouleversements du monde, ce qui va profondément façonner la Marine dans les années à venir, c'est la possibilité accrue d'affrontement en mer, qui pose le combat naval comme hypothèse de travail.

Au-delà des programmes que vous citez, il y a clairement un besoin de se renforcer, là où c'est intelligent et possible de le faire. C'est notamment le cas des munitions complexes dont les stocks doivent être adaptés au contexte plus exigeant et incertain qui se dessine. S'il faut progresser sur le plan technologique, il faut aussi garantir sa capacité à durer au combat, ce qui demande une certaine rusticité et un stock suffisant.

Bien que les facteurs technologiques jouent un rôle important dans le combat naval, les éléments de victoire ne sont pas seulement liés à la qualité et à la quantité des navires. Comme l'a dit l'officier de marine et historien Alfred Thayer Mahan : « de bons marins avec de mauvais navires valent mieux que de mauvais marins avec de bons navires ». Donc, le but est d'avoir de bons marins nommés sur de bons navires.

L'augmentation des menaces et l'affirmation de la volonté de nos concurrents nous obligent à nous entraîner davantage. Le changement dans le monde signifie que nous devons nous préparer à l'imprévu, aux chocs, aux pannes, à tout ce qui aujourd'hui est considéré comme improbable. Il faut donc aller au-delà des fondamentaux et s'entraîner à s'adapter, à revoir des plans en boucle très courte, à trouver des solutions pour le combat de demain avec les outils dont on dispose aujourd'hui.

Je demande aux équipages de bien maîtriser leurs systèmes. Les connaître parfaitement, des modes les plus automatiques aux modes de fonctionnement dégradés, en passant par les performances pointues en allant chercher les « coins du domaine », ce qui nous permettra de prendre le dessus ainsi que d'améliorer notre résilience en étant capable de faire face avec des pannes, des dommages au combat ou des pertes.

Plus que de simples actions de formation, il s'agit d'imprimer un état d'esprit qui vise à développer chez nos marins le génie de l'exécution, c'est-à-dire savoir saisir les opportunités, maîtriser son « art », et saisir sa propre chance. C'est en forgeant la maîtrise des fondamentaux d'aujourd'hui, l'ouverture d'esprit et la pugnacité de nos marins, que nous pourrons transformer notre préparation opérationnelle en ingénierie de combat de demain.

 

En novembre 2021, toute la Marine a été impliquée dans l'exercice POLARIS, qui a réuni le groupe aéronaval, 24 navires, 65 avions et 6 000 militaires, dont 4 000 marins de 6 nations, pendant 16 jours. Ce fut le coup de pouce initial pour une approche renouvelée de la préparation opérationnelle de la Marine - "Entraînez-vous pendant que vous combattez". Il nous a permis de rechercher des conditions d'entraînement toujours plus proches de la réalité du combat.

En 2023, un exercice majeur appelé Hemex-Orion, impliquant tous les services français, permettra de continuer à avancer dans cette direction.

 

L'ancienne ministre de la Défense Florence Parly a publié la première stratégie de guerre des fonds marins de la France plus tôt cette année. Comment la marine envisage-t-elle de répondre à cette directive, et de quels nouveaux équipements et technologies avez-vous besoin pour faire face à la guerre sous-marine ?

Les fonds marins sont un milieu discontinu et complexe, hostile à l'homme et difficile d'accès. Il reste donc largement méconnu.

Les fonds marins deviennent un enjeu de souveraineté pour plusieurs raisons : parce que plus de 95 % de nos flux d'informations dépendent des câbles sous-marins, et parce qu'à l'heure où les ressources se font de plus en plus rares, la richesse des fonds marins attire convoitise et prédation.

Ce qui n'est pas contrôlé est un jour pillé et ce qui est pillé est un jour contesté. Partant de ce constat, la France a donc défini une stratégie des fonds marins, adaptée pour la Marine.

D'abord et avant tout, nous devons connaître cet environnement nouveau et largement inconnu. Moins d'un cinquième de la topographie des fonds marins est connue avec précision et plus des trois quarts des fonds marins se situent à plus de 3 000 mètres de profondeur, là où la pression est plus de 300 fois supérieure à la pression atmosphérique.

Ensuite, il faut surveiller pour savoir ce qui se passe dans cet environnement, pour identifier d'éventuelles perturbations.

Enfin, nous voulons avoir une capacité d'intervention, pouvoir agir dans ce milieu. Notre ambition est de pouvoir agir à 6 000 mètres de profondeur. Avec cet équipement, 97% des fonds marins peuvent être atteints.

Pour réaliser cette ambition, nous avons identifié avec la Délégation Générale pour l'Armement (DGA) un besoin accru de systèmes de drones sous-marins. D'abord des véhicules sous-marins autonomes (AUV) pour comprendre et surveiller, puis des véhicules télécommandés (ROV) pour intervenir jusqu'à 6 000 mètres.

 

Où voyez-vous les applications les plus prometteuses pour les nouveaux systèmes sans pilote (mini-drones, systèmes sous-marins sans pilote, etc.), l'intelligence artificielle, le « cloud computing » et les applications spatiales dans la marine ? Comment le service les explore-t-il ?

L'innovation technologique est l'une des clés du combat naval. En effet, les défaillances technologiques sont impitoyables et très difficiles à récupérer. Il y a donc un enjeu majeur à développer de nouveaux moyens, à utiliser pleinement l'imagination et l'inventivité de nos ingénieurs. La technologie disponible offre de grandes perspectives qu'il faut saisir : traitement de données de masse, maintenance prédictive, armes à énergie dirigée, etc.

En combat naval, celui qui gagne est celui qui s'adapte le plus rapidement. L'enjeu fondamental pour la Marine aujourd'hui est donc d'accélérer pour maintenir la supériorité technologique.

Il s'agit de trouver des boosters de capacité, de trouver de nouvelles techniques à fort effet de levier. Les drones en sont un bon exemple. Le déploiement du SMDM (système de mini-drones pour la Marine) sur les patrouilleurs va donner une nouvelle profondeur de détection et d'identification aux navires construits dans les années 1980. Dans un autre domaine, les armes à énergie dirigée offrent de nouvelles perspectives dans de nombreux domaines et plus spécifiquement dans la lutte contre les drones. C'est une solution qui permettra de faire face à cette menace à bas coût et avec peu de technologie sans tirer de coûteux missiles anti-aériens conçus pour faire face à des menaces beaucoup plus complexes.

Une approche progressive de mise à niveau régulière de nos systèmes est la voie à suivre dans tous les domaines du combat naval. Notre agilité est cruciale dans ce domaine.

L'histoire montre également qu'une dépendance excessive à l'égard de la nouveauté technologique peut également conduire à une impasse. Il faut donc expérimenter en mer, tester au plus vite de nouveaux systèmes en mer. Cela permet d'évaluer rapidement la réelle valeur ajoutée d'un nouveau système, et d'acquérir un retour d'expérience dès le premier jour en mer afin d'élaborer une doctrine d'utilisation sans attendre.

 

La France est depuis longtemps présente dans l'Indopacifique grâce à ses nombreux territoires d'outre-mer dans la région. Mais l'OTAN et d'autres alliés individuels ont également commencé à donner la priorité à l'Indopacifique, notamment dans le document de concept stratégique le plus récent de l'alliance. Comment l'approche de la marine française vis-à-vis de l'Indopacifique changera-t-elle en réponse à cette attention accrue, et où de nouveaux partenariats pourraient-ils être conclus avec vos marines alliées dans la région ?

Par ses territoires d'outre-mer, la France est une nation de l'océan Indien et de l'océan Pacifique. 1,6 million de Français vivent dans la région Indopacifique. La responsabilité qui nous incombe de protéger ces populations, ces territoires et les espaces qui leur sont associés nous conduit à regarder au-delà de l'horizon continental de l'Europe.

De plus, nos enjeux économiques sont mondiaux. Notre commerce est mondial. Suite au conflit en Ukraine, notre approvisionnement énergétique est perturbé par la situation géopolitique. Par conséquent, notre sécurité est mondiale.

Au regard des bouleversements actuels du monde, les intérêts stratégiques de la France ne diminuent pas avec l'éloignement de l'Hexagone. Nos points d'attention sont aussi proches du territoire national, comme les opérations de protection des arrivées et départs de nos SNLE, qu'éloignés, comme la surveillance de la Zone Economique Exclusive (ZEE) du Pacifique. Comme l'a dit le président de la République Emmanuel Macron lors de la conférence des ambassadeurs du 1ier septembre : "Jamais nos problèmes n'ont été aussi essentiellement mondiaux". Disposer d'une capacité d'action globale à distance du territoire est donc déterminant pour protéger notre souveraineté.

Je vois aussi l'importance du travail de coalition en mer. Nous devons rechercher en coopération avec les marines alliées ce que nous n'avons pas ou pas en nombre suffisant, afin d'utiliser les alliances comme multiplicateur de force. Cela signifie travailler l'interopérabilité de nos systèmes au plus haut niveau, que ce soit au sein de l'Union européenne, de l'OTAN ou avec les marines voisines. Cet enjeu est un défi quotidien dans lequel la Marine nationale est pleinement engagée aux côtés de ses partenaires.

 

Vivienne Machi est une journaliste basée à Stuttgart, en Allemagne, qui contribue à la couverture européenne de Defence News. Elle a précédemment travaillé pour National Defense Magazine, Defence Daily, Via Satellite, Foreign Policy et le Dayton Daily News. Elle a été nommée meilleure jeune journaliste de défense des Defense Media Awards en 2020.


Vivienne MACHI
Defense News
16 octobre 2022

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Source : www.asafrance.fr