MARINE NATIONALE : « Les risques de conflits sont réels en mer de Chine »

Posté le vendredi 19 février 2021
 MARINE NATIONALE : « Les risques de conflits sont réels en mer de Chine »

La ministre des Armées lance le programme des sous-marins nucléaires lanceurs d’engins de 3e génération, clé de la dissuasion jusqu’en 2090.

 

« La France ne prend pas parti pour un tel ou un tel. Mais nous voulons marquer, par notre présence, notre attachement à la liberté de navigation et au droit international », signifie Florence Parly. 

 

LE FIGARO. - Vous allez lancer le programme de sous-marins nucléaires lanceurs d’engins (SNLE) de 3e génération. Quels en sont les enjeux ?

Florence PARLY. -
L’enjeu est majeur puisqu’il s’agit de la dissuasion nucléaire, un formidable acquis de la France. La première génération de SNLE avait été lancée par le général de Gaulle, la deuxième, celle du Triomphant, dans les années 1980-1990. Nos SNLE actuels seront en service jusqu’en 2050. Conformément aux vœux du président de la République, nous poursuivons la modernisation de notre dissuasion. Le premier exemplaire des SNLE de 3e  génération sera livré en 2035, pour une mise en service en 2036. Nous disposerons de quatre sous-marins pour continuer d’assurer une permanence à la mer. Ils seront livrés à un intervalle de cinq ans. Ces SNLE navigueront jusqu’en 2090. Ils seront propulsés par une chaufferie nucléaire et seront équipés de 16 missiles nucléaires. Au-delà de sa dimension stratégique pour notre défense, ce projet est très important sur le plan industriel et en termes d’ingénierie.

Ce projet va-t-il bénéficier des acquis du programme Barracuda de modernisation des sous-marins nucléaires d’attaque ?

Le Suffren, le premier des SNA de nouvelle génération Barracuda, entrera en service cette année. L’objectif est de pouvoir enchaîner le programme des SNLE de 3e génération avec celui des Barracuda. Pour éviter des pertes de savoir-faire qui peuvent entraîner des retards, nous avons décidé de lancer dès maintenant la construction de certaines pièces maîtresses, notamment des pièces métallurgiques lourdes. Mais le SNLE 3G bénéficiera de technologies nouvelles dont ne disposent pas les SNLE actuels. Il sera plus discret, plus furtif et plus silencieux. Naval Group et Technic­Atome (pour la chaufferie nucléaire) seront maîtres d’œuvre. La maîtrise d’ouvrage sera assurée par la DGA et le CEA. La fabrication de chaque sous-marin nécessitera 20 millions d’heures de travail. 3 000 emplois directs sont concernés par ce programme.

Quel en sera le coût ?

Plusieurs milliards d’euros. Il est important, malgré les circonstances actuelles particulières, que nous puissions assurer dès maintenant des investissements qui vont dynamiser notre économie, entretenir les savoir-faire français et qui seront utiles et visibles dans une quinzaine d’années. Ne pas prendre de décisions aujourd’hui fragiliserait notre souveraineté à long terme.

Récemment, un SNA, l’Émeraude, a patrouillé en mer de Chine méridionale. Quel est le bilan de cette mission ?

La mission n’est pas terminée et c’est une prouesse de naviguer à 15 000 km de nos côtes. L’Émeraude est parti pour huit mois. Après s’être rendu jusqu’en Australie, il a navigué en mer de Chine méridionale. Cette mission contribue à notre engagement dans l’espace indo-pacifique, elle contribue à notre capacité souveraine d’appréciation de situation et nous permet d’avoir une meilleure connaissance de cet environnement océanique.

Quel est le degré de tension dans cette région du monde ?

En mer de Chine méridionale, la Chine considère qu’un certain nombre d’îlots lui appartiennent. Elle les poldérise pour y installer des bases militaires. Les risques de conflits régionaux sont réels compte tenu de la contestation qui existe sur la souveraineté de ces îlots. La France ne prend pas parti pour un tel ou un tel. Mais nous voulons marquer, par notre présence, notre attachement à la liberté de navigation et au droit international.

Les armées françaises doivent-elles étendre le rayon de leur intervention ?

L’Indo-Pacifique est une zone pleine de promesses mais aussi une zone de tension. Et la France est une nation de l’Indo-Pacifique : environ 2 millions de nos concitoyens vivent dans cette région, expatriés ou dans nos territoires d’outre-mer. Nous disposons d’une vaste zone économique exclusive de 11 millions de kilomètres carrés, dont 9 millions sont en Indo-Pacifique. Nous avons de grands partenaires, comme l’Inde, l’Australie, Singapour, l’Indonésie et le Japon. Définir une stratégie européenne pour l’Indo-Pacifique fera partie des objectifs de la présidence française de l’UE l’année prochaine.

Le porte-avions Charles- de-Gaulle s’apprête à partir. Quelles seront ses missions ?

Sa mission principale sera centrée sur la lutte contre le terrorisme. En Méditerranée, il sera intégré à la coalition internationale contre Daech. Puis il empruntera le canal de Suez pour rejoindre l’océan ­Indien et le golfe Arabo-Persique. Il contribuera aussi à marquer le principe de liberté de navigation. Il effectuera un exercice avec la marine indienne. Le groupe aéronaval sera accompagné par des navires des marines belge et ­grecque.

La guerre de l’information prend une place croissante dans les conflits. Quels sont les moyens d’action et les limites de la guerre informationnelle pour un État comme la France ?

Ce domaine illustre ce qu’est l’asymétrie dans un conflit. D’un côté, nous avons des groupes ou des États qui musellent l’information, sans presse libre ni réseaux sociaux libres, ou bien qui utilisent la désinformation pour susciter le brouillard, un brouillard qui peut devenir un chaos, pour faire douter nos concitoyens. L’émergence de messages téléguidés avec comme perspective d’affaiblir ou désorganiser nos démocraties est extrêmement grave.

Faut-il établir des lignes rouges ?

Le concept de ligne rouge n’est pas très utile en la matière… Il faut plutôt conserver un fil rouge, celui de la fidélité à nos valeurs pour parvenir à se défendre. Cela signifie dire ce que l’on sait et continuer à avoir une parole qui ne relève pas de la rumeur mais de l’information vérifiée. Mais
quand un État doit s’exprimer en réaction à une rumeur, il ne peut pas le faire en un claquement de doigts. Pendant ce temps, un espace se libère où se développe la rumeur. C’est un problème lorsque nos concitoyens ont le sentiment que toutes les paroles se valent. Nous avons eu un exemple récent au Sahel. Nous pouvons toujours améliorer notre capacité de réaction face à ces situations. Mais il aurait été imprudent de communiquer dans l’instant sans avoir mené les vérifications préalables.

Vous avez participé cette semaine à une réunion ministérielle de l’Otan. L’Alliance doit-elle réviser son concept stratégique, le dernier datant de 2010 ?

Il y a maintenant un peu plus d’un an, le président avait appelé à un travail de réflexion stratégique sur l’Otan. Une mission d’experts a rendu ses conclusions. Elles constituent un socle à partir duquel les alliés vont pouvoir débattre. Il est opportun de le faire maintenant, parce que notre partenaire américain est déterminé à se réengager dans le lien transatlantique. Un sommet des chefs d’État et de gouvernement de l’Otan se tiendra plus tard cette année. Il faut structurer notre alliance pour qu’elle soit la plus efficace et la plus cohérente possible dans un environnement qui évolue et se durcit. Un sujet majeur sera de savoir comment construire une complémentarité efficace entre l’Alliance et l’Union européenne. Il est contre-productif de vouloir opposer les deux. Une concurrence serait un affaiblis­sement.

Les difficultés à faire avancer le projet d’avion du futur (SCAF) avec l’Allemagne font douter de la volonté européenne de construire une Europe de la défense…

Mener des programmes complexes en coopération n’est pas facile. Nous pourrions certainement les conduire seuls. Mais ce serait coûteux pour les contribuables. Vouloir le faire entre Européens est un message politique fort. Nous sommes en plein travail. Il faut laisser toutes ses chances à la négociation avec à l’esprit un ­objectif clair : l’efficacité.

Sur les questions de leadership sur le SCAF, de partage des tâches industrielles et de propriété intellectuelle, que proposez-vous à l’Allemagne ?

Nous proposons de mettre en œuvre les principes actés entre le président et la chancelière en 2017 ! Nous devons nous appuyer sur le principe du « meilleur athlète », désigner celui qui est le plus fort dans son domaine d’excel­lence et identifier clairement les responsabilités de chacun. Il faut tirer les leçons des programmes de coopération précédents qui n’ont pas toujours tenu leur délai ni leur budget.

Propos de Florence PARLY
Recueillis par Nicolas BAROTTE et 
Sébastien SORIANO
Le Figaro - vendredi 19 février 2021

Source photo : Minsitère des Armées


Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr
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