BUDGET des armées : Des questions sans réponses

Posté le samedi 03 juillet 2021
BUDGET des armées : Des questions sans réponses

Les Français font confiance à leurs armées : « Elles sont perçues comme étant « efficaces » (79 %), réactives (79 %) et rassurantes (77 %) ». Néanmoins, paradoxe, leur défiance envers l’Etat est dans le même temps réelle. « Seule une faible proportion estime que l'Etat et nos forces armées sont bien préparés pour faire face (aux menaces) et les protéger efficacement ».
Chloé Morin, directrice de l’observatoire de l’opinion à la Fondation Jean Jaurès, commentait en décembre 2019 pour les Echos (1) une étude internationale annuelle réalisée par Ipsos pour le Forum mondial de la sécurité Halifax. En notant encore : « A l'inverse, la Grande-Bretagne ou les Etats-Unis, ou encore l'Inde, se classent systématiquement parmi les nations les plus confiantes dans leur capacité à faire face aux menaces, quelles qu'elles soient ».

Pourtant, Emmanuel Macron l’avait promis de lors de ses vœux aux Armées, en 2018. « Pour régénérer notre modèle d'armée, en garantir l'efficacité, l'adapter à nos enjeux, j’ai avant tout décidé qu'un effort budgétaire inédit serait fait dans le domaine de la défense » (2). En effet, reconnaissait-il, « considérant que le monde devenait moins dangereux, la part de la richesse nationale consacrée à la défense a été progressivement réduite par les gouvernements depuis vingt ans ». Une réduction des dépenses militaires que Laurent Fabius, président de l’Assemblée nationale en 1990, avait réclamée au nom des « dividendes de la paix » après la chute du mur de Berlin et la fin de la guerre froide. Avec en main, dès octobre 2017, une nouvelle revue stratégique, (analyse de l’environnement géopolitique, de la posture et des objectifs du pays face aux risques et aux menaces), Emmanuel Macron s’engageait donc quant au niveau des moyens nécessaires sur plusieurs années (loi de programmation militaire, LPM), ressources actualisées chaque année. Il voulait « un outil de défense complet » - dont la dissuasion nucléaire, « fort, moderne, puissant, mis en œuvre par des armées réactives et tournées vers l'avenir ». Il précisait donc le montant et le rythme de l’effort promis et programmé.

« La loi de finances votée par le Parlement s'élèvera en 2018 à 34,2 milliards d'euros, soit une augmentation de 1,8 milliard d'euros par rapport à 2017. Le projet de loi de programmation militaire que j'ai validé en conseil de défense mercredi dernier portera la trajectoire des ressources à 2% du produit intérieur brut en 2025, avec des marches d'ores et déjà garanties de 1,7 milliard d'euros chaque année jusqu'en 2022 et de 3 milliards d'euros en 2023 ». Le tout avec une clause de revoyure en 2021 : « La présente programmation fera l'objet d'actualisations, dont l'une sera mise en œuvre avant la fin de l'année 2021. Cette dernière aura notamment pour objet de consolider la trajectoire financière et l'évolution des effectifs jusqu'en 2025 (Article 7 de la loi de programmation militaire 2019 à 2025).

Que se passe-t-il qui ait provoqué, outre l’inquiétude de nombre d’observateurs civils et militaires, un rapport sévère de la commission des Affaires étrangères de la Défense et des forces armées du Sénat, qui avait « voté à 96% la LPM » en 1998 ? (3). « À l'automne dernier », écrivent les rapporteurs, « la perspective d'une actualisation de la programmation militaire (LPM) pour la période 2019 à 2025 semblait toute tracée ». Malgré ce, « revenant sur ses engagements, le gouvernement a refusé de déposer la loi d'actualisation de la programmation militaire pourtant prévue par la LPM ». L’évaluation des besoins a engagé la commission à « travailler pendant six mois pour définir le périmètre d’actualisation, qui aurait dû faire l’objet d’un examen par le Parlement ». Ceci en auditionnant « en réunion plénière la ministre des armées, le délégué général pour l'armement et le chef d'état-major des armées ». Ainsi qu’une quinzaine de responsables complémentaires. Ce qui a amené la commission à identifier, expliqué par Nicolas Barotte pour le Figaro (4) « 7,4 milliards d’euros de surcoûts non prévus, dont 3,1 milliards d’ajustements liés aux années 2019 et 2020, 1 milliard d’euros pour opérations extérieures, 750 millions d’euros liés à la commande anticipée d’une troisième frégate de défense et d’intervention (FDI) ou 450 millions d’euros liés aux imprévus comme la réparation du sous-marin la Perle » victime d’un incendie en juin 2020 à Toulon. « Le sénat anticipe aussi 1,2 milliard d’euros supplémentaires pour ‘la préparation des forces’’ d’ici à 2025 » (voir l’infographie). Le gouvernement n’ayant proposé qu’un « ajustement minime de l’ordre d’un milliard d’euros ».

Or, et l’actualisation de la revue stratégique de janvier dernier le reconnaît (5), le monde ne s’est pas apaisé. Il y a eu le Covid et le fléchissement de notre PIB, bien sûr (voir l’infographie). Mais aussi, outre la persistance des menaces terroristes, le « durcissement de la compétition entre puissances ». Il faut compter aussi, souligne Philippe Leymarie dans une analyse très complète pour le Monde diplomatique (6), l’évolution des armements, « avec des ruptures technologiques majeures, telles l’intelligence artificielle, qui imposent de repenser tout l’équipement et de consentir des investissements coûteux ». Autre défi majeur : « l’inévitable modernisation de la dissuasion nucléaire. Elle a été tellement repoussée que tout va être concentré sur les dix prochaines années » - on constatera en effet que les efforts les plus importants sont prévus après la fin du mandat d’Emmanuel Macron et concernent la prochaine majorité. Sur le nucléaire, Philippe Leymarie cite le général Henri Bentegeat : « le surcoût sera colossal, il ne faut pas se faire d’illusion ». L’ancien chef d’état-major des armées (2002-2006) avertit encore : « le principal défi sera un‘retour possible au combat de haute intensité’’, face à un ennemi disposant d’un armement‘sensiblement équivalent au nôtre’’. Certes, il n’y a pas de véritable scénario de conflit de ce genre aujourd’hui, mais‘les nationalismes refleurissent partout ouvertement’’, et  ‘‘l’emploi de la force est de moins en moins inhibé’’. Il faut donc, selon lui, ‘‘réapprendre à manœuvrer face à un ennemi classique’’ » - réapprendre à livrer une guerre de haute intensité.

Précisément, constate le rapport du Sénat, en regrettant l’absence de transparence du gouvernement, « reste à évaluer le montant de crédits permettant d'atteindre les objectifs de haute intensité à l'horizon 2030. Là encore, les discours politiques qui tendraient à rejeter les exigences de l'accélération de la préparation opérationnelle à la prochaine LPM ne sont pas compatibles avec la réalité. La capacité à faire face à la haute intensité ne sera atteinte que si la trajectoire est mise en œuvre suffisamment tôt, avec exigence et régularité. Les estimations demandées par la commission n'ont pas été transmises par le ministère des armées. Un effort doit pourtant dès à présent être consacré à cet objectif. Le retard en la matière amènerait, de fait, à revoir l'objectif en déplaçant le curseur temporel d'au moins 5 ans ».

Dans ses vœux aux armées en 2018, le président disait vouloir aussi « une France fidèle à ses engagements au sein de l'Alliance Atlantique, mais qui soit également le moteur de l'autonomie stratégique européenne » (2).

Mais ici, s’interrogeait le groupe de réflexion Mars dans la Tribune en avril dernier (7), « les Etats membres de l’UE sont-ils capables de s’entendre sur un ‘‘dénominateur commun des intérêts partagés’’ » ? « La défense est absente du plan de relance de 750 milliards d'euros. La CSP (Coopération structurée permanente) est finalement ouverte aux « pays tiers » (comprendre, les Etats-Unis), de même, vraisemblablement, que le FEDef (Fonds européen de la défense), ce qui permettra au contribuable européen de financer la recherche américaine. Sur tous ces dossiers, Paris a perdu les négociations faute de soutien de Berlin et donc d'avoir su intégrer les rapports de force permettant la recherche d'un intérêt commun ».

En faut-il une illustration ? L’échec d’une position commune sur un sommet UE-Russie, que nous avons traité ici (8) en est une. Quant à la coopération franco-allemande, si chère au président Macron ? Nous avons relevé ici (9) les marchandages autour de l’avion du futur, franco-hispano-allemand, le SCAF. Plus largement, ce 2 juillet, Michel Cabirol tirait de l’expérience voulue par le président une conclusion nette : « l’Allemagne préfère financer les programmes nationaux à ceux réalisés en coopération » (10). Expliquant : « Sur l'ensemble des programmes lancés en coopération en 2017 lors d'un conseil franco-allemand, seuls l'Eurodrone et le SCAF (pour la phase 1) ont obtenu le feu vert du Bundestag. Les autres restent à quai : Tigre Mark 3 (modernisation de l'hélicoptère de combat), missile MAST-F (missile destiné à armer le Tigre), MAWS (avions de patrouille maritime), et MGCS (Main Ground Combat System, char de combat) ». La France prend la présidence de l’Union européenne au 1er janvier 2022. Avec quelle ambition réaliste, au-delà des discours ?

Le Premier ministre Jean Castex a décidé de ne pas soumettre le texte d’actualisation de la loi de programmation militaire (LPM) au Parlement, se contentant d’une simple déclaration. Contrairement à l’Assemblée nationale (345 voix pour, 52 voix contre), le Sénat a donc refusé sa confiance (236 voix contre, 46 voix pour). Sans conséquence pour le gouvernement.

Il s’agit pourtant de la défense du pays. Les illusions ici sont mortelles, notre histoire fait foi. « Les questions que soulève ce rapport appellent des réponses », écrit le Sénat. Pourquoi n’en avons-nous pas ? Que cache ce silence ? La défiance des Français envers leur Etat trouverait-elle ici son explication ?

 

Hélène NOUAILLE
La lettre de Léosthène,
le 3 juillet 2021
http://www.leosthene.com

 

Infographies :

Trajectoire budgétaire de la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025
http://www.senat.fr/rap/r20-697/r20-6971.png

Les surcoûts constatés non prévus par la LPM
https://static.blog4ever.com/2009/01/276653/big_artfichier_276653_9041483_202106260435204.jpg

Impact de la crise Covid-19 sur la trajectoire du PIB à l’horizon 2025
http://www.senat.fr/rap/r20-697/r20-6972.png

 

Notes :

(1) Les Echos, le 5 décembre 2019, Chloé Morin, L'ambivalence des Français à l'égard de leur armée
https://www.lesechos.fr/idees-debats/cercle/opinion-lambivalence-des-francais-a-legard-de-leur-armee-1153914 

(2) Elysée, le 19 janvier 2018, Vœux du président Emmanuel Macron aux armées
https://www.elysee.fr/emmanuel-macron/2018/01/19/voeux-du-president-emmanuel-macron-aux-armees

(3) Sénat, le 16 juin 2021, Commission des Affaires étrangères de la Défense et des forces armées, Rapport d’information sur  l’actualisation de la loi de programmation militaire 2019-2025 (consultable par chapitre en un clic)
http://www.senat.fr/rap/r20-697/r20-697_mono.html#toc0

(4) Le Figaro, le 17 juin 2021, Nicolas Barotte, Défense : des sénateurs alertent sur la loi de programmation
https://www.lefigaro.fr/conjoncture/defense-les-senateurs-alertent-sur-les-carences-de-la-loi-de-programmation-20210617

(5) OPEX360, le 21 janvier 2021, Laurent Lagneau, Revue stratégique : Les armées françaises devront retrouver une "masse critique suffisante"
http://www.opex360.com/2021/01/21/revue-strategique-les-armees-francaises-devront-retrouver-une-masse-critique-suffisante/

(6) Le Monde diplomatique, le 1er juillet 2021, Philippe Leymarie, Soucieuse défense
https://blog.mondediplo.net/soucieuse-defense

(7) La Tribune, le 12 avril 2021, Groupe de réflexion Mars, Défense : la boussole stratégique de l’UE a-t-elle d’ores et déjà perdu le nord ?
https://www.latribune.fr/opinions/defense-la-boussole-strategique-de-l-ue-a-t-elle-d-ores-et-deja-perdu-le-nord-882138.html 

(8) Voir Léosthène n° 1574 du 26 juin 2021, Sommet UE-Poutine : Merkel et Macron en échec

(9) Voir Léosthène n° 1554 du 17 avril 2021, Avion du futur SCAF : marchandage sur la sécurité nationale ?

(10) La Tribune, le 2 juillet 2021, Michel Cabirol, L'Allemagne préfère financer les programmes nationaux à ceux réalisés en coopération
https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/l-allemagne-prefere-financer-les-programmes-nationaux-a-ceux-realises-en-cooperation-888102.html 

  Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr
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Source : www.asafrance.fr