PATRIMOINE. Cathédrale Notre-Dame : un an après

Posté le jeudi 16 avril 2020
PATRIMOINE. Cathédrale Notre-Dame : un an après

Un an jour pour jour après l’incendie de Notre-Dame, une cathédrale encore fragile et un chantier à l’arrêt

Le 15 avril 2019, la toiture de la cathédrale prenait feu, provoquant une stupeur mondiale et un élan de générosité sans précédent.

C’était il y a un an jour pour jour. Le 15 avril 2019, le président de la République est enfermé dans son bureau de l’Elysée, en petit comité, pour enregistrer l’allocution qui devrait, souhaite-t-il, mettre un point final à la crise des « gilets jaunes ».

Après avoir arpenté le pays pour rencontrer les Français avec le grand débat, Emmanuel Macron voit enfin arriver le moment des conclusions. La caméra tourne. C’est alors qu’on vient lui apporter la nouvelle. Notre-Dame de Paris brûle.

A 18 h 18, l’alarme incendie a retenti. Fausse alerte ? Une demi-heure plus tard, Anne Hidalgo, la maire de Paris, depuis son bureau, a vu une fumée s’élever de la cathédrale et a appelé les pompiers. Désormais, c’est tout le toit qui est la proie des flammes, la flèche est menacée et peut-être même tout l’édifice.

Huit siècles d’histoire, monument le plus visité d’Europe, chef-d’œuvre de l’art gothique, héroïne de Victor Hugo, et pièce maîtresse de Viollet-le-Duc, l’homme qui « inventa » au XIXe siècle la protection du patrimoine… Que s’est-il passé ? La chose semble inexplicable. Mais l’heure n’est pas à l’enquête, elle est au combat. Déjà les pompiers sont sur place à combattre le feu qui gagne.

« Ça paraît simple a posteriori, mais switcher comme ça de sujet, de préoccupation, de priorité, c’est très difficile », confie un collaborateur du président de la République. A l’Elysée, on a éteint les caméras, Emmanuel Macron, qui, comme en témoignent régulièrement ses proches, « aime être dans le chaudron » – comprendre, aux premiers rangs de la bataille –, file à Notre-Dame. Là, sur le parvis, il retrouve la maire de Paris, le premier ministre Edouard Philippe, le ministre de la culture Franck Riester, le recteur de la cathédrale, et le général Gallet, commandant des pompiers de Paris qui mène la bataille.

La foule, incrédule, a envahi les quais, les terrasses, les balcons, la France entière découvre l’inouï devant son écran de télévision.

Il est 23 h 30 lorsque les pompiers envoyés dans la tour Nord en redescendent sains et saufs et victorieux : la charpente brûlera toute la nuit, mais l’ensemble de l’édifice va échapper à l’effondrement. C’est alors que le président de la République s’avance sur le parvis. D’autres caméras, un autre discours. « Ce soir, je veux avoir un mot d’espérance pour nous tous et toutes. Parce que Notre-Dame de Paris, nous avons su l’édifier et, à travers les siècles, la faire grandir et l’améliorer. Alors, je vous le dis très solennellement ce soir, cette cathédrale, nous la rebâtirons tous ensemble, parce que c’est ce que les Français attendent, parce que c’est ce que notre histoire mérite, parce que c’est notre destin profond. »

Aller vite et frapper fort

Un an plus tard, sous un même soleil de printemps, cette triste soirée qui a tenu éveillés les Parisiens une bonne partie de la nuit, et en haleine la terre entière, résonne de façon inattendue à l’aune du nouveau coronavirus. Comme si l’histoire se répétait.

Si cette crise-ci est d’une tout autre ampleur, on en retrouve les éléments de base : un ennemi incernable, provoquant des délires complotistes mais aussi une union sacrée face à la crise (près de 1 milliard d’euros de dons seront réunis pour reconstruire Notre-Dame). Et enfin un président de la République qui endosse les habits de ses héros, de Gaulle et Clemenceau, pour un chantier qui ressemble à une déclaration de guerre face à l’impensable.

Il dort peu cette nuit-là. On lui écrit beaucoup. On l’appelle. Il veut aller vite et frapper fort. Le soir même, il a demandé à Claudia Ferrazzi, qui est à l’époque la conseillère culture de l’Elysée, d’estimer combien de temps minimum serait nécessaire à la reconstruction. Pour le président, il importe que le chantier se fasse « à distance d’homme », que chaque Français puisse se dire qu’il reverra de son vivant Notre-Dame comme elle était. Devis, études, barèmes : la jeune femme analyse les autres dossiers de restauration en cours, prend conseil auprès d’architectes et établit au débotté, et un peu au pifomètre, cinq années comme objectif à atteindre pour la reconstruction.

Jack Lang aussi a conseillé au président d’aller vite. Lui, parlait même de trois ans. Et pour cela, il lui a recommandé d’avoir recours à un établissement public autonome, capable d’une plasticité que n’aurait pas la lourde administration du ministère de la culture, et d’un esprit commando. « Mais je n’avais pas dit un général », précise en souriant l’ancien ministre de la culture, à la tête de l’Institut du monde arabe. Car dès le lendemain, 16 avril, c’est en effet à un ancien chef d’état-major des armées, ancien chef de l’état-major particulier de Jacques Chirac, Jean-Louis Georgelin, 71 ans, hors de la limite d’âge pour un établissement public, qu’il confie les rênes de la reconstruction de la cathédrale.

Appelé à midi, alors qu’il déjeunait dans un restaurant face à l’Ecole militaire, ce Pyrénéen, célibataire, catholique fervent (il n’a qu’un seul défaut, disait Sarkozy« il chante trop fort à la messe ! »), amoureux des vieilles pierres (il a orchestré la restauration du palais de la Légion d’honneur), rencontre pour la première fois Emmanuel Macron, à 18 heures, dans son bureau. Stupeur dans le monde de la culture.

C’est que Georgelin « a les codes », explique-t-on à l’Elysée. Au propre comme au figuré. « Les chefs d’état-major sont les garants de la bombe nucléaire. Et ce sont eux qui coachent le président. Ce sont des tombes. » Et il a les réseaux. Il est un des rares militaires à avoir été membre du Siècle, ce club d’influence créé à la Libération pour faire se rencontrer les élites au-delà du clivage droite-gauche. Il en a même été membre du conseil d’administration, du temps où Nicole Notat en assurait la présidence, au côté notamment d’Erik Izraelewicz, l’ancien directeur du Monde (1954-2012).

Une « task force » créée en deux jours

Douze mois après, on ne peut s’empêcher de voir une filiation lorsque Edouard Philippe fait appel à un autre général, Richard Lizurey, ancien patron de la gendarmerie, pour l’aider dans la gestion de la crise due au Covid-19 et évaluer l’organisation interministérielle.

Le président comme le premier ministre, et sans doute le second plus que le premier, ont respect et admiration pour les forces armées. Or, en choisissant Georgelin, on veut faire coup double : s’éviter les atermoiements et rivalités du monde de la culture, et se rabibocher avec la grande muette qui battait froid Emmanuel Macron depuis l’éviction du général de Villiers, affaire dans laquelle le général Georgelin, connu pour ses coups de gueule, avait lui-même jeté son grain de sel critique.

En deux jours, l’affaire est pliée. « La task force pour Notre-Dame » est créée, « l’unité de commandement des opérations » s’installera dans d’anciennes écuries de la cité Martignac, un bâtiment qui dépend de Matignon, dans le 7e arrondissement de Paris, et « l’EFR » (effet final recherché), pour parler comme le général (en clair l’objectif), est fixé : rendre la cathédrale aux Parisiens le 15 avril 2024.

Le 17 avril, l’Elysée organise une grande réunion où, pour la première fois, Jean-Louis Georgelin est présent. Il y a là, côte à côte, dans le salon Murat, la présidente de la région Ile-de-France Valérie Pécresse et Anne Hidalgo, Audrey Azoulay et Franck Riester, Mgr Aupetit, l’archevêque de Paris, et Mgr de Sinety, à qui il a délégué le dossier, les ministres Bruno Le Maire, Gérald Darmanin, Laurent Nunez… Le préfet Michel Cadot, Mais aussi Stéphane Bern, et puis Philippe Bélaval, lequel dirige le Centre des monuments nationaux, chargé de la gestion de la visite des tours.

Et puis, en tout bout de table, un homme en pull de grosse laine à fermeture Eclair, à qui l’huissier a retiré son blouson de cuir encore couvert de la poussière du chantier et qui regarde tout ça de manière hallucinée : Philippe Villeneuve, l’architecte en chef des monuments historiques chargé de Notre-Dame.

Certains autour de la table se demandent ce qu’il fait là, pourquoi lui qui avait la responsabilité de la cathédrale, et donc d’une certaine façon de sa sécurité, n’a pas été remercié. Lorsque l’incendie s’est déclaré, il était dans sa campagne, en Charente-Maritime. Il a sauté dans le premier train. A 23 heures, au moment où M. Macron prenait la parole sur le parvis, il était déjà sur place. Discret.

« J’ai découvert alors en moi un homme que je ne connaissais pas, raconte-t-il un an après. Une froideur, une distance. Une seule question m’habite : Comment tu fais pour la sauver.” » Au petit matin, les pompiers viennent le chercher pour une visite des décombres. Ils passent par les bas-côtés, puis par les tribunes avant de monter en haut de la tour Nord. « Le diagnostic, je le fais dans ma tête immédiatement. L’évaluation des endroits les plus dangereux. J’ai décliné le programme des travaux, et c’est ce même programme sur lequel on est encore aujourd’hui », raconte-t-il.

Il parle de sa cathédrale comme s’il s’agissait d’un être vivant. « Je suis fier d’elle. Elle n’a pas bougé depuis l’incendie. Mais tant que je n’aurai pas vu les extrados [le dessus des voûtes, qu’il faut nettoyer des restes de la charpente effondrée], il faut se méfier. On ne sait jamais. »

Générosité publique et malaise

Aussi clairs soient les objectifs, aussi affirmées soient les décisions, les polémiques vont néanmoins surgir immédiatement de toutes parts.

Sur les causes de l’incendie d’abord. A qui la faute ? L’information judiciaire ouverte le 26 juin 2019 par le parquet de Paris et confiée à trois juges d’instruction reste à ce jour sur la thèse de l’accident « Il n’y a pas d’élément nouveau aujourd’hui qui accrédite une hypothèse criminelle », expliquait encore il y a deux mois le procureur de la République de Paris, Rémy Heitz. Un court-circuit ? « C’est une enquête qui dure, qui est complexe, qui est colossale. (…) Les investigations, pour se poursuivre, sont conditionnées à l’avancement des travaux, puisque certaines zones sont encore aujourd’hui inaccessibles. Elles le seront plus tard lorsque notamment l’échafaudage aura été retiré. » De quoi laisser le champ libre aux complotistes et aux marchands de faits divers de tout poil.

La générosité publique, elle aussi, crée paradoxalement un malaise. Le soir même de l’incendie, François Pinault offre 100 millions d’euros pour aider à la reconstruction. Bernard Arnault puis L’Oréal lui emboîtent le pas. Dès le lendemain, l’effet d’entraînement fait polémique. Les dispositions de la loi de 2003 sur le mécénat permettent en effet de bénéficier de réductions d’impôts, dénonce-t-on. François Pinault stipule aussitôt qu’il renonce à en profiter. Le mal est fait : l’opinion publique tique.

Une collecte mise en place dès le matin par la Fondation du patrimoine, elle aussi, explose : 236 000 donateurs. 75 % des 228 millions d’euros de dons et de promesses contractualisées le sont dans les trois jours. « On a fait office de catharsis », explique Guillaume Poitrinal, le président de la fondation, qui, trente jours après le début de la collecte, décide de fermer le tuyau : « La probabilité qu’il y ait plus d’argent que nécessaire pour la stricte reconstruction était supérieure au scénario inverse. Et tout ça est taxé. Le fait qu’une partie de ces donations va in fine remplir les caisses de l’Etat me posait un problème moral. »

Mais c’est la flèche enfin qui va concentrer toute l’attention. Alors qu’Emmanuel Macron a posé de nouveau, au lendemain de l’incendie, sa volonté de reconstruire la « cathédrale plus belle encore », c’est au premier ministre que revient la mission, le 17 avril, de lancer officiellement, à la sortie d’un conseil des ministres consacré à la reconstruction, un « concours international d’architecture ». Lequel permettra de « trancher la question de savoir s’il faut reconstruire la flèche qui avait été pensée et construite par Viollet-le-Duc à l’identique, ou s’il faut doter la cathédrale d’une nouvelle flèche adaptée aux techniques et aux enjeux de notre époque ». Déchaînement de diatribes, anciens contre modernes, partisans du bois contre lobby du métal, Jean Nouvel contre Jean-Michel Wilmotte…

Aujourd’hui, si l’ensemble des acteurs sur le chantier plébiscite la restauration à l’identique, c’est d’abord parce qu’elle est plus aisée à mener dans le temps donné. Cinq ans ou un concours, il faut choisir. Pragmatisme de temps de guerre.

Sauf qu’une guerre est venue en remplacer une autre. Voici le chantier à l’arrêt. Qui s’inquiète aujourd’hui des taux de plomb sur le chantier – arrêté pendant trois semaines à l’été 2019 pour se mettre en conformité et mettre en place des mesures drastiques de précaution – quand le Covid-19 frappe à la porte ? Qui s’inquiète de la tête de la flèche et des centaines de millions récoltés pour Notre-Dame lorsque c’est de centaines de milliards dont on parle face à la crise économique qui s’annonce ? Et qu’est-ce que signifient cinq ans, que veut dire « à distance d’homme » lorsque les gens meurent par centaines dans les Ehpad ?

 

Laurent CARPENTIER
Le Monde

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

 

 

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Source : www.asafrance.fr