NUCLEAIRE IRANIEN : Répit ou tournant ?

Posté le lundi 20 septembre 2021
NUCLEAIRE IRANIEN : Répit ou tournant ?

Les interminables négociations autour du nucléaire iranien seraient-elles sur le point de reprendre ? Il semble. Pour mémoire, l’accord voulu par le président Obama sous le nom, en anglais, de JCPoA (Joint Comprehensive Plan of Action) et signé en juillet 2015 à Vienne a été dénoncé et suspendu en mai 2018 par un Donald Trump qui y adjoignait « le niveau le plus élevé possible de sanctions économiques ». Ce au grand dam des autres pays signataires à Vienne (Russie, Chine, France, Royaume-Uni et Allemagne, plus l’Union européenne). Nous le relevions ici dès octobre 2017 : Même si selon l’AIEA, l’agence internationale de l’énergie atomique, l’Iran respecte sa partie – geler son programme militaire destiné à se doter d’une bombe nucléaire – le président américain lui reproche d’y mettre de la mauvaise volonté : « le régime iranien a commis de multiples violations de cet accord ». Pour ne rien dire, ajoutait-il du « silence presque total sur le programme iranien de missiles » balistiques, lanceurs qui peuvent à terme transporter une tête nucléaire (1). En représailles, l’Iran abandonnait ses engagements. Mais le candidat démocrate puis président Joe Biden souhaitait, lui, ramener Téhéran dans l’accord de Vienne, et des pourparlers débutaient en avril 2021.  

Entretemps en Iran, la présidence changeait de mains en juin dernier, pour celles d’un conservateur musclé, Ebrahim Raïssi. Et l’AIEA (l’agence internationale de l’énergie atomique) confirmait en juillet que l’Iran avait « débuté les étapes nécessaires à la production d’uranium métal enrichi ». Ce qui provoquait l’inquiétude des Européens et l’indignation des Américains, qui parlaient de « provocations » (2). Les pourparlers sont au point mort. Le Secrétaire d’Etat américain Antony Blinken, lors d’un déplacement sur la base aérienne de Ramstein en Allemagne le 8 septembre, déclarait sans ambages : « Nous nous rapprochons du point où un retour strict à la conformité avec le JCPoA ne permettra pas de retrouver les bénéfices de cet accord, car au fur et à mesure que le temps passe et que l'Iran continue à faire des progrès dans son programme nucléaire, notamment en faisant tourner des centrifugeuses plus sophistiquées, en enrichissant davantage de matières, en accroissant ses connaissances, il y a un point où il serait très difficile de retrouver tous les bénéfices du JCPoA en revenant à une stricte conformité avec l’accord. Nous n'en sommes pas encore là, mais nous nous en rapprochons » (3). 

De son côté, l’Iran remplaçait son négociateur, Abbas Aragchi, par Ali Bagheri, 54 ans, déjà dans l’équipe en charge entre 2007 et 2013, un conservateur qui n’a jamais caché son hostilité à l’accord de 2015 au prétexte qu’il était trop favorable aux Etats-Unis (4). Tout en concédant, dans le même temps, un compromis avec Rafael Grossi, le chef de l’AIEA – compromis portant sur du matériel de surveillance, accompagné d’une ouverture sur un retour convenu en Iran de Rafael Grossi afin de poursuivre les discussions (5). Que s’est-il passé ? « En fin de semaine dernière », explique Pierre Alonso pour Libération, « Robert Malley, représentant spécial de l’administration Biden sur l’Iran, est allé à Moscou et en Europe pour trouver une issue. C’est lors de ces concertations qu’aurait été défini le modus operandi de la dernière chance, arraché dimanche par Grossi » (6). Donc, malgré « l’augmentation des stocks » et les « entraves au processus d’inspection », la « voie étroite » serait à nouveau ouverte au retour de négociations qui, selon les négociateurs occidentaux progressaient lentement au premier semestre avant d’être suspendues en juin. Vladimir Poutine, qui avait informé Angela Merkel de son souhait de « sauver » le JCPoA lors d’une conversation téléphonique fin août, s’est également entretenu du sujet le 14 septembre avec le président iranien Ebrahim Raïssi (7).

Comment peut-on expliquer cette éclaircie inattendue pour nombre d’observateurs ? Pour l’ancien ambassadeur indien MK Bhadrakumar (8), aucun doute : plusieurs événements, « au cours des deux dernières semaines post-Afghanistan, pris ensemble, présagent que des vents de changement soufflent sur la région du Golfe ». Joe Biden ne serait plus à la recherche d’une doctrine au Moyen-Orient, il la mettrait en œuvre. « Fondamentalement, le schéma qui émerge dans ce qu'on appelle le Grand Moyen-Orient est que les États-Unis sont à la recherche d'une nouvelle place dans le monde et qu’ils ne s'enliseront dans des conflits ouverts dans aucune région ». Et le changement, profond, serait en cours. Pour preuve ? En parallèle du retour iranien à la table des négociations, « les premiers signes d'un retrait américain de l'Arabie saoudite sont apparus dans une série de mouvements au cours des 2-3 dernières semaines ». Ainsi, « l'administration Biden vient de faire une grande démonstration de sa stratégie régionale en Asie occidentale en retirant le système de défense antimissile américain le plus avancé et les batteries Patriot déployées en Arabie saoudite pour contrer l'Iran et faire face aux attaques aériennes des rebelles houthis du Yémen » (9). Ce qui a provoqué l’annulation de la visite prévue du secrétaire à la Défense américain Lloyd Austin à Ryad, alors qu’il était déjà en route, ayant visité le Qatar, Bahreïn et le Koweït.

Si les agences de presse iraniennes se passionnent pour ces mouvements – notamment sur l’éventuel retrait de 20 000 soldats américains d’Arabie Séoudite, ou sur l’évacuation de treize bases en Syrie, on n’est pas moins attentif en Israël.

 Avec un discours qui peut surprendre : « Le ministre de la Défense Benny Gantz a déclaré qu'il était prêt à accepter un scénario dans lequel les États-Unis négocient un nouvel accord nucléaire avec l'Iran, dans un rare commentaire d'un haut responsable du gouvernement ne rejetant pas d'emblée un tel accord multilatéral » peut-on lire dans The Times of Israël ce 15 septembre (10). « Si l'approche américaine actuelle consistait à remettre le programme nucléaire iranien dans une boîte, je l'accepterais », a déclaré Gantz à Foreign Policy dans une interview publiée mardi, empruntant la rhétorique utilisée par l'administration Biden pour décrire l'objectif de l'accord nucléaire de 2015 ». Ceci en faisant toutefois préciser un peu plus tard qu’il souhaite plutôt un accord plus large et à plus long terme. Sachant qu’au rebours de son prédécesseur Benyamin Nétanyahou, « le premier ministre Naftali Bennett a assuré le président américain Joe Biden à la Maison Blanche le mois dernier qu'il ne ferait pas campagne publiquement contre les efforts de Washington pour ramener l'Iran à l'accord de 2015 négocié par l'ancien président américain Barack Obama et abrogé par le prédécesseur de Biden, Donald Trump, en 2018 ».

Bien sûr, on ne sait pas ce que l’Iran va faire de ces ouvertures – si l’on peut être sûr qu’Israël, avec de solides raisons, restera vigilant, publiquement ou pas. MK Bhadrakumar note simplement que « des informations en provenance de Téhéran suggèrent que le nouveau ministre des Affaires étrangères Hossein Amir-Abdollahian envisage de se rendre à New York plus tard ce mois-ci pour assister à l'Assemblée générale annuelle de l'ONU ». Et aussi qu’il n’est pas un inconnu pour les Américains. « C'est un diplomate expérimenté qui a travaillé pour le ministère des Affaires étrangères de 2005 à 2016. Il avait participé aux pourparlers avec les États-Unis en 2007 à Bagdad, qui ont conduit à l'un de ces rares moments où les deux parties ont pu développer un terrain d'entente et une relation de travail pragmatique en Irak fondée sur une convergence d'intérêts ». Pour l’ancien ambassadeur donc, ici optimiste, tout porte à penser qu’une nouvelle politique américaine se met en place et que les interlocuteurs régionaux, Iran, Israël, l’ont compris – comme l’a compris Vladimir Poutine. Qui y voit peut-être des opportunités. « Le président Poutine n'aspirera ni à être le nouveau shérif en Asie occidentale ni à se faire remarquer, mais Moscou ne manquera pas non plus de remarquer que le retrait américain de l'Arabie saoudite et un accord nucléaire américano-iranien pourraient potentiellement ouvrir de nouvelles voies pour faire avancer les intérêts russes ».

Conclusion ? Lors de la signature de l’accord avec l’Iran en juillet 2015, nous notions avec le professeur à Saint-Cyr Thomas Flichy qu’un tel accord apparaissait « comme un point de départ plus que comme un point d’arrivée ». Outre que les réserves émises par Donald Trump n’étaient pas toutes infondées (notamment sur le développement par l’Iran de missiles balistiques à longue portée), il est bien tôt pour comprendre si Joe Biden et son administration développent en pleine lucidité une stratégie dont ils mesurent tout à fait la portée et les conséquences. Après tout, la nature a horreur du vide. Comme il est impossible de savoir si l’Iran jouera longtemps le jeu qui lui est proposé avec ce septième round de négociations.

Répit ou tournant ? Les jeux ne sont pas faits.

 

Hélène NOUAILLE
La lettre de Léosthène
http://www.leosthene.com 
18 septembre 2021

 

 

 

Notes :

 

(1) Voir Léosthène n° 1237/2017, le 18 octobre 2017, Iran : l’UE d’une seule voix contre Trump, pour une fois

Lors de la signature à Lausanne, en avril 2015, du « plan d’action » qui a conduit au « Plan global d’action conjoint » (Joint Comprehensive Plan of Action, JCPOA) signé à Vienne le 15 juillet 2015 entre la République islamique d’Iran les cinq puissances nucléaires du Conseil de Sécurité plus l’Allemagne, nous reprenions une analyse du professeur à Saint Cyr Thomas Flichy : « Contrairement aux apparences, la question nucléaire n’est pas centrale dans le dossier iranien. Il s’agit essentiellement d’un enjeu de communication, et ceci pour l’ensemble des protagonistes ». De plus, ajoutait-il, « un accord apparaît en Iran comme un départ plus que comme un point d’arrivée ». La déclaration de Donald Trump vendredi 13 octobre, qui menace cet accord, atteste de la pertinence de cette analyse. Sachant que puisque ce « plan d’action » n’était pas un traité, Barack Obama n’avait pas à le faire ratifier par le Congrès – où les Républicains, hostiles à cet accord, avaient la majorité, Donald Trump déclarait donc : « J’annonce aujourd’hui que nous ne pouvons pas donner et que nous ne donnerons pas cette certification » au Congrès. A la réaction de l’UE (« Nous restons fermement attachés au Plan d’action global commun et à sa mise en œuvre totale par toutes les Parties »), son pari est incertain. Il est rare que l’UE parle d’une seule voix. L’unanimité sera-t-elle durable ?

(2) Le Figaro/AFP, le 6 juillet 2021, Nucléaire iranien: les Européens expriment leur «préoccupation», Washington veut la fin des «provocations»
https://www.lefigaro.fr/flash-actu/nucleaire-iranien-les-europeens-expriment-leur-grande-preoccupation-20210706 

 (3) US State Department, le 8 septembre 2021, Secretary Antony J. Blinken and German Foreign Minister Heiko Maas at a Joint Press Availability (Base aérienne de Ramstein, Allemagne)
https://www.state.gov/secretary-antony-j-blinken-and-german-foreign-minister-heiko-maas-at-a-joint-press-availability-2/

(4) RFI, le 15 septembre 2021, Siavosh Ghazi, correspondant à Téhéran, Iran: le conservateur Ali Bagheri, nouveau chef des négociateurs nucléaires
*https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20210915-iran-le-conservateur-ali-bagheri-nouveau-chef-des-n%C3%A9gociateurs-nucl%C3%A9aires

(5) RFI, le 12 septembre 2021, Siavosh Ghazi, correspondant à Téhéran, Nucléaire: l'AIEA parvient à un accord avec l'Iran sur le matériel de surveillance
https://www.rfi.fr/fr/moyen-orient/20210912-nucl%C3%A9aire-l-aiea-parvient-%C3%A0-un-accord-avec-l-iran-sur-le-mat%C3%A9riel-de-surveillance

(6) Libération, le 14 septembre 2021, Pierre Alonso, Nucléaire iranien : le gendarme onusien ménage la possibilité de discussions
https://www.liberation.fr/international/moyen-orient/nucleaire-iranien-le-gendarme-onusien-menage-la-possibilite-de-discussions-20210914_KLU36HA2D5CI5MSN5WOHMWO4M4/

(7) Agence TASS, le 14 septembre 2021, Putin, Iran’s Raisi discuss situation around JCPOA — Kremlin -
https://tass.com/politics/1337597

(8) Indian Punchline, le 13 septembre 2021, MK Bhadrakumar, Biden Doctrine Appears in Persian Gulf
https://www.indianpunchline.com/biden-doctrine-appears-in-persian-gulf/

(9) VOA News, le 11 septembre 2021, by Associated Press, US Pulls Missile Defenses in Saudi Arabia Amid Yemen Attacks
https://www.voanews.com/middle-east/us-pulls-missile-defenses-saudi-arabia-amid-yemen-attacks

(10) The Times of Israël, le 15 septembre 2021, Gantz says Israel could accept new Iran nuclear deal
https://www.timesofisrael.com/breaking-from-longheld-israeli-stance-gantz-willing-to-accept-jcpoa-revival/ 

 

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr
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Source : www.asafrance.fr