OFFICIEL : Synthèse exécutive du rapport du Haut comité d'évaluation de la condition militaire

Posté le vendredi 03 août 2018
OFFICIEL : Synthèse exécutive du rapport du Haut comité d'évaluation de la condition militaire

1. L’histoire témoigne de l’importance du fait militaire dans notre pays. On a pu dire ainsi que « l’histoire de la France est autant habitée par le destin des armes que les militaires le sont par l’histoire nationale (3) ». Il en est de notre territoire comme de notre histoire. Quoique moins dense que par le passé, l’empreinte territoriale des forces armées demeure forte. L’identité de certaines localités s’est parfois même constituée autour d’une garnison, d’un port, d’une base aérienne et, aujourd’hui encore, la gendarmerie nationale demeure présente sur tout le territoire comme le commande sa mission. La quasi-totalité des militaires relève d’une unité ou d’une formation implantée sur le territoire national (4). Le présent rapport s’attache à évaluer la condition de vie de ces militaires et de leur famille dans les territoires d’affectation.


2. Depuis la fin de la Guerre froide, l’ancrage territorial des forces armées a fait l’objet d’une restructuration profonde : 
- retrait rapide des forces françaises d’Allemagne (43 000 militaires en 1990, moins de 1 000 depuis 2014) ;
- réduction massive des effectifs consécutive à la professionnalisation intervenue en 1997 accompagnée de la dissolution de nombreuses unités et de la fermeture d’implantations militaires, phénomène encore accentué entre 2008 et 2015 (plus de 550 000 militaires en 1989 contre un peu plus de 300 000 en 2017) ; 
- transfert et redéploiement d’ampleur des forces sur le territoire national, certaines unités ayant même pu faire l’objet de plusieurs transferts successifs.

3. Si les déflations et restructurations ne sont plus à l’ordre du jour (Cf. le projet de loi de programmation militaire en cours d’examen), la géographie militaire a subi une profonde mutation : moins nombreuses, les implantations militaires sont aussi plus dispersées et les conditions de vie, d’emploi et de logement plus hétérogènes. Ce conditionnement territorial concerne les militaires et leur famille comme les civils, ce qui, en soi, n’est pas anormal, étant observé cependant que son impact sur la condition militaire peut être plus marqué en raison des mobilités imposées par la carrière militaire et de leurs conséquences sur le logement, l’emploi du conjoint ou la scolarité des enfants. Ce constat, qui est celui de la diversité voire de l’hétérogénéité de la vie des militaires sur leur lieu d’affectation, peut apparaître trop global pour être exact. Il est vrai que toutes les forces armées ne sont pas concernées au même degré, ni de la même façon, et que tous les militaires ne sont pas soumis à une forte mobilité. Toutefois, eu égard à son importance tant sur le plan quantitatif que sur le plan qualitatif, cette situation doit être regardée comme une des caractéristiques de la condition militaire aujourd’hui.


4. Chaque force a sa géographie propre : alors que la gendarmerie est répartie sur l’ensemble du territoire national (3 100 brigades, 109 escadrons de gendarmerie mobile, 3 régiments de la garde républicaine), que l’armée de Terre, quoique ayant perdu 61 régiments depuis 1989, reste présente avec 79 régiments dans toutes les régions françaises mais pas dans tous les départements, la Marine, en revanche, et, à un moindre degré, l’armée de l’Air et le service de santé des Armées sont concentrés sur quelques zones (11 ports dont 6 outre-mer, 15 bases aériennes plates-formes, 8 hôpitaux d’instructions des armées et 17 centres médicaux auxquels sont rattachées les antennes situées dans les forces).,

Cependant, toutes les forces armées et formations rattachées sont exposées à la diversité, voire aux disparités territoriales. Pour un marin, l’affectation n’a pas du tout les mêmes implications selon qu’elle est à Brest, à Toulon ou à Paris. En gendarmerie départementale, les conditions de vie du gendarme et de sa famille peuvent varier très sensiblement selon que le militaire est affecté dans une zone présentant de nombreux atouts économiques, culturels, sociaux ou, au contraire, dans une zone rurale cumulant de nombreux handicaps ou dans une zone périurbaine à forte délinquance de proximité. Le même constat d’hétérogénéité peut être fait pour l’armée de l’air, l’armée de terre et les services de soutien (service de santé des armées, service des essences des armées…). Alors que le 11e rapport thématique du Haut Comité avait conduit à souligner l’unité profonde de la fonction militaire et de l’état militaire, unité portée par la mission, le statut et les valeurs, le présent rapport débouche sur un premier constat : la diversité de l’environnement local des militaires et l’hétérogénéité de leurs conditions de vie.

5. L’environnement proprement militaire, l’administration et le soutien de l’homme (5), c’est le deuxième constat du rapport, ne permettent guère de réduire les écarts décrits ci-dessus et, en tout état de cause, sont souvent loin d’apporter sur le territoire national une qualité de service suffisante.
En gendarmerie comme dans les armées, l’état des casernements et des infrastructures de vie est très variable, allant du bon, voire du très bon, au très médiocre. Cette situation, dans l’ensemble dégradée par rapport à l’environnement civil actuel ou même par rapport à l’état des locaux militaires il y a encore 25 ans, est la conséquence de l’érosion continue des budgets d’entretien et d’investissement. Les décisions prises de relancer les programmes, qu’il faut saluer car elles étaient indispensables, ne porteront leur fruit que dans la durée et si l’effort est soutenu.
Le soutien général, comme le Haut Comité l’a relevé dans plusieurs rapports, demeure un sujet majeur de préoccupation pour le commandement et pour les militaires eux-mêmes. La gendarmerie a pu échapper dans une très large mesure à la succession des démarches de mutualisation dont les armées ont été l’objet. Si dans sa conception cette réforme pouvait paraître séduisante, sa mise en œuvre s’est faite dans la précipitation et sans réelle évaluation. La réforme des bases de défense s’est traduite par la création d’un échelon administratif et d’une aire géographique supplémentaires avec souvent trois conséquences :
- une complexité accrue des procédures et transactions ;
- un éloignement des soutenants ;
- une déresponsabilisation du commandement. Seuls la bonne volonté des soutenus et l’engagement des soutenants ont pu éviter, jusqu’à présent, les ruptures, mais la défiance des premiers et la grande lassitude des seconds ne permettent pas d’escompter un redressement car les biais sont structurels. La transformation en cours, qui conjuguera un renforcement des pôles de soutien de proximité avec une mise en cohérence des bases de défense et des zones de défense et de sécurité, permet d’augurer de meilleurs résultats.

6. Les études de l’Insee, de l’observatoire économique de la défense (OED) et de la direction des ressources humaines du ministère de la défense (DRH-MD) rendent compte de cette grande hétérogénéité :
- inégalité du poids du personnel de la défense dans la population active des bassins de vie (moins de 0,5 % dans la très grande majorité des bassins de vie mais 5,6 % à Bourges, 7,2 % à Toulon et jusqu’à 18 % à Guer et 29 % à Mourmelon et à Suippes) ;
- surreprésentation des militaires (39 % des militaires et même jusqu’à 51 % des marins contre 25 % de la population française) dans les territoires caractérisés par une bonne qualité de vie en termes de services et d’équipements, mais, et cela concerne directement les conjoints non militaires, un taux de chômage de longue durée supérieur à la moyenne nationale ;
- extrême diversité d’une unité à l’autre, au sein d’une même région (cas de la région Provence-Alpes-Côte d’Azur), voire au sein d’une même base de défense (Draguignan, Nice).

Enfin, trois territoires présentent des spécificités telles qu’on serait tenté de les qualifier de cas particuliers si la population militaire y était peu nombreuse, ce qui n’est pas le cas : la région Île-de-France avec une problématique particulière d’emploi, de transport et de logement ; la zone de Toulon avec des difficultés aiguës d’accès au logement ; l’outre-mer avec un coût de la vie parfois élevé et des problématiques de sécurité (Mayotte, Guyane).

7. Le Haut Comité n’a ni l’ambition, ni le rôle, ni d’ailleurs la capacité, de détailler les actions et les mesures permettant de répondre à la diversité des besoins et à l’hétérogénéité des situations constatées précédemment. Il lui parait cependant qu’au-delà des fondamentaux de la condition militaire (unité du statut général, ancrage dans la grille des traitements et soldes des agents publics, principe de juste rétribution des sujétions, équilibre des corps et carrières) qui constituent des facteurs d’unité de la fonction militaire (6), il est nécessaire, sans remettre en cause cette unité, de mieux prendre en compte, dans les politiques et les actions d’accompagnement de la condition militaire, les facteurs de différenciation qui tiennent :
- aux différences de condition de vie, de logement et d’emploi entre les territoires d’affectation ;
- aux impacts, eux-mêmes parfois variables dans le temps et l’espace, de la mobilité sur la condition militaire. En effet, ce n’est pas l’uniformité qui permettra d’apporter des réponses pertinentes aux besoins réellement exprimés et aux difficultés éprouvées, mais bien, au contraire, une différenciation, raisonnable et tempérée par l’équité, des actions à conduire.

On retrouvera dans le présent rapport la même logique que celle que le Haut Comité avait proposé de privilégier dans l’avis qu’il avait adressé à la ministre des armées le 28 septembre 2017 sur le soutien des familles et des proches de militaires (7), à savoir :
- la recherche de l’équité de traitement plutôt que celle de l’égalité formelle ;
- la différenciation des prestations et services, toutes les fois que nécessaire, pour tenir compte des sujétions opérationnelles et des impératifs de la mobilité, y compris en neutralisant l’impact de certaines conditions de ressources ;
- la réactivité et la décentralisation des réponses destinées à faire face aux urgences ;
- l’articulation entre les différents niveaux de décision et de mise en œuvre en impliquant toujours le commandement de proximité dans le bouclage des actions (appréciation des besoins, élaboration et adaptation des réponses, information des intéressés) ;
- l’évaluation périodique des actions conduites et la réversibilité des dispositifs.

8. En choisissant comme thème du 12e rapport thématique La vie des militaires et de leur famille selon le lieu d’affectation, le Haut Comité avait la volonté d’apporter un éclairage complémentaire de ceux apportés par ses 5e , 8e et 10e  rapports consacrés respectivement à la condition des militaires en service hors métropole, notamment en opérations extérieures, à l’administration des militaires et à la condition des militaires engagés dans les missions de protection du territoire national (8).
Cet éclairage complémentaire est, dans un certain nombre de cas, convergent avec des constats négatifs dressés précédemment concernant la condition militaire outre-mer et en missions intérieures. Tel n’est pas, faut-il le souligner pour s’en féliciter, le cas des opérations extérieures.
Par ailleurs, en privilégiant, en la matière, une différenciation des réponses mieux à même, selon lui, de s’adapter à la diversité des besoins et des situations, le présent rapport constitue le contrepoint du 11e rapport thématique consacré à la fonction militaire, lequel mettait l’accent sur les facteurs d’unité, de cohérence et de cohésion. L’objet même de ce 12e rapport, qui part du terrain, du vécu et du quotidien, conduit naturellement le Haut Comité à privilégier une différenciation des approches pour répondre à l’hétérogénéité des situations. Pour le Haut Comité, cette position est en effet la seule qui permette de « tenir les deux bouts de la chaîne ».

9. Au fil de son rapport et sans prétendre à l’exhaustivité, le Haut Comité a estimé nécessaire d’insister sur quelques recommandations s’inscrivant dans l’esprit de l’orientation générale qui vient d’être exposée et qui lui paraissent de nature à répondre à certains des besoins rencontrés :
- sans remettre en cause le principe de disponibilité et en complément des actions traitant les conséquences de la mobilité, réévaluer régulièrement les besoins de mobilité géographique ;
- valoriser l’état militaire et les contraintes de mobilité dans les critères d’attribution d’un logement défense ;
- actualiser régulièrement en fonction des évolutions socio-économiques des lieux d’affectation les taux des indemnités territorialisées et la liste des lieux éligibles ;
- dans le cadre des travaux portant sur la nouvelle politique de rémunération des militaires, rénover l’articulation entre la politique indemnitaire et les politiques du logement et de l’hébergement ainsi que les critères d’éligibilité ;
- renforcer la prise en compte des sujétions de l’état militaire, en particulier les contraintes opérationnelles et de mobilité, dans les conditions d’attribution des prestations sociales et la tarification des activités de vacances et de loisirs ;
- élaborer une instruction conjointe du ministre de l’intérieur et du ministre des armées pour développer des partenariats entre les unités militaires et les autorités civiles (préfets et représentants des collectivités territoriales concernées) ;
- généraliser les évaluations de besoins et les états des lieux locaux, pour pouvoir décliner localement, sur tous les territoires, la politique de condition militaire ;
- impliquer les commandants de formation dans les processus de soutien (appréciation des besoins, élaboration et adaptation des réponses, information des intéressés, évaluation) en renforçant, autant que de besoin, leurs leviers d’action.

(3)  Jérôme Hélie, Les armes, dans Pierre Nora (dir.), Les lieux de mémoire, Quarto Gallimard, tome III, p. 3235. (
(4)  98,5 % des militaires sont affectés sur le territoire français. 
(5)  Notions qui excluent toute appréciation quant à la sphère opérationnelle et au soutien des forces.
(6)  HCECM, 11e rapport thématique, La fonction militaire dans la société française, 2017, pp. 73 et s.
(7) HCECM, Revue annuelle de la condition militaire 2017, pp. 256 et s.
(8)  HCECM, 5e rapport, La condition des militaires en service hors métropole, mai 2011, HCECM, 8e rapport, l’administration des militaires, mai 2014 et HCECM, 10e rapport, La condition des militaires engagés dans les missions de protection du territoire national et de la population, mai 2016. 

 

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 Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

Source : www.asafrance.fr