OPERATION BARKHANE : Au Mali, les leçons de la frappe de Bounti pour l’opération Barkhane

Posté le jeudi 08 avril 2021
OPERATION BARKHANE : Au Mali, les leçons de la frappe de Bounti pour l’opération Barkhane

En déplacement au Mali la semaine dernière, la ministre des Armées, Florence Parly, a défendu «l’honneur» des soldats français.

« Notre ennemi exploite toutes les polémiques possibles. Je ne peux pas admettre que l’honneur de nos soldats puisse ainsi être sali » a déclaré Florence Parly.

Le jargon de Barkhane est parfois incompréhensible. Jeudi dernier, la « pleine capacité opérationnelle de la task force Takuba» a été «actée» par la ministre des Armées, Florence Parly, accompagnée, durant un déplacement au Mali, de ses homologues tchèque et estonien. L’étape se voulait importante pour l’opération française au Sahel: depuis l’été, les armées sont épaulées sur le terrain par des forces spéciales estoniennes, tchèques et suédoises. D’autres pays pourraient rejoindre l’initiative qui a donc achevé sa mise en place.

 Dans un rapport publié il y a plus d’une semaine, la division des droits de l’homme de la Minusma, la mission de paix de l’ONU au Mali, a accusé la France d’avoir tué 19 civils lors d’une frappe aérienne le 3 janvier. Les enquêteurs ont conclu qu’un mariage s’était bien tenu dans ce village au centre du Mali, dans une zone où sévit la Katiba Serma, l’un des groupes armés contre lequel se bat la France. Une centaine de personnes étaient présentes, dont cinq djihadistes, selon la Minusma. Interrogée à Bamako sur cette bavure, Florence Parly s’est bornée à répéter la version officielle : « Les forces armées françaises ont effectué une frappe aérienne ciblant un groupe armé terroriste identifié comme tel », a-t-elle assuré avant d’ajouter: «Il y a aussi une guerre dans le domaine informationnel et notre ennemi exploite toutes les polémiques possibles. Je ne peux pas admettre que l’honneur de nos soldats puisse ainsi être sali.» Au ministère, on a émis de sévères « réserves » sur la méthodologie de l’enquête de la Minusma.

Version contre version, l’accusation de bavure est un coup bien plus dur pour Barkhane que toutes les attaques des djihadistes. Sans préjuger de la véracité d’une thèse contre une autre, l’état-major va devoir tirer les leçons de l’incident.

Le doute ne profite pas à Barkhane en minant le soutien dont dispose l’opération au Sahel comme en France. Au bout de huit ans, la lassitude gagne

Dans la guerre informationnelle, la bataille de Bounti a été perdue. Depuis la frappe, les armées réagissent aux accusations sans jamais parvenir à convaincre. Le doute ne profite pas à Barkhane en minant le soutien dont dispose l’opération au Sahel comme en France. Au bout de huit ans, la lassitude gagne.

Contre-offensive

Au ministère, en guise de contre-offensive, on oppose au rythme des rumeurs à celui, plus long, des vérifications. Mais on refuse aussi de diffuser, même à un niveau restreint, les images recueillies par un drone avant la frappe pour ne pas donner d’indication sur les méthodes de renseignement de Barkhane. Les armées ne veulent pas, disent-elles, enclencher un engrenage qui les conduirait à partager leurs informations à la moindre interpellation. Même avec la mission de l’ONU ?

Deuxième leçon : l’affaire de Bounti vient révéler l’étrange cohabitation sur le terrain malien entre d’un côté Barkhane, qui mène l’offensive contre les terroristes, et la mission des Casques bleus, chargée de veiller au respect des accords de paix de 2015. D’un côté, 5 100 soldats français, de l’autre quelque 15 000 hommes venus d’une soixantaine de pays, principalement africains. Ceux-ci sont la cible régulière des djihadistes : 140 morts depuis 2013. Contrainte par son mandat limité, la Minusma « peine à réaliser l’effort qui (lui) est assigné », expliquait l’année dernière à l’Assemblée le général Conruyt, commandant de la force Barkhane

En coulisses, les propos des militaires sont moins diplomatiques. Dans l’affaire Bounti, la division des droits de l’homme «s’est laissée manipuler», dit-on à Paris. L’accusation est grave. Officiellement, elle n’est pas reprise. Quoi qu’il en soit, la confiance entre les deux institutions est limitée. « La Minusma, avec laquelle on est censé travailler, organise des enquêtes à charge contre les forces françaises. Ça pose un problème de cohérence sur le terrain », a relevé la semaine dernière sur Public Sénat le sénateur Christian Cambon, président de la commission des affaires étrangères et de la défense.

Mais avec son rapport, la Minusma pose cependant la question essentielle de l’ennemi de la France au Sahel. Au Mali, il n’y a pas de front où deux armées s’opposeraient. Il n’y a pas non plus, ou rarement, de «combats» directs. L’adversaire «évite l’affrontement», dit-on au sein de l’état-major. Il préfère poser des engins explosifs déclenchés à distance. Il se fond dans la population qu’il menace mais d’où il tire ses ressources. Paris et Bamako ne sont pas non plus toujours sur la même longueur d’onde lorsqu’il s’agit de définir leur adversaire militaire.
À Bounti, les participants au mariage pouvaient très bien être aussi des djihadistes et réciproquement. Dès lors, les cibles identifiées pouvaient-elles toujours être frappées militairement ? Le droit des conflits armés est sujet à interprétation tout comme la notion de proportionnalité. L’opération Barkhane pâtit de cette ambiguïté comme des autres.

 

Nicolas BAROTTE 
Le Figaro

 Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr
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Source : www.asafrance.fr