OPERATION BARKHANE : Paris étudie toutes les hypothèses

Posté le vendredi 11 février 2022
OPERATION BARKHANE : Paris étudie toutes les hypothèses

Malgré les provocations de Bamako, le chef d’état-major des armées veut « poursuivre la lutte antiterroriste ».

Le point de rupture se rapproche pour Barkhane. Jusqu’à présent, la coopération militaire entre la France et les forces armées maliennes restait tant bien que mal préservée des tensions politiques entre les deux capitales. Depuis 2013, la France lutte au Sahel contre les groupes armés djihadistes. Quelque 4 800 soldats sont engagés. Les dernières opérations conjointes, sur lesquelles communique volontiers l’état-major, ont d’ailleurs obtenu des succès tactiques. Mais la dégradation quasi irréversible des relations entre la junte et ses partenaires finit par percoler. Les troupes sur le terrain commencent à subir des entraves et le dispositif à être brouillé par des ordres politiques venus de la junte, des militaires maliens recevant la consigne de ne plus travailler avec les éléments de la force Barkhane. Pour l’instant, les incidents restent ponctuels, mais les militaires français restent attentifs.

Les canaux diplomatiques et militaires sont mobilisés pour sauver l’intervention. « On veut aider les pays africains, pour eux et aussi pour nous », a déclaré à Abidjan mardi le chef d’état-major des armées, le général Burkhard. « Notre priorité, c’est de poursuivre la lutte contre le terrorisme aux côtés des pays du G5 Sahel (Mali, Mauritanie, Tchad, Niger, Burkina Faso, NDLR) », a-t-il poursuivi. Son déplacement s’inscrit dans la réflexion urgente sur la transformation de l’engagement au Sahel. La Côte d’Ivoire constitue un point d’appui alors que le maintien de troupes au Mali paraît de plus en plus difficile.

« La situation n’est pas soutenable dans le temps », explique la source diplomatique française. Chaque semaine qui passe apporte un nouveau camouflet. Lundi, le premier ministre malien ; Choguel Maïga, s’est livré à une charge antifrançaise. « Après un temps d’allégresse » en 2013 quand les Français ont libéré le nord du Mali, « l’intervention s’est muée dans un deuxième temps en une opération de partition de fait du Mali qui a (consisté dans) la sanctuarisation d’une partie de notre territoire, où les terroristes ont eu le temps de se réfugier, de se réorganiser pour revenir en force à partir de 2014 », a-t-il affirmé. À Paris, on n’a pas souhaité répondre pour ne pas alimenter le face-à-face franco-malien que Bamako veut mettre en scène. C’est pourquoi notamment aucune mesure de rétorsion n’avait été prise après le renvoi de fait de l’ambassadeur français début février.

Mais le gouvernement a pris acte de « la trajectoire de rupture » de la junte qui s’est installée au pouvoir après deux coups d’État en août 2020 et en mai 2021. En faisant appel aux services des mercenaires russes de Wagner, malgré leurs dénégations préalables, le gouvernement malien a révélé un changement de priorités politiques, considère-t-on à Paris : « La junte s’est bunkérisée. Dans ces conditions, est-il possible d’avoir des résultats dans la lutte antiterroriste ? », interroge-t-on. Aujourd’hui, la milice privée aurait déployé près de 1 000 combattants au centre du Mali. Les diplomates comme les militaires français rapportent d’ores et déjà de possibles exactions, comme Wagner a pu en être responsable en Centrafrique. Pour les Européens engagés en Mali, la présence de la milice est aussi une ligne rouge. Pour les pays d’Afrique de l’Ouest réunis dans la Cédéao, l’absence de calendrier électoral au Mali en est une autre. Mercredi, Bamako a assuré travailler à « un compromis ».

Organisation logistique complexe 

L’avenir de l’opération française au Sahel va se jouer dans les semaines voire les jours à venir, dit-on à Paris, même si aucune date butoir n’est fixée. « Nous travaillons sur toutes les hypothèses, y compris celle de devoir se retirer du Mali. Mais dans toutes les hypothèses, nous maintenons un engagement dans la durée au Sahel », explique la source diplomatique. Même si la France est la principale force engagée militairement au Sahel, Paris a exclu toute décision unilatérale sur un retrait ou un maintien au Mali. Deux dates, au moins, jalonneront le calendrier : le sommet Europe-Afrique prévu les 17 et 18 février et le débat au Parlement en France, les 23 et 24 février. Les pays européens engagés dans la task force Takuba, composée de forces spéciales, ont promis des décisions la semaine prochaine.

La réduction du format de Barkhane est une question posée depuis plusieurs mois. Elle ne date pas de la montée des tensions. Mais les autorités françaises avancent prudemment en ne perdant pas de vue la menace terroriste. Celle-ci se diffuse désormais vers les États du golfe de Guinée. L’avenir de l’intervention au Sahel se jouera à une échelle régionale plus large. Mais son organisation logistique s’avère particulièrement complexe : où installer les bases ? Comment mener des opérations sans être au Mali, où prospèrent le JNIM, lié à al-Qaida, et l’EIGS, affilié à Daech ? Certains pays comme le Niger ont aussi fait savoir qu’ils ne souhaitaient pas accueillir de contingents européens.

Les autorités françaises se préoccupent aussi des conséquences de leurs décisions sur les autres présences internationales : la mission de formation européenne EUTM et la force de l’ONU chargée de veiller aux accords de paix de 2015. Pour leur sécurité, les soldats de la Minusma comptent beaucoup sur les capacités françaises. « Notre engagement en conditionne d’autres », dit-on à Paris. Si rien ne semble pouvoir sauver la présence française au Mali, quitter le terrain ne sera pas si simple.


Nicolas BAROTTE

Le Figaro
10 février 2022

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Source : www.asafrance.fr