OPERATIONS : «Les missions des forces spéciales vont évoluer»

Posté le jeudi 24 décembre 2020
OPERATIONS :  «Les missions des forces spéciales vont évoluer»

L’ancien «sous-chef opérations» à l’état-major des armées assure que les forces spéciales seront toujours aussi utiles dans les conflits de demain.
Le général Grégoire de Saint-Quentin vient de faire ses adieux aux armes. Après avoir été chef de corps du 1er RPIMa, il a été successivement GCOS, c’est-à-dire commandant des forces spéciales, et «sous-chef opérations», responsable auprès du chef d’état-major des opérations des armées françaises. Il vient d’être fait grand officier de la Légion d’honneur.


LE FIGARO. - Quel message souhaitez-vous transmettre aux jeunes recrues des forces spéciales?

GÉNÉRAL DE SAINT-QUENTIN.
L’ADN du 1er RPIMa ne changera pas. Mais les missions vont évoluer compte tenu des tensions internationales, du retour du jeu des puissances, des nouvelles hypothèses d’engagement en dessous du seuil de la guerre. Avec des rapports de force plus symétriques, la supériorité aérienne de l’adversaire ou sa capacité à brouiller, à intercepter ou à exploiter nos communications reviennent dans le champ des possibles. Tout cela doit être intégré par les jeunes «SAS» du régiment. Mais ils ont déjà commencé à travailler sur ce nouveau contexte stratégique et le 1er RPIMa restera le fer de lance qu’il a été jusqu’à présent pour le développement du contre-terrorisme.

Comment les prépare-t-on?

On inculque des principes, des règles de vie sur le terrain, qui rendent les hommes plus rigoureux et endurants. Les forces spéciales compensent leurs effectifs réduits par l’agilité opérationnelle et ne peuvent créer un rapport de force favorable que par la fulgurance de leurs actions. Lors des phases de préparation longues et exigeantes, la discipline des procédures, du secret, est un gage de succès mais aussi de survie. C’est cette culture-là qu’il faut entretenir. La résilience physique et morale vient au fur et à mesure de l’entraînement. Envisager aujourd’hui une action du faible au fort, c’est revenir à l’ADN des SAS. Les SAS sont nés pendant la Seconde Guerre mondiale pour combattre sur les arrières de la Wehrmacht, une armée puissante, organisée et mécanisée. Ils sont nés pour trouver des failles et être innovants.

Dans un futur où l’on parle de conflit de haute intensité aura-t-on toujours besoin des forces spéciales?

On en aura autant besoin. L’habitude des forces spéciales d’être disséminées en petits groupes sur le terrain sera un atout pour le combat de demain. Dès que vous vous concentrez, vous risquez de devenir une cible. Pour les forces spéciales, l’enjeu restera d’être le plus furtif possible mais, au moment de l’action, d’être le plus décisif possible. Avec la diffusion exponentielle de certaines technologies, ce principe tactique fondamental n’est plus acquis d’avance. Regardez la vulgarisation de l’emploi des drones dans tous les conflits. Il faut que cela reste un atout et non une menace pour nos forces spéciales. Nous leur devons une technologie de rupture pour qu’elles conservent l’avantage.

Au Sahel, nous avons trouvé l’équilibre entre « Sabre » sous les ordres du commandement des opérations spéciales, et « Barkhane », avec un état-major conventionnel.

Comment l’emploi des forces spéciales a-t-il évolué depuis une décennie?

Elles ont été principalement dédiées au contre-terrorisme. Or les réseaux terroristes sont extrêmement mobiles. Il fallait les battre sur le terrain de l’agilité. Nous avons appris à développer une boucle courte du renseignement et de l’action en fédérant étroitement l’ensemble des moyens. Cette organisation ad hoc et l’exploitation de nouvelles sources, notamment électroniques, permettent de construire un renseignement actionnable et un tempo opérationnel qui contraint fortement la liberté d’action de l’adversaire.

Comment s’inscrit l’action des forces spéciales dans un ensemble plus vaste, qui comporte aussi bien le service action de la DGSE que les forces conventionnelles?

Laissons le service action de côté, ce n’est pas le même employeur que les forces spéciales: il dépend de la DGSE, donc d’un service dédié essentiellement au renseignement qui n’est pas organisé pour produire des effets militaires, spéciaux ou conventionnels. Il y a en revanche une vraie complémentarité avec les forces conventionnelles, comme on l’a observé au Sahel. Les unités conventionnelles sont plus nombreuses, elles sont présentes sur une plus grande superficie et leur capacité à durer sur le terrain est plus longue que pour des petites unités de forces spéciales beaucoup plus légèrement soutenues. Elles créent de l’incertitude chez l’adversaire, qui est contraint à communiquer, à se déplacer et cela offre des opportunités ou du renseignement pour les forces spéciales dans d’autres secteurs. Il y a donc une convergence des missions dans des cadres d’emploi différents. Si vous mettez les forces spéciales sous les ordres d’un état-major conventionnel, elles seront dans le tempo de l’état-major conventionnel et perdront toute la plus-value que j’ai expliquée. Au Sahel, nous avons trouvé l’équilibre entre «Sabre» sous les ordres du commandement des opérations spéciales, et «Barkhane», avec un état-major conventionnel. Avoir été le premier commandant de «Serval» puis GCOS m’a beaucoup aidé comme sous-chef «opérations» pour diriger et orienter l’évolution de la force «Barkhane» et son emploi.

L’offensive au Sahel, décidée il y a presqu’un an, a-t-elle atteint ses objectifs?

Je le pense.  «Barkhane» est devenue plus efficace. L’augmentation de 600 hommes n’était pas en elle-même décisive rapportée à l’immensité du théâtre à couvrir. Mais en délivrant la force du corset conceptuel d’un effectif plafond, on lui a redonné une cohérence interne avec un ratio capacités de combat sur unités de soutien beaucoup plus favorable. L’effet va plus loin que la simple addition des chiffres.

 

Propos du général Grégoire de Saint-Quentin recueillis par Nicolas BAROTTE
Source : Le Figaro
https://www.lefigaro.fr/international/general-de-saint-quentin-les-missions-des-forces-speciales-vont-evoluer


Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr
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