Opérations militaires françaises en Afrique : LIBRE OPINION de Jean Gaël LE FLEM et Bertrand OLIVA, officiers d'active.

Posté le mercredi 10 avril 2019
Opérations militaires françaises en Afrique : LIBRE OPINION de Jean Gaël LE FLEM et Bertrand OLIVA, officiers d'active.

Réflexions sur les opérations militaires françaises en Afrique
au travers de l’exemple du Mali

 

Au mois de janvier 2018, le général François Lecointre, chef d’état-major des Armées (CEMA), s’adressant aux militaires à l’occasion de la parution d’un livre sur le soldat, leur disait : « Ecrivez ! », s’élevant ainsi contre le « mutisme militaire » dans lequel les Armées s’étaient « enfermées » depuis des décennies. Le lieutenant colonel Jean Gaël Le Flem et le chef de bataillon Bertrand Oliva ont brillamment suivi les directives de leur chef dans un essai stimulant, riche et novateur, véritable étude politico-stratégique et tactique faite par des soldats dans le cadre de leur formation à l’Ecole de Guerre et publié par elle.
Seule la 5e partie de ce livre intitulée « La médiation armée » sera étudiée ici car les auteurs y parlent du bilan de l’opération Serval.

Entre les mois de décembre 2012 et de mai 2013, la France a redressé militairement la situation au Mali. Mais avec pour résultat d’avoir donné une victoire trop absolue aux autorités maliennes. Aussi, lorsque celles-ci se sont présentées aux négociations, elles n’étaient plus dans de bonnes dispositions pour faire des concessions, car elles avaient déjà tout obtenu. Résultat, l’opération Serval ayant accumulé des succès tactiques, la diplomatie s’est donc retrouvée dépossédée d’un des principaux leviers dont elle aurait pu user sur la partie belligérante qui avait sollicité son aide, à savoir l’usage de la contrainte. Or, une telle erreur aurait pu être évitée si l’on avait considéré l’intervention comme une préparation à la médiation. Dans le cas malien, les auteurs expliquent ce que cela aurait pu donner :

- D’abord, en amont de l’intervention une première phase de négociations avec le président malien pour fixer les contreparties de l’opération envisagée par la France, celles-ci étant actées par un engagement public.

- Ensuite, une deuxième phase correspondant aux déploiements effectifs des troupes. L’ampleur de celles-ci dépendant des contreparties obtenues du pouvoir malien envers les rebelles touareg afin que l’intervention française joue pleinement son rôle de levier diplomatique en contraignant les deux parties (gouvernement et rebelles), à prendre des dispositions inimaginables sans pression d’un tiers.

- Enfin, une troisième phase qui aurait consisté à exercer une pression diplomatique et militaire différenciée sur les différents acteurs pour faire converger leurs positions initiales vers un compromis acceptable, et qu’ainsi les acteurs (gouvernement ou rebelles) qui « jouent le jeu » soient renforcés et que ceux qui ne jouent pas le jeu soient pénalisés. Il s’agissait donc comme le disait le général Beaufre de « procéder par actions successives coupées de négociations ».

Selon les auteurs, cette méthode, pour être efficace, nécessite plusieurs conditions :
- La légitimité, auprès des belligérants et sans fausse neutralité revendiquée.
- La mise en avant d’une faible ambition, pour préserver une liberté de manœuvre diplomatique.
- « L’empathie analytique », pour bien cerner les mobiles des différents belligérants dans le cadre de la négociation.
- Un pilotage politique, par une incarnation politique sur place.
- Un pré-positionnement et une réactivité concernant l’emploi des forces armées.

Mais encore faut-il incarner une volonté politique laquelle, comme le soulignent également les auteurs, est une problématique ancienne. Elle existait avec les missi dominici carolingiens. La période coloniale est riche d’exemples où les responsabilités civiles et militaires sont confiées au même chef et l’exemple de Lyautey au Maroc est emblématique à cet égard. Les temps ont changé, mais cela reste un besoin actuel, la présence d’un représentant unique du pouvoir, à l’autorité reconnue, est en effet nécessaire face à la multiplicité d’interlocuteurs qui tend à entraîner une dilution des responsabilités et à entretenir un flou préjudiciable à la cohérence de l’opération. Cela permettrait un pilotage politique quotidien mené localement tout en conduisant la médiation armée.

Or, pour rendre opératoire cette incarnation de la volonté politique, il faudrait la penser en termes institutionnels. Un décret définissant précisément la nature de cette fonction et sa place dans l’appareil d’Etat serait alors nécessaire. Et ainsi, si ce haut-commissaire était nommé en Conseil des ministres, s’il pouvait assister aux conseils de défense, si son lien avec le CEMA était étudié, s’il se voyait confier un budget, il serait plus à même d’exercer son double rôle de coordinateur des acteurs et de mise sous pression des belligérants dans le cadre de la médiation armée.

Après la question du statut, celle du choix de la bonne personne est déterminante. Les auteurs suggèrent, pour générer un pool de candidats opérationnels, de « politiser » certains de nos meilleurs officiers généraux et de « militariser » nos diplomates les plus guerriers. Concrètement ils pensent par exemple à d’anciens chefs de l’état-major particulier du président (CEMP), d’anciens chefs d’état-major des armées (CEMA), d’anciens ambassadeurs ayant une expérience opérationnelle ou d’anciens chefs de service de renseignement, fraîchement retraités. Ces candidats devant bien sûr en plus avoir la confiance du chef de l’Etat.

Repenser l’emploi des forces est également nécessaire et les auteurs présentent quelques pistes concrètes pour accroître l’efficacité des opérations à partir du bilan de Barkhane et pour proposer un nouveau dispositif au Sahel.
D’abord ils considèrent qu’il serait souhaitable de revenir à une logique de prépositionnement telle qu’elle existait avant Serval.
Ensuite, il conviendrait de reconcevoir la coopération pour permettre le couplage, c’est-à-dire de savoir jouer sur les différentes formes de Partenariat Militaire Opérationnel (PMO). Il y a en effet les actions de PMO structurel dont la forme la plus connue est la coopération qui s’inscrit dans le temps long. Mais il y a également des actions de partenariat conjoncturelles qui relèvent de ce que les auteurs nomment le « combat couplé » ou la « guerre couplée ». Selon eux, il faut orienter le partenariat avec les forces locales vers la guerre couplée pour améliorer l’efficacité des interventions.

Le combat couplé consiste à ponctuellement rendre efficace une unité en la renforçant (en la « couplant ») d’un détachement capable de mettre en œuvre les quelques capacités et savoir-faire clés qui lui manquent pour triompher d’un ennemi d’un niveau comparable. L’armée française est devenue numériquement une petite armée et l’avantage du combat couplé est de démultiplier son action à effectif égal. Or, pour développer le combat couplé dans les unités de l’armée de Terre, il faut transcrire la forte expérience empirique qui existe dans un corpus doctrinal. Il faut penser, disent les auteurs, le PMO en système, et ils proposent trois grandes pistes de réflexions :

1) D’abord, penser le rôle politique et stratégique du PMO.
Il est différent de faire gagner un partenaire en l’appuyant, plutôt que de faire la guerre et de la remporter à sa place. Dans le premier cas, l’intervention peut-être synonyme de rééquilibrage du paysage politique local si elle est convenablement pensée. Dans le second cas, elle s’apparente davantage à un vaste séisme politique, laissant plus d’interrogations que de réponses.

2) Ensuite, après cette conceptualisation du PMO, il faut penser à la mise en œuvre. Les auteurs abordent plusieurs problématiques à ce sujet, dont l’articulation des unités, les aspects capacitaires, le problème du couplage. Celui également des coalitions internationales, car le principe de la médiation armée présuppose une autonomie décisionnelle française, inenvisageable dans le cadre d’une coalition classique. Et enfin le cadre éthique de ces partenariats pour que la limitation des violences soit exprimée de façon rationnelle sans brandir des arguments moralisateurs peu convaincants au cœur de la mêlée.

3) Enfin le plus important dans la guerre, c’est de se battre avec les personnes qui ont le plus de raisons de se battre, et pour lesquelles mourir est une option possible.


Pour conclure, les auteurs rappellent que l’emploi de la force n’est jamais anodin mais qu’il s’agit d’un moyen efficace de prévenir et de régler les conflits. La France, comme tous les pays, a des intérêts vitaux à défendre, mais, à la différence de beaucoup de pays, elle a en plus des responsabilités internationales importantes à assumer. Si elle doit intervenir militairement, en Afrique, elle a un intérêt stratégique majeur à réussir ses opérations.
Voilà pourquoi ses interventions doivent viser à la plus grande efficacité pour atteindre au plus vite ses objectifs.


François-Philippe GALVANE
Afrique Réelle n° 112

 

Un sentiment d’inachevé de Jean Gaël Le FLEM et Bertrand OLIVA
Editions de l’Ecole de Guerre (juillet 2018)

 

 Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

Source : www.asafrance.fr