OPEX. Fin de Barkhane : On en parle au Sénégal

Posté le mardi 15 juin 2021
OPEX. Fin de Barkhane : On en parle au Sénégal

Du pays de la Teranga, on observe avec attention ce qui se passe au Mali. Le regard de l’universitaire et consultant Boubacar Bertrand Baldé.

« La France ne va pas lâcher d’un coup de tête le Mali, car la survie du pays, mais aussi des autres pays de la région, en dépend largement »

Encore épargné par la violence des groupes djihadistes malgré la découverte, le démantèlement et l'éradication de quelques tentatives d'infiltration, d'influence et d'organisation, le Sénégal est plus que jamais sur le qui-vive. Autant dire que le pays de la Teranga suit de très près l'évolution de la situation au Mali où des militaires sénégalais sont partie prenante des troupes de la Minusma. La fin de Barkhane comme opération extérieure ne peut donc qu'interpeller.
Ex-directeur pédagogique de la faculté de sciences juridiques et politiques de l'université Cheikh-Anta-Diop, ancien directeur académique de l'Institut supérieur de développement local de Dakar, Boubacar Bertrand Baldé, directeur exécutif du cabinet Conseils, stratégies et développement (Cosdev) a accepté de répondre à nos questions sur le retrait de Barkhane.

Le Point Afrique : Que pensez-vous du retrait de Barkhane et de son timing ?

Boubacar Bertrand Baldé : C'est un moyen de pression de la France pour demander un retour de la stabilité démocratique au Mali, un moyen pour appeler à une transition démocratique. La France est un partenaire privilégié du Mali et du Sahel depuis longtemps et a déployé d'importants moyens dans sa lutte contre le terrorisme dans cette région. La présence française, comme celle d'autres partenaires comme les États-Unis, a été primordiale. Je pense que c'est une décision stratégique. La France ne va pas lâcher d'un coup de tête le Mali, car la survie du pays, mais aussi des autres pays de la région, en dépend largement. La France est consciente des enjeux géostratégiques en jeu. Pour moi, elle n'ira pas jusqu'au retrait, c'est une étape pour mettre la pression, car un embargo sur le Mali serait une catastrophe économique pour ce pays déjà à l'agonie d'un point de vue économique. L'État malien vacille et a besoin d'accompagnement pour regagner sa souveraineté sur l'ensemble de son territoire.

Malgré le nouveau dispositif désormais mis en place autour de Takuba avec des forces spéciales européennes et des armées africaines dans le cadre de la Minusma, que diriez-vous aujourd'hui de l'état de la résistance au terrorisme islamiste dans le Sahel ?

Malgré la ceinture de feu que représente la présence d'armées étrangères présentes au Mali et dans le Sahel, personne n'est à l'abri du djihadisme et la percée des terroristes. Ce qui touche le Mali peut toucher d'autres États voisins, comme le Burkina qui a sombré rapidement. Le principal problème du Sahel est économique et est relié à une instabilité politique. Cela laisse la voie libre aux terroristes qui s'engouffrent dans la brèche. Les pays renforcent leur sécurité pour y faire face, mais les groupes terroristes sont très organisés et nombreux. D'où la nécessité de coopérer entre États africains et internationaux pour renforcer les compétences et les moyens dans la lutte contre le djihadisme. Il est impossible, compte tenu de la menace grandissante, de ne pas avoir de coopération.

Quel impact ce changement sur le théâtre d'opérations va-t-il avoir sur les populations, leur comportement vis-à-vis des troupes étrangères, leur moral aussi ?

Un sentiment anti-français, parfois entretenu par des discours politiciens, existe bel et bien. Mais cette présence française, et étrangère de manière générale, est essentielle, car l'État malien n'est pas assez outillé pour répondre à la menace actuelle. Le terrorisme s'amplifie et les efforts pour lutter doivent également l'être sous peine que la menace ne s'étende comme une tache d'huile. Si le colonel Assimi Goïta s'entête, il y aura de graves répercussions pas seulement pour le Mali, mais aussi pour tout le Sahel. Il a tout intérêt à lâcher du lest. Cette annonce a, bien sûr, des répercussions sur la population, mais je pense qu'elle est surtout partagée et dépassée par une situation sécuritaire très complexe à laquelle s'ajoute une situation politique instable. Ce qui l'intéresse avant tout, c'est la stabilité. Les Maliens vivent dans ce climat de guerre depuis longtemps et sont fatigués. La fragilisation du Mali aura des répercussions migratoires, c'est certain. Je dresse une réalité sombre, mais selon moi, d'énormes conséquences humanitaires sont également à prévoir.

La nouvelle donne va-t-elle encourager ou décourager les différents pouvoirs des pays du Sahel à dialoguer avec les djihadistes ?

Ces pays n'ont aucun intérêt à discuter avec les djihadistes, mais à l'inverse ils doivent intensifier le combat. Dialoguer avec eux seraient leur faire une faveur. Et puis pour dialoguer, il faut savoir quelles sont leurs revendications. Est-ce l'instauration d'un État islamique ? L'idée de la négociation me paraît incongrue et incohérente. À la limite, cela peut être envisageable si ces groupes sont affaiblis uniquement.

Les partisans de l'islam politique sont-ils en voie de gagner au Sahel même si c'est sur le long terme ?

L'islam politique est une réalité et gagne du terrain. La problématique est que ces groupes sont nombreux et surtout très organisés avec des ramifications partout sur le continent. Les États essayent de lutter, mais il y a des cellules dormantes dans plusieurs pays de la sous-région et le terrorisme s'amplifie.

 

Propos de Boubacar Bertrand BALDE
spécialiste en sciences politiques
recueillis à Dakar par Clémence CLUZEL, avec
Malick DIAWARA

Source : https://www.lepoint.fr/afrique
2/06/2021

   Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr
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Source : asafrance.fr