ORION 4 : La force adverse regagne le droit de cité, mais pas de gagner la guerre

Posté le vendredi 05 mai 2023
ORION 4 : La force adverse regagne le droit de cité, mais pas de gagner la guerre

La force adverse a regagné le droit de cité, mais pas de gagner la guerre

 

"Hé les gars, c’est pas la 3e guerre mondiale ! On se détend". Facile à dire, sergent… Mais avec une compagnie d’infanterie ennemie héliportée à l’ouest du bourg de Jeoffrécourt et une meute de chars Leclerc et de VBCI (véhicules blindés de combat de l’infanterie) à l’est, la situation des défenseurs devient critique. À défaut de détente, il est urgent de compter les survivants et les munitions, d’établir la liaison avec les autres groupes de défenseurs et d’attendre les ordres.

Le sergent et son groupe de combattants essoufflés après deux heures de combats urbains appartiennent au 94e régiment d’infanterie. Cette unité fournit au Centre d'entraînement aux actions en zone urbaine (le CENZUB installé depuis 2006 sur le camp de Sissonne) sa FORAD, la force adverse reconnaissable à ses treillis noirs.

En ce dimanche matin, les soldats du 94e RI jouent le rôle de miliciens qui déstabilisent un pays fictif baptisé Arnland et qui sont alliés à l’État Mercure, selon le scénario de la phase 4 de l’exercice Orion 2023. "On est les « rouges ». On mène un combat retardateur pour permettre à la 42e division d’infanterie de l’État Mercure de se replier face aux blindés des « bleus »", résume le lieutenant Ambroise, l’un des chefs des miliciens sacrifiés.

Dans Jeoffrécourt, les combats ont vite repris. Bousculée dans la zone industrielle par les Leclerc et les fantassins débarqués des VBCI, la FORAD s’est repliée dans la vieille ville où deux de ses chars sont en embuscade. Aux treillis noirs des soldats du 94e RI s’ajoutent désormais les tenues camouflées beige marron et vert des légionnaires du 2e régiment étranger de parachutistes associés à la FORAD pour Orion 2023. Eux aussi ont dû se replier devant les réservistes du 24e régiment d’infanterie héliporté un peu plus tôt.

Cette centaine de « rouges » ne constitue qu’une partie de la FORAD mise en place pour la phase 4 d’Orion qui s’est jouée dans l’Est de la France sur quinze jours en avril et en mai. "La FORAD, c’est 1100 hommes et 500 véhicules", précise le général Thierry Prunière qui la commande. "Mais la force adverse, c’est aussi cinq brigades de combat, soit 45 000 combattants, qui elles sont simulés. C’est donc une force crédible et sérieuse".

La FORAD n’est pas une nouveauté puisque plusieurs petites unités issues du 94e RI, du 1er bataillon de chasseurs à pied et du 5e régiment de dragons jouent régulièrement le rôle de l’ennemi face aux troupes françaises et étrangères qui s’entraînent dans les camps de Sissone et de Mailly. Mais le volume de « rouges » (réel et fictif) engagé sur la phase 4 d’Orion 2023 est inédit. "Cette FORAD a été créée il y a deux ans", explique le général Prunière. "Lors des grandes manœuvres précédentes, il y a plus de 30 ans, on incluait dans le scénario une succession d’événements et d’incidents pour susciter la réaction du commandement et des troupes. Désormais, il s’agit d’imposer une volonté cohérente à la manœuvre ennemie".

Pour le colonel Jean, le chef du centre opérationnel chargé de coordonner l’intégralité de l’exercice Orion, "l’ambition, c’est d’avoir une FORAD qui joue sa guerre face aux « bleus ». Il ne faut pas qu’elle soit timorée".

Timorés, le général Prunière et ses hommes ne le sont pas : une de leurs brigades a même enfoncé le dispositif adverse. "Les « bleus » ne connaissent pas ma manœuvre. Et je joue ma guerre avec des moyens conventionnels : artillerie, cavalerie, infanterie… Mais j’ai aussi eu recours à des armes chimiques, à des mines antipersonnel, à des frappes sur des objectifs civils comme des ponts et des infrastructures, à la guerre informationnelle pour des opérations de déception. Je peux aussi compter sur les milices qui agissent en arrière du front et frappent la logistique et le ravitaillement des « bleus », leurs transmissions aussi, qui détruisent des ponts".

Certes, la FORAD, comme les « rouges » des années 1980, a vocation à perdre la guerre, reconnaissent tant le général Prunière que le lieutenant Ambroise. Mais tous deux précisent que la FORAD a pour mission d’entraîner l’armée de Terre en mettant ses unités en difficulté. "J’applique tout ce que j’ai appris en école. Même comment être méchant, sans être fourbe", précise le lieutenant qui ne cache pas sa satisfaction de s’être fait "quelques chars Leclerc" lors de la bataille de Jeoffrécourt.

À son tableau de chasse, la FORAD aligne aussi 7 hélicoptères et 150 soldats belges. "Le jeu a été réellement joué et on s’est réellement affronté", reconnaît le colonel belge Frédéric Thiry, commandant du bataillon des Chasseurs ardennais. "Nous, ça nous a coûté une compagnie, écrasée par un tir d’artillerie. 140 tués et blessés, même fictifs, ce n’est pas rien". Pour finir, 4 000 des 75 0000 soldats (réels et simulés) de la coalition ont été mis hors de combat. Un niveau de pertes finalement peu élevé dans un contexte de haute intensité.

Avec Orion 2023, les « rouges » ont-ils enfin pris leur revanche et retrouvé les forces et la capacité d’initiative qui en font un ennemi crédible ? "C’est une FORAD en réalité semi-autonome", reconnaît, anonymement, l’un des animateurs majeurs de la phase 4. Et le lieutenant Ambroise d’ajouter, un brin déçu : "On n’est pas là pour gagner". Et c'est un peu dommage...

 

Philippe CHAPLEAU
Lignes de défense
5 mai 2023

Source : www.asafrance.fr