POLITIQUE : L’Allemagne d’Angela MERKEL

Posté le samedi 25 septembre 2021
POLITIQUE : L’Allemagne d’Angela MERKEL

Les prochaines élections en Allemagne constituent un moment fort pour l’ensemble des pays de l’Europe puisqu’elles mettront un terme au règne glorieux de quinze années d’Angela Merkel (AM) sur la riche république fédérale d’Allemagne. Avant de connaitre son successeur qui risque d’être désigné après un certain délai, tous les observateurs ont multiplié les éloges à son égard. AM quitte le pouvoir au sommet de sa popularité.

Cette dernière a derrière elle une longue carrière politique qui a débuté lors du bouillonnement succédant à la chute du Mur de Berlin, coté Est. Fille d’un pasteur « rouge », elle a pu suivre des études universitaires en s’obligeant à une allégeance minimum au régime. Après son adhésion aux structures d’embrigadement de la jeunesse[i], pour obtenir son doctorat de physique chimie à l’académie de Berlin-Est elle a ainsi dû soutenir un mémoire de science marxiste-léniniste. D’une manière générale, il était impossible de pouvoir poursuivre des études en RDA jusqu’à ce niveau sans marquer un minimum d’allégeance au régime. La compromission, fût-elle mesurée, était incontournable. Pendant le bouillonnement, la période des « Runde Tische » (tables rondes), elle adhère à la CDU est-allemande et bénéficie de l’éviction du leader du moment - pour participation aux œuvres de la Stasi - pour devenir porte-parole du dernier gouvernement de RDA (de Lothar de Maizières). La réunification accomplie, elle se voit ainsi élue au Bundestag. Elle contribue par la suite à l’éviction de son protecteur Helmut Kohl, père d’une réunification pacifique menée de main de maître.

La longévité politique de la première femme parvenue en Allemagne à la fonction politique suprême est exceptionnelle. Sa personnalité contribue à sa popularité : une grande sobriété illustrée par une élégance vestimentaire mesurée, sa bonhommie et son style de vie qui se veut très proche du citoyen de base. Ceci n’est pas sans rappeler le style des citoyens de RDA dont le collectivisme conduisait à une existence simple, uniforme, excluant exubérance et confort ostensible. 

Sa carrière de chancelière s’est donc poursuivie sous le signe du compromis. Trois mandats sur quatre ont été menés en « Grosse Koalition » avec les partis d’opposition. La constitution allemande, imposée par les juristes anglo-saxons pour contrôler toute velléité de revanchisme, conduit à un édifice lourd et impotent. Contournant toutes les crises, œuvrant dans la prudence, l’Allemagne s’est ainsi enrichie, elle est du fait de son poids économique le leader de l’Europe. Mais d’une Europe immobile, parce que l’Allemagne, qui pèse sur cette Europe et qui songe au partage de notre siège au conseil de sécurité, est devenue « le pays du consensus et de l’immobilisme ».

C’est ce souci du compromis qui a conduit à la plus grosse erreur du règne d’Angela. Le 11 mars 2011 survient la catastrophe nucléaire de Fukushima, pendant le deuxième mandat où la CDU obtient la majorité à la chambre. Bien que soutenant antérieurement cette technologie, bien que placée exceptionnellement en position de force face à son opposition, sous l’émotion de son opinion publique elle décide brutalement l’abandon de l’énergie nucléaire. Les trente-cinq réacteurs allemands seront arrêtés en 2022. Cette décision constitue un accommodement face à la sensibilité écologiste s’imposant en Allemagne, bien que ce parti n’ait jamais atteint la majorité, pour le moins à la chambre. Il est inutile de s’attarder sur les conséquences catastrophiques de cette décision qui, amenant à la réouverture de ses centrales au charbon, fait de l’Allemagne le pays le plus grand pollueur de l’Europe. Cette décision conforte, conformément aux vœux du lobby écologiste européen, la condamnation de l’industrie nucléaire qui constitue, de l’avis général, y compris des experts du GIEC, la solution la plus fiable pour sortir de la crise climatique. Pour l’heure cette réalité est ainsi niée par les médias courtisans qui évitent d’aborder ou même de prononcer le terme de nucléaire lorsque l’on aborde les problèmes d’énergie[ii]. Le déni atteint les institutions de l’Europe : l’Allemagne s’oppose ainsi frontalement à la France dans la taxinomie européenne pour classer l’énergie nucléaire comme investissement écologique durable[iii]. Le nucléaire ne peut, selon l’Allemagne, être considéré comme une énergie durable. Ce refus amène donc à interdire à la France le développement de son énergie nucléaire et donc à limiter à terme son développement économique, ce qui ne peut que conforter la prééminence allemande en Europe.

Une même émotion conduira à l’accueil de plus d’un million de réfugiés en 2015 alors qu’AM avait décidé initialement de verrouiller ses frontières. Le triste spectacle offert par cette irruption, aussi le besoin de l’Allemagne de conforter son image, a modifié cette rigidité. D’aucuns constatent cependant que cet accueil n’était pas uniquement désintéressé. Il répondait également à un besoin de main d’œuvre dans un pays où la démographie est en déclin. L’accueil a été remarquablement organisé, les réfugiés ont été mis au travail, mais on constate qu’une partie des accueillis ont maintenant quitté l’Allemagne pour les pays voisins.  

Selon la sensibilité bourgeoise héritant du miracle économique de l’après-guerre, le primat de l’économie fonde maintenant la puissance. Forte de cette assertion, Germania porte maintenant un glaive volontairement émoussé.    

Sa politique étrangère est celle d’un parfait féal de l’Amérique, pivot de l’Otan en Europe s’efforçant d’en contrôler les industries d’armement quand celles-ci ne contrarient pas les intérêts américains. Refusant le F35 américain pour ne pas trahir son assujettissement, elle est en cours d’achat d’une flotte de bombardement nucléaire tactique de 45 appareils F18 et de15 appareils d’investigation électronique EA18-G. Seuls ces appareils pouvaient selon les exigences américaines répondre à la certification permettent le transport des bombes nucléaires de l’Otan, bombes lisses démodées, mais qui donnent à l’Allemagne le sentiment d’entrer par la petite porte au rang des pays détenteurs. Sous clé américaine, évidemment ! Le pays vient également de remplacer ses avions de patrouille maritime par un achat américain[iv], abandonnant ainsi le projet Franco-allemand correspondant. Elle abandonne également la poursuite du Programme de l’hélicoptère armé Tigre. Elle a imposé la bimotorisation du projet de drone européen Eurodrone, rendant cet équipement peu compétitif par rapport à son équivalent américain. Les programmes du char lourd MGS et de l’avion de combat SCAF sont actuellement marqués par beaucoup d’incertitude. Malgré quelques avancées sans grand lendemain (Eurocorps, brigade franco-allemande, échange d’officiers, escadron de transport aérien franco-allemand) [v], la coopération militaire franco-allemande reste, de fait, subordonnée au cadre et aux règles de l’Otan.

Les engagements extérieurs du pays sont marqués par beaucoup de retenue : l’Allemagne ne participe pas à l’opération Takuba au sahel où la France a sollicité la participation des forces spéciales des nations européennes. Elle s’est insérée dans la Minusma onusienne[vi] et, côté européen, dans l'EUCAP[vii] et l'EUTM[viii], dispositifs qui exposent peu les personnels au contact avec l’adversaire ! En Afghanistan le détachement allemand de l’ISAF était stationné dans la zone tadjik au Nord du pays réputée la plus tranquille. En résultat de quoi ce détachement a eu presque deux fois moins de pertes que le détachement français en restant pourtant pendant tout le mandat otanien.

Ce qui peut interroger et interroge peu les observateurs, est que le budget militaire de la République fédérale est en valeur absolue supérieur au budget militaire français. La France est dans le monde en huitième position, juste derrière l'Allemagne, avec un budget de défense d'un peu plus de 46 milliards d'euros en 2020[ix]. Cependant, La France met en œuvre une force de dissuasion nucléaire, elle dispose d’une marine de haute mer - comportant des sous-marins nucléaires d’attaque (SNA) – d’une force d’intervention et de forces de présence dans le monde. En comparaison, l’Allemagne semble donc peu efficiente dans son investissement défense. Cette question reste sans réponse et est masquée par l’inertie du pays à atteindre le pourcentage de 2% de dépenses par rapport au PIB exigé par l’Otan, et qui semble justifier l’achat d’équipements militaires auprès des Etats-Unis par les protégés n’honorant pas ce chiffre.

Cette attitude timorée trouve son explication dans l’histoire. Les Allemands ont déclenché deux cataclysmes au XXe siècle, au lendemain de l’unité de 1870 qui leur attribuait un territoire et une puissance économique impressionnante sur le continent européen. Le XXe siècle aurait pu être allemand comme le XIXe fut britannique. Mais ce destin s’est échappé. Les Allemands ont aussi commis l'irréparable. Ils portent profondément le poids de cet échec et de cette culpabilité, cette "Schuld"[x] qui pèse sur leur comportement et amène à la retenue, sinon à l’immobilisme. En espérant un éventuel retour sinon une reconnaissance et l’oubli.

 

L’Allemagne d’Angela Merkel est celle du parachèvement de la réunification, du retour à Berlin, capitale maudite de la Prusse protestante et autoritaire, alors que la nouvelle Allemagne s’est reconstruite plus à l’Ouest, sur le Rhin catholique, à Francfort, siège de la vieille confédération et maintenant de la banque européenne. C’est cette nouvelle Allemagne qui a véritablement racheté l’ancienne RDA. Le coût faramineux de la réunification du 3 octobre 1990 est évalué entre 1 500 et 2 000 milliards d’euros, soit une dépense de 4 à 5% du PIB par an, payée par un impôt dédié. Après trente ans le pays est au cœur de l’Europe. Un double choix est maintenant ouvert : soit s’ancrer sur le Rhin à l’Ouest, soit s’ouvrir vers son ancien hinterland de l’Est-européen et de la Russie, voie initiée par l’assujettissement consenti au gaz naturel provenant de Russie avec le projet Gasprom.

 

 Au total, AM laisse un héritage difficile. Bien que populaire, tous s’accordent à constater son bilan plutôt maigre, particulièrement dans les avancées de l’Europe. L’abandon du nucléaire conduit à une impasse qu’il faudra surmonter. Son parti va perdre les élections. Va sans doute lui succéder une autre grande coalition, un autre consensus, un autre immobilisme. 

Qu’il faudra pouvoir surmonter pour affronter, sans attente, un monde promis aux tempêtes. 


Gilles LEMAIRE
Colonel (er)
ASAF

 

 

[i] En adhérant particulièrement à l’Organisation des pionniers Ernst Thälmann et à la FDJ (Freie deutsche Jugend) qui encadraient la jeunesse du pays

[ii] C.f Les récentes émission sur Arte https://www.arte.tv/fr/videos/092970-001-A/petrole-une-histoire-de-pouvoir-1-2/ et France 5/C dans l’air https://www.france.tv/france-5/c-dans-l-air/2760183-emission-du-samedi-18-septembre-2021.html.

[iii] Ce classement a pour objectif de donner aux investisseurs la liste des activités pouvant être considérées comme bénéfiques pour le climat afin de favoriser l'orientation des capitaux privés vers des activités qui soutiennent les objectifs climatiques de l'UE.

[iv] https://www.latribune.fr/entreprises-finance/industrie/aeronautique-defense/excedee-par-l-allemagne-la-france-descend-du-programme-maws-avions-de-patrouille-maritime-888435.html.

[v] https://www.france-allemagne.fr/Cooperation-franco-allemande-en-1471.html#:~:text=La%20relation%20bilat%C3%A9rale%20entre%20la,la%20r%C3%A9novation%20de%20l'OTAN.

[vi] Mission multidimensionnelle intégrée des Nations unies pour la stabilisation au Mali — Wikipédia (wikipedia.org).

[vii] EUCAP Sahel Niger — Wikipédia (wikipedia.org)

[viii] https://fr.wikipedia.org/wiki/Mission_de_formation_de_l%27Union_europ%C3%A9enne_au_Mali.

[ix] https://fr.statista.com/infographie/24751/classement-des-pays-depenses-militaires-budget-defense/

 

[x] die Schuld = culpabilité qui veut également dire dette, les Allemands sont aussi marqués par le culte de Ploutos et une certaine pingrerie.


Diffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr
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Source : www.asafrance.fr