PROCHE ORIENT : L'annexion du plateau du Golan ?

Posté le samedi 30 mars 2019
PROCHE ORIENT : L'annexion du plateau du Golan ?

« Après 52 ans, il est temps que les États-Unis reconnaissent pleinement la souveraineté d'Israël sur le plateau du Golan, qui revêt une importance stratégique et sécuritaire cruciale pour l'État d'Israël et la stabilité régionale ! ».
Le tweet de Donald Trump date du 21 mars. Quatre jours plus tard, en présence du premier ministre israélien Benjamin Nétanyahou, il signait un décret reconnaissant la souveraineté d’Israël sur le territoire syrien du Golan, occupé depuis la guerre des Six jours (1967) et « annexé » par Israël en 1981 – une décision jugée « nulle et non avenue » par l’ONU (résolution 497). Bien sûr, la satisfaction de Benjamin Nétanyahou (« Merci, président Trump ! » a-t-il twitté en retour) tient au contexte électoral : menacé d’inculpation pour fraude, corruption et abus de confiance dans trois affaires, il a vu son avance se réduire avant le scrutin du 9 avril. Le coup de pouce américain est donc, pour lui, bienvenu.

Cela suffit-il à expliquer la démarche unilatérale américaine ?

Voyons. Le 15 novembre 2017, nous notions ici la déclaration conjointe de Donald Trump et Vladimir Poutine sur le Golan en marge du sommet de l’APEC qui se tenait à Danang (Vietnam) :
« Les deux présidents ont salué aujourd’hui le Mémorandum conclu à Aman, Jordanie, le 8 novembre 2017 entre le souverain hachémite du royaume de Jordanie, la Fédération de Russie et les Etats-Unis d’Amérique » (1). Il s’agissait de « réduire, puis d’éliminer les forces étrangères et les combattants étrangers de la région » - au grand dam d’Israël, qui n’avait pas été associé aux négociations. Le site israélien Debka s’en plaignait amèrement, en exposant la situation : « Une concession israélienne majeure a permis à Moscou de réaliser un gain important au nom de ses alliés, le 8 novembre, lors de la conclusion du mémorandum pour la Syrie. Les promesses fortes faites par le premier ministre Benjamin Nétanyahou, le Ministre de la Défense Avigdor Lieberman et le Chef d’Etat-Major Gady Eisenkott – disant que l’Iran et le Hezbollah ne pourraient pas établir de présence militaire permanente en Syrie et se rapprocher de la frontière israélienne - se sont évaporées au cours de sessions secrètes de marchandages. Israël a, en définitive, été contraint d’accepter leur présence à environ 20 km de sa frontière nord sur le Golan avec la Syrie, lors d’un brusque recul quant à ses exigences préalables d’une zone de sécurité de 50 km » (2). Le conflit syrien n’était à l’époque pas clos, l’Etat islamique pas encore dépouillé de ses derniers territoires.

Abdulrahman Al-Rashed, l’ancien directeur d’Al Arabiya, voyait dans ce mouvement le « dernier chapitre du conflit syrien tel que nous l’avons connu depuis six ans » - un chapitre qui serait suivi par d’autres, écrivait-il, parce que « des cartes satellites récemment publiées montrent que l’Iran construit une série de petites bases militaires qui vont des faubourg sud de Damas (qui n’est qu’à 30 km du pied du plateau) jusqu’au Golan, en dehors des installations construites par le Hezbollah libanais ailleurs en Syrie ». Et que ces bases pourraient servir de soutien à « une autoroute iranienne qui traverserait l’Irak vers le Liban » (3).

Visiblement, Israël n’a pas lâché prise. Et Donald Trump, coutumier de se défaire des accords et traités qui le gênent, a considéré son ennemi iranien plus important que l’accord passé avec Vladimir Poutine. Pour lequel aussi cependant, la situation a changé : certes, il a obtenu de préserver, avec la Syrie de Bachar el Assad, ses intérêts dans la région, mais il ne semble pas souhaiter s’engager plus avant dans une confrontation qui impliquerait l’Iran, Israël et/ou les Etats-Unis. Ses relations avec Israël sont bonnes et continues (« M. le président, j’ai compté et apparemment, nous nous sommes rencontrés onze fois depuis 2015 », lui disait Benjamin Nétanyahou en visite à Moscou le 27 février dernier (4)), juste après Bachar el Assad. Et ses divergences de vue avec l’Iran, qui a été invité par Bachar el Assad à intervenir en Syrie, sont anciennes et persistantes. Israël dit et répète que les Iraniens doivent quitter la Syrie. Mais, comme le relève le journaliste Elijah Magnier (5), le 27 février à Moscou, Benjamin Netanyahou « a clairement entendu son hôte lui dire qu’il n’avait pas l’influence nécessaire pour convaincre l’Iran de quitter la Syrie, de faire cesser le flot d’armements vers Damas (et vers le Hezbollah libanais), que les Iraniens resteraient en Syrie et qu’il n’avait rien à dire sur les relations syro-iraniennes. Moscou a informé Tel Aviv ‘de la détermination de Damas à répondre à tout bombardement futur – sans que la Russie ne se sente concernée’ ».

Ajoutons que l’on sait que les Russes contrôlent le ciel syrien – mais qu’on ne sait pas s’ils interviendraient en cas d’attaques israéliennes sur des cibles iraniennes en Syrie. Mais que l’on sait aussi qu’Iraniens et Syriens peuvent répliquer – sur le Golan comme au cœur d’Israël dont les défenses ne sont pas imperméables.

A ce point, on peut se demander quelles sont les intentions respectives d’Israël et des Etats-Unis. Pour Israël, certes, le Golan, qui surplombe la Galilée, est stratégique – Damas, à une cinquantaine de kilomètres, est sous le feu des installations militaires israéliennes.
Le plateau est aussi un château d’eau qui alimente le Jourdain et le lac de Tibériade et fournit 35% de l’eau israélienne, au détriment de la Syrie. Si la population syrienne s’en est enfuie en 1967, 50 000 personnes, dont la moitié de Druzes, y vivent, dans des exploitations agricoles. Mais surtout, ses hauteurs permettent de contrôler la présence iranienne et celle du Hezbollah libanais près des frontières d’Israël.
Nétanyahou engagerait-il réellement, seul, une bataille contre la Syrie et l’Iran ? Si nous sommes bien informés, l’armée israélienne n’y serait nullement favorable et les gesticulations actuelles du Premier ministre tiendraient à sa réélection difficile. Et si tel était le cas, les Etats-Unis, dont le soutien est indispensable, s’y engageraient-ils ? Ce qui importe à Donald Trump et à ses faucons, c’est d’abattre l’Iran – une perspective qu’il n’avait pas abordée de manière aussi nette dans son discours de politique étrangère en 2016. Le candidat Trump s’était alors contenté de dénoncer l’accord « désastreux » signé avec Téhéran par son prédécesseur, accusé de n’avoir pas été « un ami d’Israël. Il a traité l’Iran avec une tendresse affectueuse et beaucoup de soin et en a fait une grande puissance au Moyen-Orient, tout cela au détriment d’Israël, de nos autres alliés dans la région et, surtout, des Etats-Unis ». Rien de plus. Quelles sont les arrière-pensées de l’un et de l’autre ?

Quant aux alliés de la région, leur enthousiasme n’est pas si vif. L’Arabie Séoudite proche du président américain a « exprimé son rejet ferme et condamné la déclaration de l’administration américaine reconnaissant la souveraineté d’Israël sur le plateau du Golan syrien occupé », selon l’agence de presse officielle SPA. Le Maroc ne dit pas autre chose. « Les alliés arabes de Washington ont été contraints (…) de se démarquer de la décision (américaine) et de se rapprocher, du moins dans le discours, du régime Assad. L’Egypte, la Jordanie et les monarchies du Golfe ont rappelé que le Golan était une terre arabe et syrienne occupée par Israël » écrivent Elie Saïkali et Anthony Samrani pour L’Orient-le-Jour libanais. Ajoutant : « Trump est un magicien de la diplomatie (…). Qui d’autre peut en effet réussir (…) à réunir contre sa décision le régime syrien et (son) opposition, l’Arabie Séoudite et l’Iran, la Turquie et l’Egypte ? » (6). Réunir encore l’ONU, bien sûr, mais aussi l’Europe et la Russie, comme les pays arabes et l’Iran. Sans oublier la Chine : « Le plateau du Golan est reconnu par la communauté internationale comme un territoire occupé, a déclaré mercredi Wu Haitao, représentant adjoint permanent de la Chine auprès des Nations Unies », publie l’agence chinoise Xinhua (7). « La Chine s’oppose à toute modification unilatérale de cet état de fait et ne ‘veut pas voir davantage d’escalade et de tension dans cette région’, a indiqué le diplomate chinois ». Une opinion générale.

Peut-être pourtant est-ce là le fond de la pensée américaine : maintenir un foyer de tension dans la région, source de nuisance pour les Russes, inacceptable pour les Syriens, prétexte possible à une agression contre l’Iran à l’occasion. Abdulrahman Al-Rashed avait raison : si la guerre en Syrie se termine, la crise ne l’est pas. Un nouveau chapitre s’ouvre, qui n’annonce pas la paix.

Hélène NOUAILLE

Cartes :

Le Golan, un territoire stratégique

https://i.f1g.fr/media/figaro/805x/2019/03/22/INF5f34d670-4c98-11e9-ac1e-69f025fe5bab-805x480.jpg

Représentation topographique des hauteurs du Golan

S’élevant de 500 à 1000 mètres d’altitude, le plateau du Golan s’étend entre 12 et 25 km en largeur et sur 67 km en longueur

http://www.cercledesvolontaires.fr/wp-content/uploads/2016/08/golan1.jpg

Notes :

(1) Voir Léosthène n° 1245/2017, le 15 novembre 2017, Trump Poutine : accord sur le Golan, sans Israël

L’évolution de la situation en Syrie a donné lieu à une déclaration conjointe de Donald Trump et Vladimir Poutine en marge de la réunion de l’APEC (Coopération économique pour l’Asie Pacifique) le 10 novembre dernier à Danang, au Vietnam. « Ils ont passé en revue les progrès du cessez-le-feu dans le sud-ouest de la Syrie » - entendez les hauteurs du Golan – « tel qu’il avait été finalisé lors de leur dernière rencontre à Hambourg, Allemagne, le 7 juillet 2017 ». L’affaire est d’importance, parce que le plateau du Golan surplombe Israël, qui l’a conquis lors de la guerre des Six jours en 1967 puis annexé en 1981. Israël est un très petit territoire (une fois et demie l’Ile de France). Ses forces de défense n’ont donc aucune profondeur pour reculer en cas d’attaque. Il leur faut en conséquence combattre hors de leurs frontières, ce que le pays a compris dès 1967 (Guerre des Six jours) en occupant le Sinaï égyptien au sud (restitué depuis), la rive ouest avec la bande de Gaza (évacuée en 2005 par Ariel Sharon) et en prenant le contrôle des hauteurs du Golan au nord. L’accord entre Trump et Poutine entérine un mémorandum conclu à Aman, Jordanie, le 8 novembre 2017 entre le souverain hachémite du royaume de Jordanie, la Fédération de Russie et les Etats-Unis d’Amérique. « Une zone profonde de 20 km dans la région de Quneitra sur le Golan (face à la frontière israélienne) syrien servira de « zone de désescalade (…). Cette zone sera surveillée par les troupes russes avec certaines forces syriennes encore disponibles à cet usage » écrit Debka. Une seconde zone fait face à la frontière jordanienne, dans la région de Deraa. On peut discuter de l’arrangement : l’étonnant est l’absence d’Israël dans ces négociations.

(2) ) Debkafile, le 13 novembre 2017, L’accord Trump Poutine laisse les mains libres à l’Iran

http://www.jforum.fr/frontieres-laccord-trump-poutine-laisse-les-mains-libres-a-liran.html

(3) Arabnews, le 12 novembre 2017, Abdulrahman Al-Rashed, An end to the Syrian war, but not to the crisis

http://www.arabnews.com/node/1192096

(4) Kremlin.ru, le 27 février 2019, Meeting with Prime Minister of Israel Benjamin Netanyahu

http://en.kremlin.ru/events/president/news/59902

(5) Elijah J. Magnier, le 28 février 2019, Can Netanyahu risk a « battle of missiles » with Syria ?

https://ejmagnier.com/2019/02/28/can-netanyahu-risk-a-battle-of-missiles-with-syria/

(6) L’Orient-le-Jour, le 23 mars 2019, Elie Saïkali et Anthony Samrani, Trump tire une balle dans le pied de la diplomatie US au Moyen-Orient

https://www.lorientlejour.com/article/1163053/trump-tire-une-balle-dans-le-pied-de-la-diplomatie-us-au-moyen-orient.html 

(7) Xinhua, le 28 mars 2019, Le plateau du Golan est un territoire occupé (représentant de la Chine à l’ONU)

http://french.xinhuanet.com/2019-03/28/c_137930193.htm

 Redifusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

Source : www.asafrance.fr