Recommandations pour l’innovation dans la Défense

Posté le samedi 20 juillet 2019
Recommandations pour l’innovation dans la Défense

Extrait du rapport du Sénat du 10 juillet 2019

 

    1. Intégrer la culture du risque
      Les acteurs de la défense doivent intégrer la culture du risque, seule à même de permettre l’innovation dans la défense et de capter très rapidement l’innovation duale ou civile. L’acculturation à l’innovation est une priorité.

    2. Passer à un management de l’innovation centré sur l’usager
      L’innovation technologique est fascinante, mais elle est longue et souvent assez éloignée des besoins de l’utilisateur, c’est-à-dire nos forces armées. Industriels et ingénieurs doivent conserver leur capacité d’imagination, d’invention, mais le management de l’innovation ne doit plus être centré sur la technologie comme c’est le cas actuellement mais bien sur les besoins opérationnels des forces.

    3. Augmenter la vitesse d’intégration de l’innovation
      À l’ère numérique, le temps qui sépare le passage de la découverte scientifique à la mise sur le marché doit être réduit pour répondre aux besoins des armées et pour éviter que l’innovation ne devienne obsolète avant même d’avoir été intégrée. Les exemples de ratages sont hélas nombreux dans ce domaine, et la potentielle supériorité stratégique qu’auraient apportée certaines avancées technologiques ne doit plus pouvoir échapper à nos armées.

    4. Marcher sur nos deux pieds
      Cela signifie qu’il ne faut pas sacrifier les efforts consentis en R&D et en innovation planifiée au développement nécessaire et urgent de l’innovation ouverte. L’intelligence artificielle est tirée par le secteur civil, mais ses usages dans le domaine militaire doivent donner lieu à un effort de recherche public programmé. Dans le même temps, l’innovation civile courte doit pouvoir être captée et intégrée rapidement et dans un processus adapté au monde militaire. La durée de vie d’une innovation civile ou duale est de 4 à 6 ans, son utilisation par le monde militaire sera parfois de 20 à 40 ans. Une adaptation est donc nécessaire.

    5. Rendre enfin l’achat public plus agile, plus souple et plus rapide
      L’une des difficultés essentielles de la captation de l’innovation tient aujourd’hui à la lenteur et à la complexité de l’achat public. La passation d’un marché public ou la révision d’un contrat de programme d’armement prend entre 18 mois et 2 ans, ce qui est profondément incompatible avec la durée de vie des innovations les plus volatiles. Relever de 25 à 100 000 euros le seuil des marchés de gré à gré pour les achats innovants était nécessaire et devrait donner un peu de souplesse à la procédure d’achat, mais ne paraît pas suffisant. La nouvelle instruction relative à la politique d'achat du ministère des armées est très en deçà des enjeux : elle recommande essentiellement d’utiliser toutes les souplesses du code des marchés publics. Des procédures d’achat souples, telles que le concours, le défi, sans spécifications longues et lourdes doivent être développées.
      La culture du risque doit être valorisée, notamment dans la notation des agents publics en charge de la rédaction et de la passation des marchés publics. Ceci implique aussi de prévoir des procédures souples et efficaces de révision et d’arrêt si nécessaire des contrats publics qui ne donnent pas satisfaction. Il faut pouvoir arrêter à moindre frais une innovation qui ne porte finalement pas ses fruits.

    6. Dynamiser le financement de l’innovation
      Il convient de soutenir la recherche privée et les PME- et les start-ups, notamment dans la « traversée de la vallée de la mort », c’est-à-dire ce stade fatidique à de trop nombreuses innovations qu’est le financement du prototype ou du démonstrateur. Un mécanisme de soutien au financement des démonstrateurs et prototypes des PME et start-ups innovantes doit être financé. De même, il manque au panorama des instruments de financement de l’innovation un mécanisme d’amorçage et de démarrage des start-ups innovantes. Ces nouveaux financements pourraient découler de la réorientation de certains mécanismes de financement de l’innovation dans la défense qui doublonnent d’autres mécanismes de soutien à l’innovation. Ainsi les résultats du dispositif  Rapid, qui gagnerait sans doute à être réorienté vers des prêts à taux zéro, ou du fonds Définvest’ tourné aujourd’hui vers le capital-risque au détriment du capital développement doivent faire l’objet d’un bilan constructif. De même, l’utilisation du fonds européen de défense (FED) doit être optimisée, et l’effet « transfrontière » incitant les grands groupes à chercher des sous-traitants d’une nationalité différente de la leur doit être géré. L’État doit aider les PME et ETI à se mettre en relation avec des grands groupes étrangers pour préserver le second rang de la base industrielle de défense française. Enfin, il faut constituer un cercle des investisseurs de la défense qui puisse soutenir un fonds privé d’investissement dans l’innovation duale. La labellisation des entreprises porteuses d’innovations de défense jugées prometteuses permettrait d’orienter les investissements de ce fonds, et d’éviter les pertes de souveraineté liées au passage sous capitaux étrangers de pépites technologiques françaises.

    7. Modifier les plans d’études amont (PEA) et la conception même des programmes d’armement pour favoriser, en cours d’exécution, la mise en œuvre de briques d’innovation courte, et par conséquent réformer la DGA en ce sens.
      Les start-ups, PME et ETI doivent avoir accès aux PEA. Une bonification des PEA qui comprennent une start-up, PME ou ETI ayant bénéficié d’un dispositif Rapid pourrait ainsi être étudiée.

    8. Proscrire, en cours d’exécution budgétaire, les gels et mise en réserve de crédits dédiés à l’innovation
      Le dégel très tardif au mois de décembre dont Bercy est familier peut permettre à la DGA des achats de dernières minutes. Le secteur de l’équipement pâtit de ces à-coups dans la consommation des crédits, mais le domaine de l’innovation y est complètement réfractaire. Les start-ups qui portent les innovations ne peuvent parfois tout simplement pas attendre un paiement, différer l’achat dans ce domaine c’est faire disparaître l’innovation. Il faut ainsi tirer les conséquences de la priorité donnée à l’innovation.

    9. Conforter le rôle de l’Agence de l’innovation de défense et sa place au sein de l’écosystème de défense de l’innovation
      Convaincu par la stratégie présentée par son directeur, vos rapporteurs soutiennent l’AID qui est le moteur du développement de la culture de l’innovation, du risque et de l’agilité au ministère des armées. Il est indispensable qu’elle soit autonome dans son action et son développement. Ces recommandations devront impérativement être prises en compte dans son plan stratégique, dans le document d’orientation de l’innovation défense (DOID), qui va structurer l’innovation planifiée et définir les grandes priorités de l’innovation ouverte, notamment en traitant de la préparation des grands programmes structurants de défense, et dans l’instruction ministérielle d’innovation de défense qui définira les processus et la gouvernance de l’innovation au sein du ministère avec un volet particulier portant sur l’innovation ouverte. Ces trois documents, à paraître prochainement feront l’objet d’un examen attentif de vos rapporteurs. L’articulation de l’AID avec la DGA doit permettre à l’AID, en pleine autonomie de mettre en œuvre l’acculturation à l’innovation du ministère, l’agilité des achats, et la réforme de gestion des crédits des PEA qui doivent être de sa responsabilité. Dans le cas contraire, l’AID gérant uniquement le dispositif Rapid ne serait qu’un miroir aux alouettes de l’innovation.

    10. Organiser la captation de l’innovation dans les territoires
      L’AID doit organiser la remontée des innovations issues des clusters de la DGA, des centres d’innovation des armées tels que l’école de l’Air, des instituts de recherche, des pôles de compétitivité, ou encore des réseaux des associations d’industriels. Un réel maillage territorial doit être mis en place animé par un réseau de réservistes-innovation chargés de capter l’innovation dans tous les secteurs économiques, auprès des pôles de compétitivité, des clubs et des agences de développement local. Ces réservistes pourraient également être un lien entre l’AID et la direction générale des entreprises, en s’adossant sur les agences décentralisées de la BPI. L’innovation dans la défense doit être au service de la réindustrialisation durable de nos territoires.

    11. Exploiter au mieux l’innovation participative issue des militaires, usagers et innovateurs
      En les acculturant, en leur ouvrant les centres d’excellence des armées, en libérant 20% du temps des officiers –notamment dans les corps d’ingénierie– pour leur permettre de proposer et développer des projets innovants, en lien avec les incubateurs et accélérateurs des corps ou partenaires.

    12. Soutenir une porosité accrue entre le monde de la défense&sécurité et la société civile
      L’innovation stratégique sera duale ou ne sera pas, il convient de donner au monde universitaire et civil toute sa place dans la recherche de supériorité de nos armées.

 

 

(Extrait du rapport d’information fait au nom de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées (1) par le groupe de travail sur l’innovation et la défense,
Par MM. Cédric PERRIN et Jean-Noël GUÉRINI, rapporteurs et sénateurs



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Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

Source : www.asafrance.fr