REFORME : Saint-Cyr veut renforcer « l’épaisseur humaine » des officiers

Posté le jeudi 10 septembre 2020
REFORME : Saint-Cyr veut renforcer « l’épaisseur humaine » des officiers

Une profonde réforme de la formation est lancée cette rentrée pour « forger des caractères ».

A Saint-Cyr, le creuset des officiers de l’armée de Terre française, une réforme profonde des formations démarre en cette rentrée 2020. L’état-major veut façonner autrement ses futurs cadres – 450 dans les promotions en cours. « Déficit d’épaisseur humaine », ont en effet tranché les généraux. La ministre des Armées, Florence Parly, devait prendre la mesure de ce projet, lundi 7 septembre, lors d’une visite du campus des écoles de Saint-Cyr Coëtquidan, à Guer (Morbihan).

« Le diagnostic est celui d’un retard dans le domaine de la maturité, tant dans l’exercice de l’autorité que dans la prise en compte des enjeux sociétaux », indique un document de présentation de la réforme. Celle-ci vaut pour les trois filières – directe (entrée à 20 ans, après une classe préparatoire), interne (entrée de sous-officiers à 25 ans), et post-universitaire (entrée à 26 ans pour devenir officier sous contrat). Les futurs capitaines qui encadreront des soldats dans les régiments d’ici à 2030 expérimenteront dès cette année de nouveaux parcours. Le renouvellement sera complet en 2021.

Le chantier « ne veut pas dire que les officiers d’aujourd’hui sont mauvais », prévient le général Patrick Collet, commandant des écoles de Saint-Cyr. « Nous sommes très satisfaits d’eux sur nos théâtres d’opérations, et comme ancien chef de la 11brigade parachutiste, j’affirme que la France a sans doute les officiers parmi les meilleurs du monde. » Mais il faut préparer les prochaines guerres, que l’on attend « plus dures ». La société change aussi. Les hiérarques militaires la jugent « immédiate »« individualiste »« cloisonnée ».

 

Plus de portable

Le nouveau mot d’ordre est partagé avec d’autres écoles d’officiers dans le monde, à commencer par la célèbre West Point américaine : il s’agit de « forger des caractères »« La société française s’est éloignée du tragique et de l’histoire. Elle ne prépare pas ces jeunes aux responsabilités exorbitantes qu’ils auront à 25 ans, l’âge des premiers engagements opérationnels, des premiers morts. Nous devons les faire mûrir le plus vite possible », estime le général. C’est un détail, mais quand les élèves arrivent, on leur prend désormais leur téléphone portable.

Le sujet n’est donc pas celui des compétences – les aspirants deviennent vite de très bons techniciens de la manœuvre militaire. Ils devront développer des qualités choisies : « combativité »« autorité »« intelligence »« humanité ». C’est autour d’elles qu’une revue des copieux programmes actuels est engagée. « Je n’ai pas besoin de rajouter des heures de tir, mais d’élever les esprits », explique le général Collet. Les professeurs civils, surnommés les « rats », enseigneront désormais dans certains cours en binôme avec les instructeurs militaires.

Pour la combativité, l’école n’hésite pas à promouvoir le « maintien d’un relatif inconfort quotidien » ou « une vision critique de la technologie » permettant à ces futurs hommes d’action de s’en affranchir. Il sera aussi fait appel aux « ressorts de la psychologie » favorables à la résilience.

L’autorité passera par le terrain : dès janvier 2021, pour trois mois, les jeunes « cyrards » devront, au simple grade de sergent, encadrer les jeunes recrues des centres de formation initiale des militaires du rang. « On va ainsi leur ouvrir les oreilles, leur rabattre leur caquet et les confronter à leurs limites, explique le directeur, car ils vont tomber sur des gens qui n’obéiront pas forcément et comprendront qu’ils ne sont pas déjà les grands chefs qu’ils pensaient être. » Autre révolution, des activités d’entraînement militaire communes aux trois filières d’officiers seront organisées sur le terrain. Pour ceux qui, rejoignant l’élite, se voient en demi-dieux une fois gagnées les plumes de leur képi bleu, les temps changent, assure-t-on à l’école.

L’intelligence reposera sur « une lecture critique des événements » et « une recherche du débat ». L’humanité, elle, appellera plus d’heures de cours de philosophie, d’éthique et d’histoire militaire. L’idée sera de donner aux futurs cadres de « la souplesse intellectuelle » et de la « culture », pour enchaîner des opérations militaires très différentes les unes des autres, et pour travailler en coalition avec des forces étrangères.

 

« Singularité militaire »

« L’école se met en ordre de marche pour relever le défi de la formation des élites en France, résume le général Collet, qui est fils de militaire et petit-fils de mineur. Il faut nous aussi nous repositionner pour que les élites militaires soient acceptées à la place qui leur revient, leur redonner leur légitimité. »

Saint-Cyr avait accompli assez douloureusement sa mue en grande école soumise à la commission des titres d’ingénieur et au système licence-master-doctorat. A présent, elle se trouve courtisée pour développer des doubles diplômes : après Sciences Po et l’Essec, suivront Centrale et Supélec en 2021, puis l’ESCP en 2022. Sans perdre cette position, l’école entend retrouver de la « singularité militaire »« Autrefois, on disait que nous étions des charlots parce que nous lancions des grenades. Aujourd’hui, nous sommes une grande école, mais pas suffisamment militaire », estime le directeur. Une nouvelle division de l’enseignement académique est donc créée, entre celle des sciences de l’ingénieur et celle des sciences humaines : « culture militaire et art de la guerre ». Ce seront, pour tous, 180 heures d’enseignement repensé.

Il restera une faiblesse : la mixité. La « promo Cyr » 2020-2023 compte 17 filles, parmi 180 élèves. La précédente, 2019-2022, a vu une de ses élèves devenir major, ce qui ne s’était jamais produit. La direction fait preuve d’optimisme en assurant que « les filles qui rentrent tiennent jusqu’au bout », mais le chemin reste ardu.

Nathalie GUIBERT
Le Monde

 

Pour télécharger le discours de Florence PARLY, ministre des Armées, cliquez sur le pdf ci-dessous
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Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

Source : www.asafrance.fr