RELATIONS INTENATIONALES : Les Etats-Unis testent les lignes rouges des Russes et des Chinois

Posté le jeudi 25 novembre 2021
RELATIONS INTENATIONALES : Les Etats-Unis testent les lignes rouges des Russes et des Chinois

Que penser de ce qui apparaît comme un paradoxe, après les rencontres, souhaitées par Joe Biden, entre les Etats-Unis et la Russie puis avec la Chine ? On voit les relations se tendre d’une part autour de l’Ukraine, d’autre part autour de Taïwan. Pourtant, le sommet russo-américain du 16 juin dernier à Genève a été suivi de travaux, à haut niveau, entre les deux administrations (1). Et l’objectif de la visioconférence entre Joe Biden et Xi Jinping le 16 novembre dernier a été très clairement affirmé – nous le relevions ici (2) : « Il s'agit de fixer les termes d'une compétition efficace où nous sommes en mesure de défendre nos valeurs et nos intérêts et ceux de nos alliés et partenaires », déclarait un haut fonctionnaire américain. « Nous pensons que lorsque de telles conditions - ou garde-fous - sont établies, nous pouvons soutenir une compétition vigoureuse" ». Avec une explication : « Une concurrence intense nécessite une diplomatie intense" », mais, « comme le président Biden l'a clairement indiqué, il se réjouit de la concurrence acharnée, mais ne veut pas de conflit ».

Pas de conflit ?

Or, concernant l’Ukraine, le porte-parole du Pentagone John Kirby ouvrait le bal le 1er novembre dernier en dénonçant des « manœuvres militaires russes inhabituelles » près des frontières ukrainiennes (3). Ce que minimisait l’Ukraine, dans un premier temps. En expliquant que la Russie « recourt périodiquement à des transferts et à la concentration d’unités militaires afin de maintenir les tensions dans la région et la pression politique sur les États voisins » (4). Pour se plaindre ensuite de ce que, une fois les exercices terminés, seul le personnel s’était retiré laissant « les équipements de combat, tels que les chars, les blindés et les missiles balistiques de courte portée ‘Iskander’ » près de la frontière ukrainienne (à 260 km, c’est–à-dire assez loin sur le territoire russe). Ce qui provoquait une nouvelle intervention de John Kirby et une déclaration du secrétaire d’Etat à la Défense, Antony Blinken, en conférence de presse avec son homologue ukrainien : « Nous n’avons pas de clarté sur les intentions de Moscou mais nous connaissons sa stratégie (…). Notre inquiétude est que la Russie fasse la grave erreur de tenter de reproduire ce qu’elle a fait en 2014, quand elle a amassé ses forces le long de la frontière et est entrée en territoire souverain ukrainien, tout en affirmant à tort avoir été provoquée ».

De retour de Paris et de Bruxelles, le ministre russe des Affaires étrangères, Sergueï Lavrov, soulignait le 13 novembre que Moscou ne demandait qu’à résoudre le problème du Donbass et du Donetz en Ukraine et améliorer ainsi ses relations avec l’Union européenne. Et, pour ce faire, il insistait sur la nécessité de mettre en œuvre les accords de Minsk en dépit des réticences de Kiev. Ajoutant : « Nous avons rappelé que nous avions salué à l'époque l'idée, avancée par le Président Français Emmanuel Macron, de former une architecture de sécurité européenne avec la Russie et pas contre la Russie » (5) – une remarque intéressante sur laquelle nous reviendrons plus tard dans Léosthène. Quant à Vladimir Poutine, interviewé le 13 novembre par Rossiya TV, il s’interrogeait en plus sur les manœuvres occidentales en mer Noire : « En effet, les États-Unis et leurs alliés de l'OTAN mènent actuellement un exercice non programmé, et je tiens à souligner qu'il s'agit d'un exercice non programmé, en mer Noire. Ils ont déployé un puissant groupe naval et ils utilisent également les forces aériennes dans le cadre de cet exercice, y compris l'aviation stratégique (…). Je dois dire que notre ministère de la défense a également suggéré d'organiser un exercice non programmé dans la région de la mer Noire, mais je ne pense pas que ce soit opportun et il n'est pas nécessaire d'aggraver encore la situation là-bas. C'est pourquoi le ministère russe de la défense a limité ses actions à l'escorte de leurs avions et navires » (6).

Du côté de Taïwan, où la situation s’est fortement détériorée depuis l’annonce du pacte AUKUS (Australia, United Kingdom, USA) et l’affaire du contrat des sous-marins subtilisés aux Français – un accord vient d’être signé sur la propulsion nucléaire navale avec les trois comparses (7) - Pékin n’affiche pas la même volonté de modération. On sait qu’en septembre et octobre, les Chinois ont multiplié les incursions dans l’espace de défense de l’île – leur volonté de tester la position américaine date de janvier dernier, nous l’avions relevée ici (8). On connaît aussi le désir de Xi Jinping de reprendre le contrôle de Taïwan - rêve auquel Mao Tsé-toung avait dû renoncer en 1950 alors qu’il préparait une invasion, en raison de la guerre de Corée. Comme on connaît les déclarations contradictoires de Joe Biden : le 21 octobre, le président américain déclarait en effet que Washington s’était engagé à intervenir contre la Chine si Pékin menaçait l’île. Mais dès le lendemain, la Maison Blanche faisait savoir qu’elle « n'annonçait pas un changement de politique » et étant « guidée par la loi sur les relations avec Taiwan ». Annonce confirmée par le secrétaire à la défense Lloyd Austin et le porte-parole du département d'État Ned Price qui mettaient Taïwan en garde contre une déclaration d’indépendance. Mais, le 27 octobre, la présidente taïwanaise, Tsai Ing-wen reconnaissait, après les révélations du Wall Street Journal, la présence, en tant que formateurs, de soldats américains dans l’île (9), une première. Ce qui faisait fortement réagir Pékin par la voix du Global Times, proche du pouvoir, qui écrivait qu’avec « la présence de soldats américains à Taïwan, une ligne rouge a été franchie ».

Antony Blinken en franchissait une autre en plaidant pour une « participation significative » de Taïwan dans les institutions onusiennes comme à l’international. « L'exclusion de Taïwan sape le travail important de l'ONU et de ses agences », affirmait-il, estimant « que sa contribution était nécessaire pour faire face ‘‘à un nombre sans précédent de défis mondiaux’’ ». S’attirant en retour un rappel immédiat de Pékin : « Taïwan n'a aucun droit de participation à l'ONU » (9). Ajoutons à cela les crispations de la Chine autour du détroit de Formose où naviguent régulièrement des navires de guerre occidentaux – dernier passage, et premier depuis le sommet Joe Biden-Xi Jinping le 23 novembre par le destroyer USS Milius, au nom d’une liberté de navigation que contestent les Chinois. « Les États-Unis et de nombreux autres pays comme le Royaume-Uni, le Canada, la France ou encore l'Australie estiment que cette zone appartient aux eaux internationales, et est donc ouverte à tous » (10). Sans surprise, Zhao Lijian, porte-parole chinois des Affaires étrangères, a fait savoir qu’il voyait dans la traversée du destroyer une « tentative délibérée de perturber et de saper la paix et la stabilité régionales ». Pendant que Xi Jinping rappelait à son homologue américain que pousser Taïwan à déclarer son indépendance serait « une tendance très dangereuse qui revient à jouer avec le feu ».

Que penser des Américains qui ont travaillé à un apaisement en sollicitant et obtenant des rencontres au plus haut niveau tout en continuant à attiser les braises ?

Peut-être est-ce Vladimir Poutine qui l’exprime le mieux. Il réunissait le 18 novembre dernier un Conseil élargi du ministère des Affaires étrangères, en présence de Sergueï Lavrov (11). Que ce soit à propos de l’Ukraine ou de la mer Noire, disait-il, « nous exprimons constamment nos préoccupations à leur sujet et nous parlons de lignes rouges, mais bien sûr, nous comprenons que nos partenaires sont particuliers dans le sens où ils ont une approche très - comment dire - superficielle de nos avertissements sur les lignes rouges ». Bien sûr, ajoutait-il à propos de l’expansion continue de l’OTAN vers l’est et des garanties qu’il est nécessaire à la Russie d’obtenir, on peut être sceptique « quant à savoir si nous pouvons compter et espérer des accords sérieux dans ce domaine, en gardant à l'esprit qu'après tout, nous avons affaire à des partenaires, pour ne pas dire plus, pas très fiables qui peuvent facilement revenir sur tout accord précédent ». Néanmoins, parce qu’avec l’UE par exemple « nous ne devons pas oublier que nous sommes des voisins et, comme l'histoire nous l'a appris, les lignes de démarcation sur le continent n'ont jamais rien donné de bon (…), aussi difficile que cela puisse être, nous devons y travailler, et je veux que vous gardiez cela à l'esprit ». En outre, concluait-il sur ce point, « le sommet avec le président Biden à Genève en juin dernier a ouvert quelques possibilités de dialogue et d'alignement progressif, en redressant nos relations, et il est important que les deux parties développent constamment les accords conclus ».

On ne sait pas si le président chinois est dans le même état d’esprit – bien qu’il ait à protéger ses relations commerciales complexes et essentielles avec les Etats-Unis. Mais il observe qu’à tester les lignes rouges de partenaires incontournables, Washington joue un jeu très dangereux. Jusqu’où Joe Biden veut et peut-il jouer sans risquer de conflit ?

 

Auteur : Hélène NOUAILLE
Source : Lettre de Léosthène
date : 23 novembre 2021

Infographie :

Nombre d’intrusions chinoises dans la zone de défense aérienne de Taïwan (juin à septembre 2021, source Le Figaro)
https://static.lefigaro.fr/eidos-infographies/WEB_inter_202142_Taiwan_chine/html/WEB_inter_202142_Taiwan_chine.html

Notes :

(1) TASS, le 13 octobre 2021, Some progress made in Russian-US dialogue — Russian diplomat
https://tass.com/politics/1349391 

(2) Voir Léosthène n° 1606/2021 du 17 novembre 2021, Chine-Etats-Unis, les rivaux se parlent, faute de mieux

(3) US Department of Defense, le 1er novembre 2021, Pentagon Press Secretary John Kirby Holds a Press Briefing
https://www.defense.gov/News/Transcripts/Transcript/Article/2829520/pentagon-press-secretary-john-kirby-holds-a-press-briefing/

(4) Opex360, le 11 novembre 2021, Laurent Lagneau, Les États-Unis mettent en garde la Russie contre la tentation de s'en prendre militairement à l'Ukraine
http://www.opex360.com/2021/11/11/les-etats-unis-mettent-en-garde-la-russie-contre-la-tentation-de-sen-prendre-militairement-a-lukraine/ 

(5) Ministère des Affaires étrangères russes, le 13 novembre 2021, Allocution et réponses à la presse de Sergueï Lavrov, Ministre des Affaires étrangères de la Fédération de Russie, suite à son déplacement en France, Paris, 12 novembre 2021
https://www.mid.ru/fr/foreign_policy/news/-/asset_publisher/cKNonkJE02Bw/content/id/4935329

(6) Kremlin.ru, le 13 novembre 2021, Vladimir Poutine, Interview with Rossiya TV channel
http://en.kremlin.ru/events/president/news/67100 

(7) Opex360, le 22 novembre 2021, Laurent Lagneau, Sous-marins : L'Australie, les États-Unis et le Royaume-Uni signent un accord sur la propulsion nucléaire navale
http://www.opex360.com/2021/11/22/sous-marins-laustralie-les-etats-unis-et-le-royaume-uni-signent-un-accord-sur-la-propulsion-nucleaire-navale/ 

(8) Voir Léosthène n° 1532/2021, le 30 janvier 2021, Taïwan, la Chine, Biden et les jeux de guerre chinois

Il n’aura pas fallu longtemps pour que Pékin teste l’engagement américain envers Taïwan. Les déploiements agressifs d’aéronefs se succèdent. Qui mettent les Etats-Unis en devoir de préciser leur position envers l’île rebelle. Le sinologue François Danjou y réfléchissait en décembre dernier, en considérant la « bascule » du pouvoir aux Etats-Unis. Les Taïwanais, qui appréciaient la fermeté de Donald Trump vis-à-vis de Pékin, « craignent aujourd’hui qu’une administration Biden pourrait à nouveau considérer Taïwan comme un irritant inutile dans la politique chinoise de Washington ». De plus, on sait combien les voisins de la Chine peuvent osciller, selon les saisons et les rapports de force qui prévalent, entre les Etats-Unis et la puissance chinoise, avec laquelle ils commercent. Xi Jinping espère-t-il que, temporairement déstabilisé par la bascule du pouvoir, les Etats-Unis reculent ?

(9) France 24, le 28 octobre 2021, Taïwan : la présidente confirme la présence de soldats américains comme formateurs
https://www.france24.com/fr/asie-pacifique/20211028-ta%C3%AFwan-la-pr%C3%A9sidente-confirme-la-pr%C3%A9sence-de-soldats-am%C3%A9ricains-comme-formateurs 

(10) Le Figaro/AFP, le 23 novembre 2021, Un navire de guerre américain traverse le détroit de Taïwan, une première depuis le sommet Biden-Xi Jinping
https://www.lefigaro.fr/flash-actu/un-navire-de-guerre-americain-traverse-le-detroit-de-taiwan-une-premiere-depuis-le-sommet-biden-xi-jinping-20211123

(11) Kremlin.ru, le 18 novembre 2021, Vladimir Poutine, Expanded meeting of the Foreign Ministry Board
http://en.kremlin.ru/events/president/news/67123 

 

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Source : www.asafrance.fr