RELATIONS INTERNATIONALES : Le risque des hésitations et de la désunion occidentale face à la Chine

Posté le dimanche 21 novembre 2021
RELATIONS INTERNATIONALES : Le risque des hésitations et de la désunion occidentale face à la Chine

La propagande de l’appareil politique chinois diffuse à jets continus deux idées identifiées par le récent rapport de l’RSEM sur les stratégies d’influence de Pékin :

1) « Le déclin de l’Occident », dont le thème est largement repris en Europe et aux États-Unis confits dans l’autocritique défaitiste ; et

2) La nature « pacifique » de la stratégie globale de la Chine, alors même que la marine de guerre et les chasseurs de combat exercent d’incessantes pressions militaires dans le détroit de Taïwan et en mer de Chine du sud où les bateaux de guerre de l’APL sont relayés par une flotte d’innombrables chalutiers factices.

Parallèlement a surgi en Europe et en France l’idée qu’il serait possible de réagir à ces intimidations qui ne faiblissent jamais, par des moyens plus subtils que ceux, sans ambiguïté, d’un « coup d’arrêt » frontal.

Proposée par Washington, la stratégie qui s’apparente à un « containment » est en train de coaguler contre Pékin les alliés asiatiques des États-Unis auxquels se sont récemment rajoutés, l’Inde, la Grande Bretagne et l’Australie.

Il est vrai que les nuances également rappelées par nombre de stratèges aux États-Unis constatent que le schéma frontal d’ostracisme étanche qui fut celui de la guerre froide ne peut plus avoir cours dans un monde ouvert et mondialisé. Les intérêts de chacun y sont en effet mêlés par de multiples coopérations technologiques et de vastes investissements tandis que le total du commerce annuel de la Chine avec l’UE et les États-Unis s’élève au bas mot à 1200 milliards de dollars.

En même temps, dans certains cercles inquiets d’un affrontement à venir, et d’autres dont les yeux sont braqués sur les intérêts sonnants et trébuchants du « grand marché chinois », dans les deux cas contre l’évidence des nouveaux « ambassadeurs loups-guerriers » de Pékin, se diffuse l’idée qu’une stratégie plus ferme à l’égard de Pékin serait dangereuse pour la paix du monde.

La vérité est que, promue par l’actuel n°1 chinois dont le fond de pensée se démarque clairement de valeurs essentielles, fond commun de tous les humains - exigences de dignité et de liberté, indépendance des juges, liberté de la presse et quête de justice contre l’arbitraire -, la nouvelle diplomatie chinoise offre un exemple caricatural de l’agressivité de Pékin.

Pour paraphraser Jacques Chirac ou Charles Pasqua qui parlaient de la vacuité des promesses électorales, « les déclarations officielles publiques du Parti communiste chinois glosant à longueur de discours à l’ONU, sur l’apport positif et pacifique de la Chine à l’humanité, n’engagent que ceux qui y croient. ». 

La remarque est spécialement vraie pour le budget militaire. Entre 2000 et 2020, il a été multiplié par cinq.  Encore s’agit-il des chiffres que le Parti laisse voir au SIPRI qui répertorie annuellement les dépenses des appareils de défense de la planète.

Pour ne parler que de la marine chinoise, aujourd’hui la première du monde en nombre de navires, elle a depuis seulement quatre ans, mis en service autant de bateaux de premier rang que l’ensemble de la marine française.

Son troisième porte-avions sera lancé d’ici quelques mois et elle est en train de construire à Dalian et à Shanghai quatre croiseurs géants de plus de 10 000 tonnes, plus gros que n’importe quelle unité de combat de la marine française hormis le PA Charles De Gaulle et au tonnage plus important que celui des plus puissants croiseurs américains de la classe Ticonderoga.

L’agressivité chinoise est une menace globale dont il est impossible que la France se tienne à l’écart en expliquant que ce n’est pas son affaire.  Concrètement, elle se déploie d’abord contre la démocratie de Taïwan, sans le moindre égard pour les souhaits politiques de la population de l’Île régulièrement exprimés dans les urnes ; ensuite en mer de Chine du sud vaste de 3,8 millions de km2 dont, par une succession ininterrompue de faits accomplis, Pékin prétend annexer 80% de la surface.   

Le siège au Conseil de sécurité a un prix. La menace chinoise dont un volet plus insidieux vient d'être documenté par un rapport de l'IRSEM, n'est pas aussi vaine que celle de Bagdad. Et, dans ce cas, il est impossible de rejouer l'évasive vertueuse de Jacques Chirac en 2003, ayant affirmé notre indépendance à l’égard des États-Unis et des bévues de Georges Bush.

Au moment de la crise de Berlin (1958 – 1963), qui elle aussi fut créée par la poussée de l’autocrate soviétique au mépris des accords, Charles De Gaulle qui n’était pas un interventionniste, avait clairement resserré les rangs avec tous nos alliés.  

Dans une conférence de presse, il avait asséné que la meilleure manière de protéger la paix était de résister sans esprit de recul aux autocrates. Au fond, très hostile à Washington depuis Roosevelt et Yalta, De Gaulle savait si nécessaire se placer du côté vertueux du manche.

Aujourd’hui, le centre stratégique de la planète s’étant déplacé dans le Pacifique Occidental, les défis de l’Asie sont ceux de la stabilité du monde, au même titre que le furent le couloir de Dantzig, la Rhénanie ou les Sudètes dans les années vingt et trente et lors des crises de Berlin, en 1948 et 1958.  

Le nationalisme impérial hystérisé de Xi Jinping continuera sans mesure aussi longtemps qu’il ne heurtera pas d'obstacle sérieux. Son comportement international rappelle en effet une réflexion récemment citée par le sinologue Emmanuel Veron, « Sondez avec une baïonnette : si vous rencontrez de l'acier, arrêtez. Si vous rencontrez de la bouillie, poussez ».

L’histoire montre qu’il serait prudent de considérer que le choix stratégique de n’opposer aucune résistance à l’actuel n°1 chinois fera assurément le lit de conflits à venir.

Attribuée Lénine auquel le n°1 chinois se réfère en même temps qu’à Marx (Lire à ce sujet « Rouge vif » Alice Ekman, août 2021, Flammarion), l’allusion à la « baïonnette » et à la « bouillie » évoque de manière préoccupante les hésitations et la désunion de l’Union Européenne face à l’agressivité chinoise.

François TORRES
Officier général (2s)

Diffusé sur le site de l'ASAF

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Source : www.asafrance.fr