RELATIONS INTERNATIONALES : Luttes d’influence en Afrique, la Chine en première ligne

Posté le vendredi 16 juillet 2021
RELATIONS INTERNATIONALES : Luttes d’influence en Afrique, la Chine en première ligne

Trois éléments tendent à attirer les puissances extérieures en Afrique, écrit George Friedman, fondateur de Stratfor, pour Geopolitical Futures : « Il y a bien sûr l'abondance des ressources naturelles du continent, du pétrole aux minéraux en passant par le bois et, plus récemment, les terres agricoles non exploitées. Il y a aussi les préoccupations liées aux menaces non étatiques qui émanent des nombreux espaces non gouvernés du continent, notamment le djihadisme. Enfin, il y a la concurrence entre les grandes puissances mondiales qui s'étend sur le continent » (1). A l’appui, une carte intéressante des forces présentes sur le continent africain (voir ci-dessous) – forces militaires, mais aussi influences militaires et groupes islamistes rivaux. A ce tableau, il faudrait ajouter la présence économique des acteurs étatiques européens Russie comprise, américains, asiatiques. Présence asiatique, donc chinoise, plus que jamais d’actualité.

Justement, où en est-on aujourd’hui dans le contexte de relations plus tendues entre grands joueurs ? Où en est la Chine en particulier ?

Non pas que cette lutte d’influence soit récente : elle était le sujet de l’une de nos toutes premières lettres, en avril 2004 (2). Nous y remarquions, à côté des Français et des Américains qui, alors intéressés par le pétrole africain, portaient déjà attention aux éventuels sanctuaires terroristes, qu’un troisième joueur s’intéressait à l’Afrique : Un forum s’est tenu en décembre 2003 à Addis-Abeba qui a réuni une quarantaine de ministres africains et chinois. Il s’est agi de mettre au point un plan d’action pour la coopération sino-africaine à l’horizon 2004-2006. À côté des enjeux commerciaux – une réunion commerciale organisée en marge du forum a réuni quelque 400 hommes d’affaires africains et chinois - c’est l’enjeu stratégique de la domination de l’océan indien qui est en cause. Les années suivantes ont vu la présence chinoise s’affirmer, présence militaire avec l’installation d’une base à Djibouti (3), présence économique soigneusement ordonnée.

« La Chine a adopté en janvier 2006 un document gouvernemental intitulé La politique de la Chine en Afrique » constatait la Nezavissimaïa Gazeta russe en décembre 2018 (4), en précisant qu’il « n'existe aucun texte similaire concernant d'autres régions du monde ». Le document « évoque les orientations et les mécanismes de mise en œuvre des objectifs de partenariat stratégique. Le volume des échanges entre la Chine et l'Afrique s'est chiffré à 10 milliards de dollars en 2000 pour atteindre 210 milliards en 2013 — et il ne cesse de croître. En 2009, la Chine est devenue le principal partenaire commercial de l'Afrique. Il existe en Afrique plus d'un millier d'entreprises appartenant à la Chine, alors que le nombre de Chinois sur le continent atteint 1,5 million de personnes ». Le papier est très complet, il vaut d’être parcouru. Il évoque notamment comment la « progression chinoise a été considérablement favorisée par le retrait de l'URSS de la région », avec, décrites dans le détail, les ventes d’armes en Afrique du sud-est (Tanzanie, Zambie, Zimbabwe) – et comment aussi la Chine a développé ses ventes aux « pays riches » en Afrique du nord (Algérie, Maroc), mais aussi au Tchad, au Niger, au Ghana, au Nigeria, au Cameroun, au Sénégal, à la Guinée équatoriale. Avec encore le Soudan, l’Angola, la Namibie. Sans oublier l’Afrique du sud.

Enfin, relève la Gazeta, « aujourd'hui, Pékin implique très activement l'Afrique dans son projet politique et économique principal ‘‘La Ceinture et la Route’’ (les routes de la Soie), ainsi que dans sa stratégie militaire ‘‘Collier de perles’’ qui prévoit la construction de bases militaires à l'étranger. Les ports de Nacala (Mozambique), de Victoria (Seychelles), d'Antsiranana (Madagascar), de Mombassa (Kenya) et de Dar es Salaam (Tanzanie) sont actuellement utilisés pour la maintenance des navires chinois et le repos de leurs équipages ». 

N’est pas évoquée cependant la politique chinoise en matière d’aides financières – garanties sur les grandes infrastructures des pays aidés. Assurées aussi, expliquait Bernard Lugan pour la revue Conflits (5), par « les allègements et suppressions de dettes » consentis par les pays riches. Sans compter « les sommes colossales » versées au titre de l’Aide pour le développement (ADP). « De 1960 à 2018, le continent a ainsi reçu en dons, au seul titre de l’APD, près de 2000 milliards de dollars (pour une dette d’environ 400 milliards de dollars dont entre 180 et 200 milliards de dollars de dette chinoise), soit en moyenne 35 milliards de dollars par an. En dollars constants, le continent a donc reçu plusieurs dizaines de fois plus que l’Europe du lendemain de la guerre avec le plan Marshall ». Mais, ajoutait le très bon africaniste, les généreux prêts chinois « font replonger les pays bénéficiaires dans la spirale de l’endettement dont ils commençaient tout juste à sortir après les considérables allègements consentis dans les années 2000 aux PPTE (Pays pauvres très endettés) par les Occidentaux. Comme ces prêts ne pourront jamais être remboursés, Pékin va mettre la main sur les grandes infrastructures données en garantie par ses débiteurs. Ainsi en Zambie où le gouvernement,  après avoir été contraint de céder à la Chine la ZNBC, la société radio-télévision, s’est vu contraint d’engager des discussions de cession concernant l’aéroport de Lusaka et la ZESCO, la société nationale d’électricité ».

Bien sûr, les pays africains, qui disposent de quelques atouts - en particulier de terres rares indispensables à l’Europe (8) ont bien compris les limites de la « générosité » du prédateur chinois et, nous le relevions ici, le temps s’est quelque peu gâté (6). Pékin n’en continue pas moins à vanter les avantages d’une « coopération gagnant-gagnant », il suffit de parcourir ce papier publié par Jeune Afrique – papier « sponsorisé » par la Chine (7).

« Depuis des décennies, la Chine accorde la plus grande attention à la coopération avec le continent africain, au travers d’échanges économiques et diplomatiques, de réalisations concrètes industrielles et agricoles, de projets pour un avenir durable et pacifique. Malgré les nouveaux défis liés au Covid-19, la Chine renforcera cet accord lors du prochain Forum sur la Coopération Sino-Africaine (FCSA) qui se tiendra cette année au Sénégal ». En effet, le 8ème Forum Chine-Afrique (FOCAC) se tiendra cette année pour la première fois hors de Chine, à Dakar, après la visite du président Xi Jinping à Dakar en juillet 2018. Pour pérenniser son « Plan Sénégal émergent », lancé en 2014 avec de bons résultats, nous le relevions ici (9) et développer les ressources d’hydrocarbures découverts en 2014 et 2015, Macky Sall, réélu en 2019, a besoin d’appuis, pandémie oblige. Le 15 mai dernier, c’est l’ambassadeur de Chine au Sénégal qui était reçu par le président sénégalais (10). « A l'issue de cet entretien, Xiao Han et le ministre sénégalais de la Santé et de l'Action sociale, Abdoulaye Diouf Sarr, ont signé un certificat de remise de vaccins offerts par la Chine. Ces derniers sont arrivés vendredi après-midi à Dakar, réceptionnés par les deux hommes ». Selon Question Chine, que l’affaire intéresse, « des informations circulent laissant entendre qu’à cette occasion Pékin pourrait débloquer 60 milliards de dollars pour le continent » (11). Que vante donc Xi Jinping de nouveau ? Il « propose aux pays en développement le modèle politique chinois d’un capitalisme social étatique et autoritaire », qui tire sa légitimité de ses succès.

Ceci, à destination de l’Afrique. Avec, bien sûr, c’est à la mode, la touche écologique, l’évocation « des actions de la Chine en Afrique : vaccins fournis à 40 pays et renforcement des capacités du continent à les produire ; accords signés avec 19 pays pour suspendre la charge de leurs dettes ; lancement du projet de « développement durable » d’une « grande muraille verte ».

Mais ce n’est pas tout. Lors de la visioconférence tenue le 5 juillet dernier entre Xi Jinping, Emmanuel Macron et Angela Merkel autour de la préparation des prochaines étapes envisagées pour le climat, le président chinois a ouvert une porte à l’Europe : il a proposé « à ses deux interlocuteurs européens une coopération à quatre en Afrique ». A eux plus qu’aux Britanniques, battus en froid à propos de Hong Kong. « A côté de l’objectif de contribuer au redressement des pays africains, l’intention est à l’évidence de construire un contrepoids destiné à contourner le cul-de-sac des tensions stratégiques avec Washington ». Et de montrer que la Chine, dont l’image s’est dégradée dans le monde, n’est pas isolée. « A la fin juin 2021 », note Question Chine, « dans la plupart des pays occidentaux les opinions négatives dominaient, avec 76% aux États-Unis et une moyenne de 65% dans les pays européens à l’exception de la Grèce où les opinions favorables sont encore à 52%. Dans les pays asiatiques, la Chine n’est pas mieux lotie avec 88% d’opinions négatives au Japon et 77% en Corée du sud. La moyenne des opinions négatives en Asie de l’Est est à 73%. A noter qu’à Singapour les opinions positives se sont maintenues à 64% » 

Maladresse, suivisme du parrain américain ou tout simplement surprise, les deux Européens n’ont pas donné suite. Ont-il seulement relevé l’intérêt de l’ouverture ? Rien ne le dit. « L’UE ne sera jamais une puissance géopolitique » regrettait Renaud Girard pour le Figaro (12). Il est temps, pourtant, de laisser à l’histoire ses aventures africaines nationales. Faute de quoi, elle laissera sa place à d’autres, dont la Chine.

 

 Hélène NOUAILLE
Source : Lettre de Leosthène
Date : 15 juillet 2021

 

 

Carte :

 

Les forces présentes sur le continent africain (Geopolitical Futures)
https://geopoliticalfutures.com/wp-content/uploads/2021/06/WG_Forces-in-Africa.jpg

 

 Notes :

(1) Geopolitical Futures, le 25 juin 2021, George Friedman, State and Nonstate Forces in Africa
https://geopoliticalfutures.com/state-and-nonstate-forces-in-africa/

(2) Voir Léosthène n° 22, le 24 avril 2004 : Luttes d’influence en Afrique
Analyse des positions respectives de la France, des États-Unis et de la Chine en Afrique et traduction d’un article de Khaled Hanafi Ali : « La nouvelle stratégie américaine en Afrique » pour le site Égyptien Al Siyassa.org. Mouvements américains vers le pétrole, lutte contre le terrorisme, difficultés attendues.

 (3) Voir Léosthène n° 1025, le 20 mai 2015, Un pied chinois à Djibouti, rien d’anodin
Le 6 mai dernier, Ismaïl Omar Guelleh, président de Djibouti, petit pays de 800 000 habitants et port majeur au débouché de la mer Rouge annonçait à l’AFP qu’il était favorable à la demande chinoise d’installer une base militaire à Djibouti : « Les plus grands bateaux de commerce de cette décennie seront chinois. La Chine a donc besoin de protéger ses intérêts et ils sont les bienvenus ». Rien de surprenant, la Chine finance déjà plusieurs projets majeurs à Djibouti (aéroport, rail) pour 9 milliards de dollars. Rien de neuf non plus, Remy Pérelman le rappelait dès 2008 pour Asie 21 : « L’établissement des relations diplomatiques entre la Chine et Djibouti date de janvier 1979 (…). Pour Pékin, les enjeux sont géostratégiques. Les perspectives en termes d’accès au continent africain consistent à être présent au débouché du détroit de Bab el-Mandeb, qui vient compléter son installation à Gwadar, au débouché de celui d’Ormuz, deux postes privilégiés d’observation des flux maritimes majeurs ». Un complément aussi au « collier de perles » chinois, de Hong Kong à l’Océan Indien. Rien d’anodin. 

(4) Nezavissimaïa gazeta décembre 2018, traduit par Sputnik France le 21 décembre 2021, Le continent noir sous l'emprise de la Chine
https://fr.sputniknews.com/presse/201812211039391595-chine-afrique-expansion-route-soie/ 

(5) Conflits, le 18 avril 2020, Bernard Lugan, Effacer la dette de l'Afrique : une bonne idée ?
https://www.revueconflits.com/annuler-dette-afrique-bernard-lugan-macron/ 

(6) Voir Léosthène n° 1468/2020, le 2 mai 2020, Chine Afrique, le temps se gâte ?

La Chine, qui détient, selon l’Agence française de développement (AFD) entre « 100 et 150 milliards » du stock de dette publique externe selon les pays en Afrique, a accepté le moratoire d’un an accordé sur le service de la dette par le G20 le 15 avril. Rien qui lui convienne, mais elle ne peut guère se dédire, ni par rapport à ses pairs - elle appartient au club des « pays riches » du G20 – ni, question d’image, par rapport à ses débiteurs que son comportement de prédateur commence à gêner. Les prêts chinois étaient de plus garantis par les Occidentaux. S’ils se retirent du jeu ?

(7) Jeune Afrique (sans date), Les relations Chine-Afrique en 2021 : des perspectives prometteuses - Contenu sponsorisé
https://www.jeuneafrique.com/brandcontent/1119233/les-relations-chine-afrique-en-2021-des-perspectives-prometteuses/

(8) Ecofin, le 18 juin 2021, Emiliano Tossou, L’Afrique, alliée inattendue de l’Europe face à la domination chinoise sur les terres rares
https://www.agenceecofin.com/dossier/1806-89300-l-afrique-alliee-inattendue-de-l-europe-face-a-la-domination-chinoise-sur-les-terres-rares  

(9) Voir Léosthène n° 1359/2019, du 27 février 2019, Présidentielle au Sénégal, l’enjeu de la stabilité

Les élections présidentielles au Sénégal, ce dimanche 24 février, font partie des six élections majeures en Afrique en 2019. On a voté samedi au Nigéria (190 millions d’habitants), on votera en Algérie où le président Bouteflika, 81 ans, a sollicité un cinquième mandat au milieu des contestations de la rue, en Afrique du Sud secouée après l’éviction de Jacob Zuma en 2018 (mai 2019), en Tunisie toujours en état d’urgence (décembre 2019), en Libye… si tout va bien. Toutes élections importantes pour la stabilité du continent, dans des contextes différents. Pourquoi cette attention générale portée sur le petit Sénégal (16 millions d’habitants) d’un bout à l’autre de la planète ? Regard sur l’élection présidentielle en cours dans un pays à l’histoire ancienne qui conserve aujourd’hui encore, par sa stabilité, son caractère exemplaire en Afrique.

(10) Xinhuanet, le 15 mai 2021, L'ambassadeur de Chine au Sénégal reçu par le président Macky Sall
http://french.xinhuanet.com/2021-05/15/c_139947606.htm  

(11) Question Chine, 10 juillet 2021, Editorial, Xi Jinping propose à Paris et Berlin un contournement de l’Amérique par l’Afrique
https://www.questionchine.net/xi-jinping-propose-a-paris-et-berlin-un-contournement-de-l-amerique-par-l-afrique

(12) Le Figaro, le 28 juin 2021, Renaud Girard, « L’UE ne sera jamais une puissance géopolitique ! »https://www.lefigaro.fr/vox/societe/renaud-girard-l-ue-ne-sera-jamais-une-puissance-geopolitique-20210628 

 

 Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr
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Source : www.asafrance.fr