RELATIONS INTERNATIONALES. Sommet UE-POUTINE : MERKEL et MACRON en échec

Posté le dimanche 27 juin 2021
RELATIONS INTERNATIONALES. Sommet UE-POUTINE : MERKEL et MACRON en échec

« Le pessimisme est d’humeur ; l’optimisme est de volonté »
Alain, in Propos sur le bonheur, Il faut jurer (septembre 1923).

 

Le 18 juin dernier, Angela Merkel et Emmanuel Macron dînaient ensemble à Berlin. Ils souhaitaient préparer le Conseil européen qui s’est ouvert ce jeudi 24 juin après-midi – sachant qu’il sera le dernier officiel pour la chancelière allemande, qui quittera ses fonctions à l’automne. Au programme du dîner, des discussions sur les relations bilatérales franco-allemandes, mais aussi, annonçait le Financial Times le même jour, sur la proposition à leurs partenaires « dune nouvelle stratégie européenne d'engagement plus étroit avec la Russie afin de tirer parti des discussions avec Moscou à la suite du sommet de Genève du président américain Joe Biden avec Vladimir Poutine » (1).

La forme de ce rapprochement pouvait être un sommet UE-Russie, le premier depuis 2014 et l’annexion de la Crimée – sommet qui n’aura pas lieu à court terme, tant les Européens sont divisés sur le sujet. Quel a été le cheminement de la chancelière ?

L’initiative de ce mouvement étonnant venait bien d’Angela Merkel, soutenue par le président français. Mais « les ambassadeurs représentant Berlin et Paris ont pris les autres capitales européennes à contre-pied lors d'une réunion à Bruxelles mercredi (23 juin) en faisant ces nouvelles propositions sur les relations avec le Kremlin, selon des personnes ayant connaissance des discussions » notait le quotidien économique et financier britannique. Pourtant, « Mme Merkel a consulté étroitement ses alliés européens ces derniers jours. M. Macron et le Premier ministre italien Mario Draghi se sont tous deux rendus à Berlin pour des entretiens. Le secrétaire d'État américain Antony Blinken s'est également rendu à Berlin pour des discussions avec le gouvernement cette semaine ». En parallèle, la chancelière s’était également rapprochée de Vladimir Poutine à l’occasion du 80e anniversaire de l’offensive allemande contre l’Union soviétique. Lancée le 22 juin 1941 (opération Barbarossa, 5 millions de morts en 200 jours), elle ouvrait une guerre qui aura fait 26 millions de morts en URSS au total. Le Kremlin, en rendant compte de l’appel téléphonique d’Angela Merkel (2), souligne que « Vladimir Poutine a mentionné que la Russie appréciait la participation d'Angela Merkel et du président fédéral allemand Frank-Walter Steinmeier aux événements commémoratifs organisés en Allemagne ».

De son côté, rien d’innocent, le président russe faisait paraître, le même jour, une tribune dans le quotidien allemand Die Zeit (3) : « Etre ouvert, malgré le passé ». Bien sûr, il y rappelle les faits, le début de ce que les Russes appellent « la Grande guerre patriotique » et les ravages qu’elle a causé à la population et au pays. « Nous sommes fiers du courage et de la fermeté des héros de l'Armée rouge et des travailleurs de chez nous, qui ont non seulement défendu l'indépendance et la dignité de leur patrie, mais aussi sauvé l'Europe et le monde entier de l'asservissement » dit-il encore, sans mentionner l’importance fondamentale des victoires russes de Stalingrad (17 juillet 1942 au 2 février 1943) puis de Koursk (5 juillet au 23 août 1943) pour les Allés et l’issue de la guerre. Mais en ajoutant – laissant dans l’ombre le caractère meurtrier de la bataille de Berlin en avril 1945, « que le soldat soviétique a posé le pied sur le sol allemand non pas pour se venger des Allemands, mais pour remplir sa noble et grande mission de libération. La mémoire des héros de la lutte contre le nazisme est sacrée pour nous. Nous nous souvenons avec gratitude des alliés de la coalition anti-Hitler, des combattants de la Résistance et des antifascistes allemands qui ont rapproché la victoire commune ». Puis il rappelle qu’il n’y a pas de paix possible en Europe sans apaisement des relations russo-allemandes.

Plus précisément encore, « que la réconciliation historique entre notre peuple et les Allemands de l’Est et de l'Ouest de l'Allemagne aujourd'hui unifiée a joué un rôle primordial dans la construction de cette Europe ».

Puis, notant « que ce sont les entrepreneurs allemands qui ont été les pionniers de la coopération avec notre pays dans les années d'après-guerre », il souligne combien les accords passés en 1970 avec la République fédérale (RFA) sur la fourniture de gaz à l’Europe ont permis « une interdépendance constructive et a permis de réaliser de nombreux grands projets, tels que Nord-Stream ». Il évoque ensuite un souhait maintes fois exprimé – nous l’avions relevé ici (4) – celui, avec la fin de la guerre froide, « du rêve de Charles de Gaulle, d’un continent uni (…) de l’Atlantique à l’Oural », et même, « sur le plan culturel et civilisationnel, de Lisbonne à Vladivostok ». Pour constater qu’une approche différente avait prévalu, dont il attribue la responsabilité à l’OTAN, « relique de la guerre froide ». Pour lui, « la cause profonde de la méfiance mutuelle croissante en Europe réside dans la progression de l'alliance militaire vers l'Est, qui a d'ailleurs commencé par la persuasion de facto des dirigeants soviétiques d'accepter qu'une Allemagne unie rejoigne l'OTAN. Les assurances verbales de l'époque du type "Ceci n'est pas dirigé contre vous" ou "Les frontières de l'Union ne s'approcheront pas de vous" ont été trop vite oubliées. Le précédent a été créé ». 

Il conclut en rappelant que « l'un des principaux responsables politiques du SPD (parti social-démocrate allemand), Egon Bahr, avait lancé un avertissement en proposant, au milieu des années 1980, une transformation radicale de l'ensemble de la structure de sécurité européenne après l'unification allemande. Avec la participation de l'URSS et des Etats-Unis ». Un projet qu’il avait lui-même repris en 2009, via Dimitri Medvedev, alors président (2008-2012). Il s’agissait bien de « reconsidérer les relations etl’architecture de sécurité européenne” qui ‘‘porte encore la marque d’une idéologie héritée du passé” », rapportions-nous alors (4). Mais – et ce sont les derniers mots de la tribune de Vladimir Poutine – « ni l'URSS, ni les États-Unis, ni l'Europe n'ont voulu l'écouter ». 


Aujourd’hui ? L’URSS disparue et les Etats-Unis cherchant un apaisement stratégique avec les Russes, c’est en Europe que se situe le problème.

« Les dirigeants européens ont évoqué l'avenir des relations avec la Russie lors de leur sommet de mai et ont chargé la Commission européenne de présenter des propositions sur la manière de procéder », rappelle le Financial Times. « Le projet de texte franco-allemand est toutefois beaucoup plus conciliant que l'analyse de la Commission de la semaine dernière, qui mettait en garde contre une "spirale négative" dans les relations UE-Russie et la nécessité de contrer ses "actions malveillantes" » (5). Et, si l’on en croit les confidences des fonctionnaires présents, la proposition franco-allemande en est si éloignée qu’elle a surpris, sinon irrité, certains pays membres. La radio télévision suisse (RTS) suit l’affaire avec intérêt pour avoir couvert le sommet Biden-Poutine à Genève. Invité (6), Sébastien Maillard, directeur de l’institut Jacques Delors à Paris, constatait que, si l’on comprenait que France et Allemagne souhaitaient « ouvrir un autre rapport de force » avec Moscou avec une initiative « audacieuse », les pays traditionnellement hostiles à Moscou (Pays baltes, Pologne, Pays-Bas, Roumanie, Suède) avaient été « pris de court ». Bien sûr, ajoutait-il, France et Allemagne « ont à cœur que le dialogue avec la Russie ne soit pas le seul monopole du président américain. Que Joe Biden ne soit pas le seul chef du monde libre et qu’il est important de faire valoir à la Russie que l’Union européenne a ses propres intérêts, ses propres valeurs aussi à faire valoir ». Position que défendait Angela Merkel au Bundestag : « Il ne suffit pas que le président américain parle au président russe. L'Union européenne doit également créer différents formats de discussion ». D’autre part, Paris et Berlin veulent aller au-delà des sanctions, seul domaine où les vingt-sept s’entendent à l’unanimité - sans rien obtenir jusqu’ici des Russes dans aucun domaine, « une politique qui montre ses limites ». Il s’agit simplement « d’ouvrir un autre canal, dans un autre format », avec Moscou. Pour l’heure, le Conseil des vingt-sept n’a pu trouver un accord.

« ‘‘Il n'a pas été possible de convenir aujourd'hui que nous devrions nous rencontrer immédiatement en sommet" avec la Russie, a reconnu la chancelière à l'issue d'une longue discussion avec ses homologues de l'UE ». Partie remise pour Sébastien Maillard qui rappelle que la chancelière sera encore active après les élections de l’automne prochain. Le Kremlin « a dit avoir appris "avec regret" le rejet par l'Union européenne d'une relance du dialogue avec la Russie par un sommet avec le président russe Vladimir Poutine » - lequel se dit rester « ouvert ». Alors partie remise ? Peut-être. Mais outre les dissensions nombreuses qui affectent son unité (politique migratoire en particulier pour ce Conseil), l’Union européenne est confrontée à une question majeure : quelle place veut-elle, peut-elle occuper dans ce monde qui n’est plus celui de 1945 ? Avec quelle capacité de décision quand la majorité de ses membres s’en tient à la tutelle américaine ?

Il est audacieux d’être optimiste.

 

Hélène NOUAILLE

 

Notes :

(1) The Financial Times, le 24 juin 2021, Sam Fleming, Valentina Pop, Mehreen Kahn, Michael Peel à Bruxelles, Henry Foy à Moscou et Victor Mallet à Paris, Berlin and Paris propose reset for EU relations with Moscow
https://www.ft.com/content/03528026-8fa1-4910-ab26-41cd26404439

(2) Kremlin.ru, le 22 juin 2021, Telephone conversation with Federal Chancellor of Germany Angela Merkel
http://en.kremlin.ru/events/president/news/65902

(3) Die Zeit, le 22 juin 2021, Vladimir Poutine, Überfall auf die Sowjetunion: Offen sein, trotz der Vergangenheit (Invasion de l'Union soviétique : être ouvert, malgré le passé)
https://www.zeit.de/politik/ausland/2021-06/ueberfall-auf-die-sowjetunion-1941-europa-russland-geschichte-wladimir-putin 

(4) Voir Léosthène n° 536/2009, le 5 décembre 2009, Medvedev : Traité sur la sécurité européenne, suite
Suite ? Mais oui. Les Russes sont tenaces. Aussi, à peine dissipés les échos de son discours à Belgrade, Dimitri Medvedev soumet-il le Traité annoncé sur la sécurité européenne à ses partenaires. “ Préparer et signer un Traité de Sécurité européenne pourrait être un point de départ pour créer une zone commune de sécurité euro-atlantique et apporterait des garanties égales et fiables à tous les Etats – Je veux encore le répéter : cela s’appliquerait quelles que soient par ailleurs les alliances militaires ou autres auxquelles chacun appartient ” disait-il le 20 octobre dernier devant l’Assemblée nationale serbe. Pourra-t-on écrire un jour que la proposition initiée par Vladimir Poutine et portée par Dimitri Medvedev a été un cinquième moment fort ? Pas demain, mais après-demain ?

(5) Voir Léosthène n° 1572/2021 du 19 juin 2021, Retour russo-américain, l’UE hors jeu

 (6) RTS, le 25 juin 2021, Bruxelles écarte la possibilité d'un sommet avec Vladimir Poutine (avec, comme invité, Sébastien Maillard)
https://www.rts.ch/info/monde/12302902-bruxelles-ecarte-la-possibilite-dun-sommet-avec-vladimir-poutine.html

 

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