RELATIONS INTERNATIONALES : Tensions navales en Méditerranée orientale

Posté le vendredi 28 août 2020
RELATIONS INTERNATIONALES : Tensions navales en Méditerranée orientale

Quatre marines européennes, dont celle de la France, manœuvrent actuellement face à des navires turcs qui multiplient les provocations.

Côté français, il faudra compter une frégate, un hélicoptère, trois avions Rafale ; pour l’Italie, une frégate ; pour Chypre, un patrouilleur ; pour la Grèce, une frégate et des moyens héliportés. L’exercice militaire conjoint des quatre armées a commencé jeudi et se déroulera ce vendredi en mer Méditerranée orientale, au sud de Chypre, là où la Turquie veut étendre son influence. Les quatre pays européens ont choisi d’opérer une démonstration de force. Ils se déploient non loin des navires turcs qui sillonnent la zone pour accompagner leurs bateaux d’exploration gazière, comme l’Oruç Reis, bâtiment sismique dont la mission, prévue jusqu’au 27 août, a été étendue, hier, jusqu’au 1er septembre. Récemment, il était entouré de neuf navires militaires, indique-t-on au ministère des ­Armées, comme une nouvelle preuve d’agressivité. La Grèce dénonce cette présence dans une zone maritime qu’elle revendique.

La politique turque du fait accompli et de prédation des ressources du sous-sol a provoqué la colère d’Athènes et l’inquiétude des Européens. Le risque d’escalade est proche entre les deux pays voisins et hostiles. En ayant choisi clairement son camp, la France met en garde la Turquie. « Notre message est simple : priorité au dialogue, à la coopération et à la diplomatie pour que la Méditerranée orientale soit un espace de stabilité et de respect du droit international », a commenté sobrement jeudi la ministre française des ­Armées, Florence Parly. « Elle ne doit pas être un terrain de jeu des ambitions de certains ; c’est un bien commun », a-t-elle insisté sur Twitter.

 

« Volonté de réaffirmer le droit international »  

L’exercice militaire conjoint, baptisé « Evnomia », était prévu « depuis le mois de mars », promet-on au ministère des Armées, tout en reconnaissant, pince-sans-rire, « un certain sens de l’à-propos ». Il intervient après des semaines de tensions croissantes qui ont aussi impliqué la France. En juin, la frégate Le Courbet avait été illuminée, c’est-à-dire visée par les radars de tir turcs. Le geste avait conduit Paris à protester, en vain, au sein de l’OTAN, contre le comportement du soi-disant allié. La France s’était ensuite retirée de la mission de surveillance maritime « Sea Guardian ».

La coopération militaire accrue entre Paris, Athènes et les autres puissances méditerranéennes se veut une réponse à ces provocations turques. Mais elle n’a pas dissuadé le président Recep Tayyip Erdogan. « Nous invitons nos homologues à se garder de toute erreur qui ouvrirait la voie à leur ruine », a-t-il menacé. Mi-août, deux navires turcs et grecs étaient entrés en collision. Et en réplique aux manœuvres navales des marines européennes, la Turquie a affirmé mercredi sur les réseaux sociaux avoir participé à un exercice conjoint avec un destroyer américain. La nouvelle a fait bondir au ministère des Armées où l’on met en garde contre la stratégie de communication turque - les navires turc et américain se sont seulement croisés en mer en effectuant la manœuvre de rigueur.

« Quand des excès sont commis, il faut montrer qu’il y a des limites », indique-t-on au ministère des Armées, en assurant vouloir réaffirmer notamment le principe de liberté de navigation en Méditerranée. « Il y a une volonté de ces pays de renforcer leur présence et de réaffirmer le droit international », dit-on. L’exercice « n’est pas escalatoire », ajoute-t-on, en usant d’un néologisme peu convaincant.

Il intervient au lendemain d’une tentative de médiation menée par l’Allemagne entre la Grèce et la Turquie. Berlin, comme d’autres États européens ou les États-Unis, ne partage pas la logique de démonstration de force de Paris. « La moindre étincelle peut conduire à une catastrophe », a déclaré mardi le ministre des Affaires étrangères allemand, Heiko Maas, en espérant ramener les protagonistes à la table du dialogue. Dans une position d’équilibre, il a mis en garde contre toutes les provocations de part et d’autre. Jeudi, à l’ouverture d’une réunion des Vingt-Sept de l’UE à Berlin, Heiko Maas a réaffirmé que les manœuvres en Méditerranée orientale « doivent cesser ». « Nous avons besoin d’une solution diplomatique à ce conflit, a-t-il ajouté, et personne ne veut le résoudre avec des bateaux de guerre. »

Athènes campe sur une ligne dure face à Ankara, qui a perdu toute crédibilité à ses yeux. « Nos forces armées restent sur le qui-vive », a lancé le premier ministre grec Kyriakos Mitsotakis devant son Parlement. « La Grèce est aussi forte sur le terrain qu’elle l’est dans le dialogue », a-t-il prévenu. Côté turc, le bon vouloir n’est que de façade. « La Turquie est prête à un dialogue sans conditions préalables en vue d’un partage équitable », a commenté le ministre turc des Affaires étrangères, Mevlut Cavusoglu, au cours d’une conférence de presse. « Mais ce n’est pas possible si la Grèce pose des conditions préalables », a-t-il ajouté avant de rappeler les revendications de son pays en Méditerranée. Et, jeudi, la Turquie a annoncé que sa marine mènerait des « exercices de tir », le 1er et le 2 septembre, au large d’Iskenderun, dans une zone située au nord-est de l’île de Chypre.

Mercredi à Berlin, les ministres de la Défense européens se sont retrouvés pour une réunion informelle. « Nous avons besoin de la médiation de l’Allemagne », expliquait-on au ministère des Armées en récusant toute divergence d’approche entre Paris et Berlin. « Nous avons besoin de reconstruire un agenda positif avec la Turquie », insistait-on. L’objectif semble toutefois lointain. « Les parties ne vont pas s’asseoir à la même table alors que des bâtiments de guerre se font face », a regretté jeudi le ministre allemand des Affaires étrangères.



Nicolas BAROTTE
Le Figaro
28 août 2020

 
Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

 

Source : www.asafrance.fr