SACRIFICE : « L’armée, un des derniers réceptacles de la flamme du sentiment national »

Posté le mardi 03 décembre 2019
SACRIFICE : « L’armée, un des derniers réceptacles de la flamme du sentiment national »

L’auteur de L’Archipel français (Seuil) analyse le rapport de confiance et de considération qu’entretiennent les Français avec leur armée. Le sacrifice des militaires émeut d’autant plus qu’il paraît contraire aux valeurs dominantes de l’époque.


LE FIGARO. - L’émotion nationale après la mort de militaires français au Mali est-elle révélatrice du rapport qu’entretiennent nos compatriotes avec la mort ?

Jérôme FOURQUET. - Le rapport à la mort a été considérablement euphémisé dans nos sociétés. Cela s’observe notamment dans la régression des rituels funéraires comme la veillée mortuaire. Nos concitoyens sont beaucoup moins familiers de la mort que ne l’étaient les générations précédentes. La mort de soldats s’est raréfiée dans un pays en paix depuis une cinquantaine d’années. Deux générations de Français (tous les moins de 60 ans) n’ont pas connu de situation de guerre hors les opérations extérieures. La guerre d’Algérie, dernière mobilisation du contingent, qui a fait 25 000 morts militaires, fut la dernière expérience collective de pertes militaires massives. Cette mise à distance de la mort fait de l’hécatombe du 26 novembre au Mali un choc tragique.


Les Français acceptent-ils le sacrifice suprême de leurs soldats ?

Dans une culture hédoniste et individualiste, le dévouement pour le bien commun est moins évident. Pour une société qui cultive le « quand je veux, où je veux », le sacrifice ultime pour le collectif a quelque chose de vertigineux, voire d’incompréhensible. Ce vertige a été particulièrement saisissant au moment de l’hommage à Arnaud Beltrame. Le don de soi de ces militaires est l’une des dernières dimensions du sacré dans une société sans transcendance. D’où la célébration unanime d’un héroïsme antagoniste avec les valeurs dominantes de l’époque. Ce dévouement suprême est aussi célébré lorsqu’il s’agit des pompiers donnant leurs vies.


Quel rapport entretiennent les Français avec leur armée ? Ont-ils confiance en elle ?

Dans une société de défiance, l’armée reste l’une des institutions les plus appréciées : 83 % des citoyens lui font confiance (juste devant figurent les hôpitaux, qui obtiennent l’estime de 85 % des Français). Ce niveau très élevé depuis une vingtaine d’années s’explique par plusieurs facteurs. Le déclin d’un courant antimilitariste, devenu résiduel dans l’opinion, même parmi les électeurs de gauche. La fin du service militaire, qui charriait des critiques de conscrits sur l’inutilité de l’institution. Enfin, le contexte terroriste sur notre propre sol, qui donne aux Français le sentiment que l’armée est engagée à bon escient.


Les Français soutiennent-ils l’intervention de l’armée au Mali ?

Selon un sondage Ifop pour La Lettre de l’Expansion réalisé après la mort des 13 militaires, 58 % des Français approuvent l’engagement de la France au Mali. En Afghanistan, entre 2001 et 2009, le taux de soutien était passé de 55 % à 36 %. Le soutien aux bombardements en Libye décidés par Nicolas Sarkozy en 2011 était lui passé de 66 % de soutien à 49 % en moins de six mois. Concernant le Mali, le niveau reste quasiment stable depuis le début de l’opération il y a six ans, où il était de 63 %. Il n’y a pour le moment pas d’effet d’usure. Malgré la perte d’une quarantaine d’hommes, et une situation sur le terrain loin d’être pacifiée, l’adhésion au combat contre le terrorisme se maintient. Les Français ont conscience que c’est pour eux que se battent nos soldats contre les djihadistes au Sahel. Ils savent qu’il ne s’agit pas d’un simple maintien de la paix postcolonial, mais que le sort de la nation tout entière se joue là-bas.


C’est la troisième fois qu’Emmanuel Macron préside une cérémonie d’hommage national dans la cour des Invalides pour des militaires tués. Quelle fonction ont ces commémorations dans l’imaginaire collectif ?

Rappelons tout d’abord que l’institution militaire cultive un lien particulier avec l’Histoire. Le métier des armes permet d’assurer la continuité historique de la nation. L’armée entretient dans ce contexte la transmission d’une « histoire-bataille », où le sort du pays est lié à l’issue des guerres. Il y a par ailleurs une spécificité militaire française : on commémore souvent les défaites (pensons à Camerone pour la Légion ou à Bazeilles pour les troupes de Marine). Il y a une sorte de gloire dans le sacrifice typiquement française, ce que Pierre Nora appelait dans Les Lieux de mémoire le « goût pour le courage malheureux ». Mais on peut aussi voir dans cette forme de commémoration systématique le symptôme d’une américanisation de la société française. Le fait d’appeler les citoyens à se rendre sur le parcours du cortège de la cérémonie d’hommage, comme l’a fait Florence Parly, n’est pas sans rappeler ce qui se fait aux États-Unis : pensons à la scène du film American Sniper, où les vétérans de l’armée se placent tout le long du parcours du cercueil du héros rentrant du front dans son foyer.

Peut-on dire de l’armée qu’elle est l’un des derniers points de communion de l’archipel français ?

En effet. Et le politique se saisit de ces cérémonies d’hommage pour essayer de retremper le sentiment d’unité nationale. La vertu coagulatrice de l’armée tient au fait qu’elle est une des dernières institutions soudée et cohérente, un des derniers réceptacles de la flamme du sentiment national. Dans une société qui se fragmente, commémorer des hommes ayant accompli le sacrifice ultime permet de resserrer les rangs. Face au sentiment aigu de dislocation qui nous habite, chaque occasion qui est donnée de réunir les îlots de l’archipel trouve un écho puissant. On avait pu le constater également lors de l’émotion nationale autour de l’incendie de Notre-Dame.

Propos de Jérôme FOURQUET
recueillis par Eugénie Bastié

Le Figaro
3 décembre 2019

* Directeur du département « Opinion et stratégies d’entreprise » de l’institut de sondages Ifop

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

Avis de du président de l’ASAF :

L’assertion de J Fourquet relative à la célébration des défaites dans son avant-dernière réponse est erronée.

Il est faux d’écrire que la bataille de Camerone est une défaite puisque la mission confiée au détachement de 60 légionnaires commandé par le capitaine Danjou a été remplie.
En effet celle-ci consistait à protéger un important convoi français et lui permettre de rejoindre sa destination sans perte, malgré la présence de 2 000 mexicains sur l’itinéraire. Ce qui fut fait. Ces derniers ont été fixés par la petite troupe de légionnaires au cours d’une résistance héroïque qui dura toute la journée du 30 avril 1863. Ils s’étaient retranchés dans une hacienda située près du village de Camerone.

En fait en célébrant l’anniversaire les combats de Camerone et de Bazeilles, la Légion comme les Troupes de Marine célèbrent avant tout le sens de la mission accomplie jusqu’au sacrifice suprême, le courage des soldats, la fidélité au chef et la valeur combattante des soldats.

Par ailleurs et contrairement à ce qu’écrit Pierre Nora, le courage, avant d’être heureux ou malheureux, est ou n’est pas.
C’est vrai pour le passé comme pour le présent. Le courage se prouve au quotidien et concerne tous les actes de la vie.

Face à l’islamisme, les Français doivent retrouver la valeur première du courage et l’esprit de sacrifice. La connaissance de l’histoire militaire de notre pays à travers des actes héroïques du passé et du présent, doit y contribuer.



Henri Pinard Legry
Le président de l’ASAF

 

 

Source : www.asafrance.fr