SOCIÉTÉ : « Ne pas subir » ou « haro sur le baudet ».  

Posté le vendredi 20 novembre 2020
SOCIÉTÉ : « Ne pas subir » ou « haro sur le baudet ».   

« Ne pas subir » : la devise du maréchal Jean de Lattre de Tassigny résume son choix de vie, et sa loi de l’action. De 1914 à 1952, de la Première Guerre mondiale au conflit d’Indochine, il a lutté pour son pays sur tous les fronts, accepté des engagements décisifs, et des responsabilités toujours plus grandes. Certains diront que c’est de l’histoire ancienne de trois-quarts de siècle et que le monde d’aujourd’hui sans frontières et numérisé ne répond plus aux mêmes critères de valeurs.
Certes, l’individualisme pousse beaucoup à ne pas respecter l’opinion d’autrui, voire à s’agresser sous prétexte de propagande ou de complotisme.  Pour autant le principe de ne pas subir reste véridique. C’est avant tout refuser la peur. En effet, la raison de la soumission est la peur. Lorsque l’on examine la peur, elle est faite de deux choses contradictoires. Pour les individus la peur est celle d’une absence de conscience du néant à venir et pour les décideurs, celle d’une future présence face au jugement de l’histoire. En philosophie on parlerait sans doute du pari de Pascal qui consiste à évacuer l’idée même de risque. « Si on perd on ne perd rien et si on gagne on gagne tout » disait Jean Guitton (1901-1999) dans Le Silence sur l’essentiel. Il ajoutait que « dans une société libérale comme la nôtre, où la diversité des croyances et des valeurs règne en maître, la communication de crise est une action sur les consciences comme sur le psychique ». Néanmoins il faut agir, et, à cet égard, les armées ont su face au Covid-19, ne pas subir et tenir leur rôle à la mesure des moyens dont elles disposent.

Depuis le début de la crise sanitaire, tout en maintenant les missions de sécurité et de défense en cours en France comme à l’étranger, les armées, dans le cadre de l’opération « Résilience », ont eu un rôle direct de logistique et de santé dans la lutte contre la Covid-19. Agir sans subir, chacun se souviendra, notamment, de l’implantation au profit des civils d’un hôpital de campagne, du transfert de patients et du rapatriement ressortissants français grâce aux avions, hélicoptères ou navires et enfin du transport de fret médical. Toutefois, cet effort n’est pas soutenable dans la durée. Il est important de souligner que cette action a entrainé une consommation accélérée des dotations en équipements militaires qui nécessiteraient un financement compensatoire pour faire face aux missions à venir de défense.
Par ailleurs il ne faut pas sous-estimer l’action menée directement auprès des personnels militaires eux-mêmes contaminés par le virus. La gestion de l’épidémie à bord du porte-avions nucléaire Charles de Gaulle aura été maîtrisée avec efficacité par les marins et a permis de limiter au mieux la pénalité géostratégique pour la France.  D’après le Service de Santé des armées le taux de positivité au sein des forces est de l’ordre de 5.3% contre 7.16% dans la population civile (statistiques du 1er octobre 2020). Reste maintenant à s’interroger sur les conséquences de la crise et les mesures qu’il serait souhaitable d’adopter dans les armées qui ne disposent plus depuis longtemps de ressources humaines en nombre.
Outre la planification et l’anticipation, la priorité est à l’évidence de garantir la santé des trente mille soldats des forces opérationnelles engagées, dont cinq mille cents au Sahel, tout en disposant d’une possibilité stratégique de redéploiement de moyens appropriés. C’est presque la quadrature du cercle !

En outre, la question se pose de savoir si, désormais, le monde est entré dans une époque sans ressemblance avec les précédentes. La souffrance qui balaie l’humanité serait alors vouée à perdurer. C’est une théorie analogue qui avait inspiré Jean Guitton dans son livre La pensée de la guerre dans lequel il postulait que la guerre ne sera pas seulement celle des armes mais va devenir celle du psychisme. C’est-à-dire une question philosophique et métaphysique. Nous sommes loin nous dira-t-on des affres du confinement de la fermeture des commerces « non essentiels » et pourtant… Le propre du génie français face aux crises est de s’adapter aux situations improbables. Ne pas subir, c’est peut-être aujourd’hui fédérer les énergies pour la mobilisation des moyens techniques, la mise en réseau d’acteurs logistiques et d’importateurs, promouvoir la coopération des industries d’armement pour produire, entre autres, du matériel médical ou de cybersécurité.

 

Pour conclure sur la nature humaine confrontée à la crise, la littérature nous propose quelques réflexions libératrices. Ainsi dans « La peste », le livre allégorique publié en 1947, Albert Camus décrit notamment les réactions humaines face à l'assaut du mal, rappelant que les épidémies, comme les guerres, réveillent les instincts les plus primitifs de l'être humain. Certains s'acharnent à ne pas subir, à combattre l'épidémie et sauver les malades en héros anonymes, d'autres s'esquivent, par peur de devenir le bouc émissaire, subissent dans la médiocrité, voire tentent de tirer profit de la peur et du désordre provoqués par la pandémie. Voici donc un sujet éminemment politique. « Selon que vous serez puissant ou misérable, Les jugements de la Cour vous rendront blanc ou noir » écrit Jean de Lafontaine dans Les animaux malades de la peste. Et personne ne souhaite finir comme l’âne de la fable, le coupable naïf  condamné à mort,  « Haro sur le baudet » !

 

Dominique BAUDRY
Membre ASAF

 

Source et légende de la photo : Transport de blessés dans l'avion médicalisé MORPHEE (2) (© SIRPA Air)


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