SOCIETE. Statues déboulonnées : « On ne trie pas l’histoire d’un pays »  

Posté le mercredi 29 juillet 2020
SOCIETE. Statues déboulonnées : « On ne trie pas l’histoire d’un pays »   

Les images sont révulsantes. Ces destructions sont d’autant plus odieuses qu’elles témoignent avant tout de l’ignorance crasse des enragés qui militent dans ces groupuscules. Tout d’abord parce que Joséphine de Beauharnais, issue d’une famille de petits planteurs de la Martinique et devenue l’épouse du futur Empereur, ne fut pour rien dans le rétablissement de l’esclavage aux colonies par Bonaparte en 1802. Il n’était pas homme à recevoir des conseils de sa femme, et s’il rétablit l’esclavage ce fut pour des raisons plus impérieuses : d’abord parce que les Anglais, avec qui il venait de conclure la paix, craignaient que l’abolition française de l’esclavage n’ait des répercussions à la Jamaïque, ensuite parce que la Marine, jadis en charge des colonies, imaginait difficilement la possibilité d’un autre système, enfin parce que Toussaint Louverture lui-même, le leader noir de Saint-Domingue, avait assujetti la population noire de l’île, à peine émancipée, à un régime de travail forcé proche de l’encomienda espagnole. Colons ou leaders noirs, tout le monde se préoccupait avant tout de la reprise de la production sucrière.

Non seulement Joséphine n’est pour rien dans ces événements, mais la Martinique ne fut pas concernée, puisque, passée sous domination anglaise pendant la Révolution, la loi abolissant l’esclavage n’y avait pas été appliquée en 1794 et n’y était donc pas applicable en 1802. Au moment où l’esclavage était rétabli en Guadeloupe et à Saint-Domingue, le statu quo ante demeurait en vigueur dans la Martinique rendue à la France.

L’ignorance de ces crétins est d’autant plus affligeante que pas un ne sait en réalité qui étaient ses propres ancêtres : esclaves ? Affranchis ? Travailleurs ? Contremaîtres ? « Hommes de couleur libres » ? Les statuts étaient variés, la réalité complexe. Que condamnent-ils ? La traite ? La déportation des esclaves africains vers l’Amérique ? Prétendent-ils venger leurs « ancêtres » africains ? Mais ce sont des origines mythiques. L’Afrique n’est pas, n’est plus leur origine. Comme si un Français se réclamait de ses ancêtres celtes en refusant d’admettre qu’il a eu, aussi, des ancêtres ibères, ligures, germains, grecs, scythes, iranophones ou venus du lointain monde des steppes asiatiques !

Ces destructions (Joséphine, Colbert, Jules César ou Victor Schoelcher, même Schoelcher !) témoignent avant tout de la déliquescence de l’État. Sa faiblesse, sa lâcheté aussi, tout autant que les compromissions qui sont les siennes avec une idéologie antifrançaise, repentante, hostile à toute communauté civique et visant à la seule décomposition de la nation au bénéfice de minorités « souffrantes » autoproclamées, donnent une visibilité et une marge d’action à ces petits groupes d’extrémistes.

C’est un mauvais vent qui souffle d’Amérique : la déliquescence de la vie politique américaine depuis 2016 l’a fait lever ; la déliquescence de notre vie politique depuis 2017 lui a permis de traverser l’Atlantique.

Le passé d’un pays, de tout pays, est indivis. Lui appartenir, c’est en accepter l’histoire, toute l’histoire, le positif comme le négatif (notions dont le contenu change avec le temps). On ne trie pas l’histoire d’un pays. Nous en sommes tous le produit, elle nous a faits. On n’a ni à regretter ni à se repentir. Notre histoire est notre histoire, notre bien indivisible, et nul n’est responsable, au demeurant, des « fautes » de ses ancêtres : va-t-on demander à nos concitoyens de confession musulmane de mettre un genou à terre parce que les ancêtres de certains d’entre eux ont été les champions toutes catégories du commerce des esclaves ? Avouez que ce serait absurde.

 

Patrice GUENIFFEY
Le Figaro

Rediffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr

 

Source : www.asafrance.fr