SOUS-MARINS : Coup dans le dos et multiples incohérences

Posté le mardi 21 septembre 2021
SOUS-MARINS : Coup dans le dos et multiples incohérences



Coup dans le dos et multiples incohérences
A mon ami correspondant militaire américain

 

 

Dans l’affaire des sous-marins australiens, ce qu’il y a de vraiment désagréable c’est que Washington ait laissé Paris dans l’ombre ces derniers mois, tandis que Canberra a dissimulé son intention de rompre le contrat jusqu’à mercredi 15 septembre.

 

Sur le plan technique :

Au fil de l’évolution de la situation internationale et compte tenu de la durée des contrats et des accords en matière de défense, il est courant qu’ils soient actualisés, voire remplacés par d’autres.
Dans le cas présent, les sous-marins français sont à propulsion nucléaire, à uranium faiblement enrichi et c’est ce qui avait été proposé initialement aux Australiens. Ceux-ci ont voulu une propulsion électrique-diesel. C’est donc conformément à l’accord signé en 2016 que des ingénieurs australiens sont venus s’installer à Cherbourg, France, avec leur famille, pour y travailler avec les ingénieurs français sur les modifications à apporter au modèle français.
Face à l’expansionnisme chinois dans l’indopacifique et à l’accroissement des tensions entre la Chine et l’Australie lorsque celle-ci a demandé une enquête internationale sur les origines de la COVID-19 et d’autres sujets de discorde, il est peut-être tout à fait compréhensible que les Australiens aient souhaité revoir leur copie et étudier la fourniture de sous-marins à munitions conventionnelles mais à propulsion nucléaire, plus silencieux, plus autonomes, plus modernes, etc.
Si les Australiens aient aussi voulu profiter de la puissance américaine dans la région, qui a fait de la Chine son ennemi n° 1, c’est aussi un argument acceptable.

On rappellera que la France est la seule nation européenne à avoir des territoires et des départements dans le Pacifique, avec près de 2 millions d’habitants et 7 000 militaires sur place. 

Autre point important : les sous-marins américains proposés sont à propulsion nucléaire à uranium hautement enrichi (UHE), c’est-à-dire celui des armes nucléaires. Cela implique que les Australiens vont avoir accès à cette technologie contrairement à la volonté internationale de limiter le nombre de pays qui pourraient en disposer. C’était tout le sens de l’accord avec l’Iran que Trump a dénoncé.
Alors que les sous-marins australiens seront porteurs d’armements conventionnels (Torpilles, Tomahawk), puisqu’ils navigueront à l’uranium hautement enrichi, il deviendra difficile d’empêcher l’Iran et d’autres pays, de se doter de cette matière.
De nombreuses critiques internes se font jour et la Nouvelle Zélande et l’Indonésie critiquent aussi ce choix et la prolifération du nucléaire que cela implique.

Les Anglais ne disposent pas de la technologie nucléaire militaire par eux-mêmes. Ils l’ont eue par les Américains. On ne voit donc pas pourquoi ils interviennent dans l’accord dénommé AUKUS alors qu’ils n’ont pas de possessions dans le Pacifique, ni de troupes stationnées, si ce n’est pour les Américains de « noyer le poisson » en faisant intervenir une tierce partie.

Certes, les « Frenchies » commençaient à sérieusement irriter les Anglo-saxons alors que leurs contrats avec les Australiens se multiplient (Trains TGV, trains de banlieue, Hélicoptères Tigre, Avions ravitailleurs A330 MRTT) mais ce n’est pas une raison pour se comporter de la sorte.

Enfin, du fait de la faible richesse économique de la France, pour financer une armée qui agit à l’international et qui dispose notamment d’un armement nucléaire personnel, il lui faut exporter de l’armement pour participer au financement de son effort de défense.
Les USA ne peuvent pas reprocher à la France à la fois de ne pas assez dépenser pour sa défense et en même temps torpiller tous ses contrats de vente d’armes à l’étranger comme tout récemment pour les avions à la Suisse et maintenant pour les sous-marins avec l’Australie.

 

Sur le plan diplomatique :

Face aux Australiens, du côté français on ne comprend pas pourquoi encore récemment le 30 juin dernier lors de la rencontre du président Macron et du premier ministre australien accompagnés des ministres des affaires étrangères et de la défense, on pouvait dans le communiqué commun parler de l’ « excellente coopération ».
De même il y a quinze jours, en vidéo-conférence les deux ministres des affaires étrangères avaient échangé sur le sujet.
Ce projet industriel majeur était doublé de deux accords intergouvernementaux de coopération et de sécurité entre les deux pays. Les Australiens n’ont pas fait savoir la suite donnée à ces accords.

Ce que les Français reprochent aux Américains, c’est d’une part de ne pas avoir suffisamment fait pression sur les Australiens pour qu’ils avertissent Paris de leur changement d’orientation et d’autre part de ne pas avoir sollicité les trois pays concernés (USA, France et Australie) pour trouver une solution pour tenir compte de l’évolution de la situation et du besoin.

Pour ceux qui en doutaient encore, l’administration Biden ne diffère pas sur ce point de l’administration Trump : Les USA passent avant tout, qu’il s’agisse de leur intérêt stratégique, économique, financier ou sanitaire.
«  America first » reste la ligne directrice de la politique extérieure de la Maison Blanche.
La création de l’AUKUS n’est pas dirigée explicitement contre la France, mais qu’elle lui inflige au passage un cinglant revers diplomatique et économique n’a aucune importance pour Washington, qui n’a que l’objectif chinois en ligne de mire et se moque éperdument du sort de ses « petits » alliés.
Ceux qui voyaient dans les déclarations de Joe Biden et la francophilie de son secrétaire d’Etat Antony Blinken, la promesse d’une coopération plus équilibrée : ils en sont aujourd’hui ramenés à la réalité! 

Il est certain que cela aura un impact pour l’OTAN. A la lumière des actions américaines récentes, bon nombre de pays vont réviser leur position vis-à-vis des Américains et ne pas continuer notamment à acheter du matériel militaire aux USA chaque année. L’ensemble des budgets militaires européens dépassent les 250 milliards de dollars. Près de 75 % des équipements militaires européens sont d’origine américaine.

Alors qu’a été publiée cette semaine la communication conjointe sur la stratégie européenne pour la coopération dans la région Indopacifique, la France y a confirmé sa volonté d’une action très ambitieuse dans cette région visant à préserver la « liberté de la souveraineté » de chacun.
La France mène une action importante en Afrique où l’expansionnisme chinois se manifeste aussi concrètement comme à Djibouti et au Nigéria.
C’est d’autant plus surprenant que pour la première fois depuis longtemps, les Américains, qui doivent en plus s’éparpiller aux quatre coins du monde, ne peuvent plus jouer solo et ont réellement besoins d’alliés pour compléter leurs propres moyens.


En conclusion, face à ce qui est déclaré l’ennemi n° 1 des USA, les autorités américaines manquent totalement de cohérence et de leadership. Ils n’auraient pas dû agir ainsi vis-à-vis d’un allié de si longue date, qui ne méritait pas cela, alors qu’il partage, avec ses propres moyens, une même volonté et certains intérêts communs.

« Les amis sont dangereux non pas tant parce qu’ils vous font faire mais par ce qu’ils vous empêchent de faire » (André Gide).

Never forget : « One often needs smaller than oneself ». (Jean de la Fontaine).

 

Joël GRANSON
Officier général (2s)

21 septembre 2021

 

 

Source photo : Ministère des Armées 

Diffusé sur le site de l'ASAF : www.asafrance.fr
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Source : www.asafrance.fr