STRATEGIE : Concurrence d’influences en Afrique, la France face à la Russie

Posté le mardi 22 novembre 2022
 STRATEGIE : Concurrence d’influences en Afrique, la France face à la Russie

Influence : Pour Paris, la Russie s’attaque indirectement à la France en ciblant certains pays africains

 

Fin 2017, la Russie obtint une dérogation à l’embargo sur les armes imposé à la Centrafrique auprès du Conseil de sécurité des Nations unies. Pour cela, elle avait eu recours à une procédure dite de « silence », laquelle permet d’obtenir un avis favorable à une requête si aucun des cinq membres permanents ne manifeste son opposition. Et la France resta muette.

 

La suite est connue : sous le prétexte de former les soldats centrafricains au maniement des armes qu’elle venait de leur livrer, la Russie envoya des « instructeurs militaires civils » à Bangui. Puis, de fil en aiguille, elle y renforça son influence, sur fond de « fausses nouvelles » visant la France. Depuis, le groupe paramilitaire russe Wagner s’y est implanté, dans une logique de prédation des ressources minières du pays. En outre, il est régulièrement accusé par l’ONU d’y commettre des « actes de torture » et d’infliger des « traitements cruels, humiliants, inhumains et dégradants, y compris sur des dépositaires locaux de l’autorité de l’État dans l’arrière-pays ».

Quant à la France, sa présence militaire en Centrafrique va encore se réduire prochainement, avec la rétrocession du camp de M’Poko [à Bangui] aux forces armées centrafricaines [FACa], la Mission logistique [MISLOG] qui relève des Éléments français au Gabon [EFG] devant prendre fin.

Au Mali, la Russie a su jouer de ses relais locaux et profiter du double coup d’État qui a mis le colonel Assimi Goïta au pouvoir pour y restaurer l’influence qu’elle avait à l’époque de la Guerre Froide. Et l’arrivée du groupe Wagner dans le pays, sur fond d’une hostilité de plus en plus manifeste de la junte à l’égard de la France et de lutte informationnelle, a conduit au retrait de la force Barkhane.

Le Burkina Faso, qui a connu deux coups d’États cette année, pourrait suivre la même pente. Pour le moment, et selon le chef d’état-major des armées [CEMA], le général Thierry Burkhard, on n’en est pas encore là. En effet, un possible rapprochement avec la Russie « n’est pas perceptible, à ce stade, dans les déclarations du capitaine Traoré », le nouvel homme fort du pays, a-t-il dit, lors d’une audition au Sénat.

Cependant, dans un entretien au Journal du Dimanche, le 20 novembre, le ministre des Armées, Sébastien Lecornu, a évoqué le possible départ du détachement de forces spéciales « Sabre » de Ouagadougou. Plus généralement, a-t-il développé, « les Russes ont compris que l’Afrique faisait partie de notre profondeur stratégique, avec notre histoire, avec le partage de la francophonie, avec les diasporas. Ils s’attaquent donc indirectement à nous en attaquant certains pays d’Afrique », notamment ceux « ayant des fragilités économiques, militaires ou institutionnelles sont des proies potentielles ».

Et si certains d’entre-eux « ont barré la route » à Wagner, a poursuivi M. Lecornu, il n’en reste pas moins que l’organisation paramilitaire russe est « très opportuniste » et « se crédite parfois de succès dont elle n’est pas responsable, comme le récent coup d’État au Burkina ».

Dans le même registre, et alors qu’il a récemment annoncé que « l’influence » deviendra une nouvelle fonction stratégique, au même titre que la dissuasion, la prévention, la protection, l’intervention, et la connaissance/anticipation, le président Macron a profité du sommet de la Francophonie, le 20 novembre, à Djerba [Tunisie], pour s’en prendre vigoureusement à la Russie.

« Je ne suis pas dupe, beaucoup d’influenceurs, y compris parfois des gens sur vos plateaux, sont payés par les Russes. On les connait », a dit M. Macron alors qu’il était interrogé par TV5 Monde. « Plusieurs puissances, qui veulent bâtir une influence en Afrique, développent cela pour abîmer la France, abîmer sa langue, faire douter, mais surtout aller chercher des intérêts », a-t-il poursuivi.

« Il suffit d’aller voir ce qu’il se passe en ce moment en Centrafrique ou ailleurs pour voir très clairement le projet russe qui y est à l’œuvre quand la France est bousculée. C’est un projet de prédation », a encore dénoncé Emmanuel Macron.

Quoi qu’il en soit, si la France perd de l’influence en Afrique, c’est parce que, en grande partie, elle ne s’est plus donnée les moyens de l’entretenir. Du moins, c’est ce qu’on peut déduire des propos tenus par le général Burkhard devant les sénateurs.

« Comment gagner la guerre des cœurs et des esprits en Afrique ? Nous la menons depuis longtemps, mais l’on voit bien que la guerre dans le champ des perceptions prend encore plus d’importance avec les réseaux sociaux et les nouvelles technologies, notamment au sein de la jeunesse africaine », a d’abord relevé le CEMA.

Aussi, a-t-il estimé, la « France doit donc repenser sa présence, mais cela ne relève pas seulement des Armées ». En effet, a noté le CEMA, « il y a encore quelques dizaines d’années, des centaines de coopérants civils étaient présents en Afrique aux côtés des militaires, dans des domaines divers, sport, éducation, culture, développement, etc. Ce nombre a considérablement diminué, alors que les forces armées n’ont pas réduit leur présence dans les mêmes proportions. Cela explique peut-être en partie l’évolution de l’image de la France ».

Sur ce point, la réduction du nombre de coopérants évoquée par le général Burkhard s’explique par la fin de la conscription, le Service national ayant eu, à partir de loi Messmer de 1965, un volet « coopération ».

Quoi qu’il en soit, pour le CEMA, cette « reconquête des cœurs et des esprits passe par un effort interministériel coordonné, mais aussi sans doute par une moindre visibilité des armées ». D’où la refonte annoncée du dispositif militaire français en Afrique.

Cela étant, les forces françaises ont également leur rôle à jouer en matière d’influence. « Un exemple est la formation en France des militaires étrangers. Dans le passé, nous avons beaucoup fait venir des stagiaires, mais, depuis quinze ou vingt ans, nous privilégions les formations sur place », a dit le général Burkhard.

Et pour cause : avec les réformes successives et les contraintes budgétaires, les moyens de formation des armées ont été « redimensionnés en ne prenant en compte que nos besoins propres », a expliqué le CEMA. « On a fait la chasse à tout ce qui semblait surdimensionné, y compris les infrastructures, et on a donc réduit l’outil de formation, sans prendre en compte l’accueil de stagiaires étrangers », a-t-il rappelé.

Qu’en sera-t-il à l’avenir ? Dans l’entretien accordé au Journal du Dimanche, M. Lecornu a livré quelques pistes de réflexion au sujet de cette « influence militaire ». En Afrique, « nous travaillons à une organisation du format de nos bases militaires existantes. Elles devront garder certaines capacités pour protéger nos ressortissants, par exemple, mais aussi se tourner davantage vers la formation des armées locales », a-t-il dit. « Nous souhaitons développer une offre plus ambitieuse, en intimité avec les armées locales, qui peut aller jusqu’à l’installation d’antennes des écoles [de] Saint-Cyr ou [de] Saint-Maixent sur quelques-unes de nos bases, qui restent à définir avec les pays hôtes », a-t-il expliqué.

 

Laurent LAGNEAU
Opex360.com
21/11/2022

 

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Source : www.asafrance.fr